Saisie bien immobilier oui

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 6 novembre 2019

N° de pourvoi : 18-86918

ECLI:FR:CCASS:2019:CR02131

Non publié au bulletin

Rejet

Mme de la Lance (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président

SCP Potier de La Varde, Buk-Lament et Robillot, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

N° Y 18-86.918 F-D

N° 2131

SM12

6 NOVEMBRE 2019

REJET

Mme DE LA LANCE conseiller le plus ancien faisant fonction de président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l’arrêt suivant :

M. K... T..., Mme P... J..., épouse T..., M. L... T..., Mme U... T..., Mme V... T..., M. H... T..., mineur représenté par son père, M. T..., ont formé un pourvoi contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Nîmes, en date du 28 juin 2018, qui, dans la procédure suivie contre le premier des chefs de blanchiment, travail dissimulé, recel aggravé, destruction du bien d’autrui et fausses déclarations, a confirmé l’ordonnance de saisie pénale rendue par le juge des libertés et de la détention.

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 25 septembre 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : Mme DE LA LANCE, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Planchon, conseiller rapporteur, Mme Zerbib, conseiller de la chambre.

Greffier de chambre : Mme Guichard.

Sur le rapport de Mme le conseiller Planchon, les observations de la société civile professionnelle POTIER DE LA VARDE, BUK-LAMENT et ROBILLOT, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général VALAT.

Un mémoire, commun aux demandeurs, a été produit.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Les services de gendarmerie se sont intéressés à l’activité de M. K... T..., se disant auto-entrepreneur en récupération de ferrailles depuis 2007, et détenant du cuivre qui s’est avéré provenir de vols commis au préjudice de la société Orange France.

3. Les investigations ont montré qu’entre 2013 et 2015, il a vendu 145 tonnes de cuivre pour une somme totale de 675 111 euros alors qu’il n’a déclaré à l’administration fiscale qu’une somme de 4 624 euros pour chacune des années 2014 et 2015.

4. Il est par ailleurs propriétaire d’une villa, où il demeure avec son épouse et son fils mineur H..., acquise par lui en 2008 pour la somme de 183 000 euros et qui est évaluée aujourd’hui par le service des domaines à la somme de 350 000 euros compte tenu des améliorations qui y ont été apportées.

5. Au cours de la perquisition effectuée dans cet immeuble, il a été saisi sept tonnes de cuivre, un véhicule Fiat 500X au nom d’P... T... évalué à la somme de 19 310 euros et des bijoux d’une valeur de 17 910 euros.

6. Les investigations ont révélé que, d’une part, la somme globale de 129 041 euros a transité en trois ans sur les comptes bancaires de l’épouse de M. T..., alors que celle-ci déclare être bénéficiaire des seules allocations versées par la caisse d’allocations familiales, d’autre part, le compte bancaire du fils mineur a été crédité d’une somme de 30 000 euros.

7. M. T... évalue ses ressources mensuelles entre 2013 et 2015, à la somme de 1 200 euros, son épouse bénéficiant du RSA et estime à 60 000 euros, payée par chèque, la somme ayant servi à financer les travaux de sa résidence.

8. Le 9 juin 2016, après avoir été placé une première fois en garde à vue par les gendarmes dans le cadre de cette procédure, M. T... a fait donation de sa propriété à ses quatre enfants, H..., mineur, U..., V... et L..., majeurs, nés d’une première union, par un acte fixant la valeur du bien à 600 000 euros, M. T... se réservant l’usufruit à hauteur des 4/10èmes et interdisant aux donataires, à peine de nullité, toute mutation ou toute mise en garantie du bien.

9. Le montant total du produit des infractions est chiffré à 685 903 euros.

10. Le 12 juillet 2016, le juge des libertés et de la détention a autorisé la saisie en valeur du bien immobilier appartenant aux membres de la famille T... par une décision dont ceux-ci, à l’exception de Mme T..., ont interjeté appel et qui a été confirmé par la chambre de l’instruction par un arrêt à l’encontre duquel les mêmes se sont pourvus en cassation.

Examen de la recevabilité du pourvoi formé par Mme P... J..., épouse T...

11. Mme P... T... n’ayant pas interjeté appel de l’ordonnance du juge des libertés et de la détention précitée, elle n’était pas partie devant la chambre de l’instruction et n’avait ainsi pas qualité pour se pourvoir en cassation. Son pourvoi est donc irrecevable.

