Transport aérien passagers illégal - saisie compte bancaire non

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 20 novembre 2019

N° de pourvoi : 18-86781

ECLI:FR:CCASS:2019:CR02327

Publié au bulletin

Cassation

M. Soulard (président), président

SCP Richard, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

 M. D... L...,

contre l’arrêt n° 141 de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de BASSE-TERRE, en date du 25 octobre 2018, qui, dans la procédure suivie contre lui notamment du chef de travail dissimulé, a confirmé l’ordonnance de saisie pénale du juge des libertés et de la détention ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 9 octobre2019 où étaient présents : M. Soulard, président, M. Ascensi, conseiller rapporteur, Mmes de la Lance, Planchon, Zerbib, MM. d’Huy, Wyon, Pauthe, conseillers de la chambre, Mmes Pichon, Fouquet, conseillers référendaires ;

Avocat général : Mme Moracchini ;

Greffier de chambre : M. Bétron ;

Sur le rapport de M. le conseiller référendaire ASCENSI, les observations de la société civile professionnelle RICHARD, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l’avocat général MORACCHINI ;

Vu le mémoire produit ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, dans le cadre d’une enquête préliminaire diligentée des chefs susvisés et de blanchiment, M. L... a été soupçonné d’avoir procédé de manière non déclarée au transport aérien rémunéré de passagers entre la Guadeloupe et les îles environnantes, au moyen d’un aéronef immatriculé aux Etats-Unis dont il a fait l’acquisition par l’intermédiaire d’un trustee ; que le 15 mai 2018, sur autorisation du procureur de la République, un officier de police judiciaire a saisi la somme de 13 000 euros figurant sur un compte bancaire dont est titulaire M. L... à la Caisse régionale du Crédit agricole mutuel Brie-Picardie ; que, le 15 mai 2018, cet établissement bancaire a adressé à l’officier de police judiciaire un courrier lui indiquant que la somme de 13 000 euros avait été virée sur le compte de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués ; que, par ordonnance du 22 mai 2018, le juge des libertés et de la détention a autorisé le “maintien de la saisie du solde créditeur” de ce compte ; que M. L... a relevé appel de la décision ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 131-21 du code pénal 706-141, 706-141-1, 706-148, 706-153, 706-154 et 591 du code de procédure pénale, 1er du protocole n° 1 à la Convention européenne des droits de l’homme, défaut de motifs et manque de base légale ;

en ce que I’arrêt attaqué a confirmé I’ordonnance de maintien de la saisie pénale portant sur le « solde créditeur » du compte bancaire ouvert par M. L... dans les livres de la Caisse régionale de crédit agricole mutuelle de Brie-Picardie pour garantir la peine complémentaire de confiscation ;

alors que la saisie de sommes inscrites au crédit d’un compte bancaire n’est régulière que si I’ordonnance de maintien de la saisie, prise par le juge des libertés et de la détention ou le juge d’instruction, indique le montant exact des sommes sur laquelle a porté la saisie ; qu’en décidant néanmoins que la saisie des sommes inscrites au crédit du compte bancaire détenu par M. L... devait être maintenue à hauteur du « solde créditeur » du compte bancaire, sans indiquer le montant exact de la somme dont la saisie a été autorisée, la chambre de l’instruction a exposé sa décision à la cassation” ;

Attendu que, si c’est à tort que l’ordonnance du juge des libertés et de la détention ne mentionne pas le montant des sommes saisies, M. L... ne saurait s’en faire un grief dès lors que, d’une part, ce magistrat a ordonné le maintien de la saisie du solde créditeur du compte dont le demandeur est titulaire, d’autre part, l’ordonnance attaquée a été rendue au visa de l’enquête préliminaire susvisée au cours de laquelle, ainsi que la Cour de cassation est en mesure de s’en assurer, la somme de 13 000 euros a été saisie par un officier de police judiciaire sur le compte de M. L..., enfin, il ne ressort pas des motifs de l’ordonnance contestée que le juge des libertés et de la détention aurait cantonné la saisie, ce dont il se déduit que le montant des sommes saisies n’est pas indéterminé ;

D’où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 8224-3 du code du travail, 131-21 et 324-7 du code pénaI, 6, 706-141, 706-141-1, 706-148, 706-153, 706-154, 591, 593 du code de procédure pénale et 1er du protocole n°1 à la Convention européerme des droits de I’homme, défaut de motifs et manque de base légale ;

en ce que l’arrêt attaqué a confirmé I’ordonnance de maintien de la saisie pénale portant sur le « solde créditeur » du compte bancaire ouvert par M. L... dans les livres de la Caisse régionale de crédit agricole mutuelle de Brie-Picardie pour garantir le peine complémentaire de confiscation ;

1°) alors que la mesure de saisie ne peut être ordonnée que sur des biens pouvant faire l’objet d’une confiscation et dont la personne poursuivie est propriétaire ou a la libre disposition ; que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision et que I’insuffisance de motifs équivaut à leur absence ; qu’en se bornant à affirmer, pour décider que M. L... était le seul titulaire du compte bancaire sur laquelle avait été opérée la saisie, qu’en l’état d’éléments contradictoires, il convenait de se référer aux seules pièces d’identité versées aux débats par M. L... et qu’un procès-verbal de saisie d’une somme d’argent, établi par les enquêteurs, mentionnait que le titulaire du compte était M. L..., sans indiquer en quoi de tels éléments étaient de nature à établir avec certitude l’identité du propriétaire du compte bancaire litigieux, la chambre de l’instruction a privé sa décision de motifs ;