Examen du moyen

Sur le moyen pris en ses deuxième à quatrième branches

12. Les griefs ne sont pas de nature à être admis, en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le moyen pris en sa première branche

Enoncé du moyen

13. Le moyen est pris de la violation des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, 3 et 4 de la directive européenne 2016/343 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016, préliminaire, 706-150, 591 et 593 du code de procédure pénale.

14. Le moyen critique l’arrêt attaqué “en ce qu’il a confirmé l’ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant autorisé une saisie immobilière, alors que l’ordonnance par laquelle le juge des libertés et de la détention, saisi par requête du procureur de la République, peut autoriser la saisie des immeubles dont la confiscation est prévue par l’article 131-21 du code pénal doit être motivée ; qu’en l’espèce où, comme les consorts T... le faisaient valoir dans leur mémoire, l’ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant autorisé la saisie immobilière litigieuse se bornait à reproduire mot pour mot les motifs développés dans la requête du procureur de la République et ne contenait donc aucune motivation propre, la chambre de l’instruction, en retenant que c’était par des motifs pertinents, qu’elle adoptait, que le juge des libertés et de la détention avait autorisé la saisie, a méconnu les textes et le principes ci-dessus mentionnés”.

Réponse de la Cour

15. Pour confirmer l’ordonnance de saisie pénale, l’arrêt attaqué énonce que, contrairement à ce qui est soutenu par le conseil des appelants, c’est par des motifs pertinents qui seront adoptés que le juge des libertés et de la détention a autorisé la saisie de ce bien immobilier.

16. L’ordonnance du juge des libertés et de la détention énonce, après avoir rappelé les infractions susceptibles d’être retenues à l’encontre de M. T..., que le montant du produit de l’infraction s’établit à 675 111 euros au titre du câble recelé et des métaux divers vendus entre 2013 et 2015 et que les ventes ont été effectuées dans le cadre d’un travail dissimulé, les sommes qu’elles ont générées ayant été blanchies sur différents comptes.

17. Le juge des libertés et de la détention relève également que le mis en cause, qui a acquis le 30 janvier 2008 un bien immobilier estimé à ce jour à 350 000 euros et qui a fait donation de la nue-propriété de ce bien à ses quatre enfants, leur interdisant toutefois toute mutation et toute mise en garantie, a conservé la libre disposition de ce bien.

18. Ce magistrat conclut que M. T... encourt la peine de confiscation en application de l’article 131-21, alinéa 9, du code de procédure pénale et en l’absence de saisie pénale, une dissipation de la valeur de ce bien aurait pour effet de priver la juridiction de jugement de toute perspective de confiscation.

19. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que dès lors que le juge des libertés et de la détention ordonne ou autorise un acte qui porte atteinte à un droit fondamental, l’ordonnance qu’il rend ne peut se limiter à renvoyer aux motifs de la requête et doit contenir une motivation justifiant, en droit et en fait, de la nécessité de la mesure (Crim., 8 juillet 2015, pourvoi n° 15-81.731, Bull. crim. 2015, n° 174 ; Crim., 23 novembre 2016, pourvoi n° 15-83.649, Bull. crim. 2016, n° 307).

20. En l’espèce, l’ordonnance autorisant une saisie immobilière est de nature à porter atteinte au droit de propriété.

21. En conséquence, en l’état des énonciations de l’arrêt attaqué et de l’ordonnance de saisie, et dès lors que, en reproduisant les motifs énoncés dans la requête du ministère public qui analysent les éléments de fait et de droit rendant nécessaire la saisie, le juge des libertés et de la détention a justifié de la nécessité de la mesure et s’est conformé à l’exigence de motivation prévue à l’article 706-150 du code de procédure pénale, la chambre de l’instruction a justifié sa décision.

22. Dès lors, le moyen doit être écarté.

23. Par ailleurs l’arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

I - Sur le pourvoi formé par Mme T... :

Le DÉCLARE irrecevable ;

II - Sur les autres pourvois

Les REJETTE ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le six novembre deux mille dix-neuf ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

Décision attaquée : Chambre de l’instruction de la cour d’appel de Nîmes , du 28 juin 2018