2°) alors que la mesure de saisie ne peut être ordonnée que sur des biens pouvant faire l’objet d’une confiscation et dont la personne poursuivie est propriétaire ou a la libre disposition ; qu’il appartient au ministère public, demandeur à une mesure de saisie, d’apporter la preuve de ce que les biens sont susceptibles de confiscation ; qu’en affirmant néanmoins, pour décider que la saisie des sommes inscrites au crédit du compte bancaire devait être maintenue, que M. L... ne produisait aucun élément permettant d’établir qu’il n’était pas le seul titulaire du compte bancaire litigieux, la chambre de l’instruction, qui a inversé la charge la preuve, a exposé sa décision à la cassation ;

3°) alors que, si les biens appartenant à des tiers sont susceptibles d’être saisis, c’est à la condition qu’il soit démontré que la personne poursuivie en a la libre disposition et que le tiers n’est pas de bonne foi ; que la circonstance qu’un bien est détenu en indivision ne permet de présumer, ni la libre disposition du propriétaire indivis sur la part” qui ne lui appartient pas, ni la mauvaise foi du tiers ; qu’en se bornant néanmoins à affirmer, pour décider que la saisie des sommes inscrites au crédit du compte bancaire détenu en indivision par M. L... et par M. N... devait être maintenue, que la confiscation peut porter sur les biens meubles ou immeubles, quelle qu’en soit la nature, divis ou indivis et qu’il appartient ultérieurement au coindivisaire de faire valoir ses droits au stade de la mise à exécution de la peine, sans que cette question puisse être tranché au moment de la saisie, sans rechercher si M. L... avait la libre disposition des fonds qui ne lui appartenaient pas et si M. N..., tiers à la procédure, était de mauvaise foi, la chambre de I’instruction n’a pas légalement justifié sa décision ;

4°) alors qu’il appartient à Ia chambre de I’instruction, saisie d’un appel formé à l’encontre d’une ordonnance emportant saisie de biens appartenant à une personne mise en cause par une enquête préliminaire, de s’assurer, même d’office, que les conditions légales de la saisie, dont celle du caractère confiscable des biens, demeurent réunies ; qu’elle doit procéder à une telle appréciation au regard des indices et présomptions rassemblés par l’enquête et de Ia nature des infractions reprochées, au jour où elle statue ; qu’en affirmant néanmoins, pour décider que la saisie des sommes inscrites au crédit du compte bancaire détenu par M. L... devait être maintenue, que ce dernier était, au moment où la saisie a été effectuée, soupçonné de f infraction de blanchiment de fraude fiscale, pour en déduire que les sommes inscrites sur le compte litigieux, détenu en indivision par M. L..., pouvaient être saisies, bien qu’il soit résulté des éléments de I’enquête que ce dernier, au jour où elle statuait, n’était plus poursuivi pour une telle infraction, de sorte que la saisie litigieuse n’était plus justifiée, Ia chambre de I’instruction a exposé sa décision à la cassation ;

5°) alors qu’il appartient à la chambre de I’instruction, saisie d’un appel formé à I’encontre d’une ordonnance emportant saisie de biens appartenant à une personne mise en cause par une enquête préliminaire, de s’assurer, même d’office, que les conditions légales de la saisie, dont celle du caractère confiscable des biens, demeurent réunies ; qu’elle doit procéder à une telle appréciation au regard des indices et présomptions rassemblés par l’enquête et de la nature des infractions reprochées, au jour où elle statue ; qu’en se bornant néanmoins à affirmer, pour décider que la saisie des sommes inscrites au crédit du compte bancaire détenu par M. L... devait être maintenue, que ce dernier était poursuivi pour l’infraction de travail dissimulé, laquelle permettait la confiscation d’un bien indivis, sans rechercher, par elle-même, s’il existait des indices et des présomptions laissant soupçonner que M. L... avait commis une telle infraction, la chambre de I’instruction n’a pas légalement justifié sa décision ;

6°) alors que le juge qui prononce une mesure de saisie de tout ou partie du patrimoine doit apprécier le caractère proportionné de I’atteinte portée aux droits de f intéressé ; qu’en se bornant néanmoins à affirmer que la saisie opérée était proportionnée à la gravité des infractions commises, ainsi qu’à la situation personnelle de M. L..., sans rechercher si la saisie des sommes inscrites sur le compte bancaire de ce dernier, en ce qu’elles concernaient également des fonds insusceptibles de constituer le produit de l’infraction, portait une atteinte disproportionnée au droit de propriété de M. L..., la Chambre de I’instruction n’a pas légalement justifié sa décision” ;

Sur le moyen, pris en ses trois premières branches :

Vu l’article 567-1-1 du code de procédure pénale ;

Attendu que les griefs ne sont pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;

Mais sur le moyen, pris en sa quatrième branche :

Vu les articles 131-21, 706-153, 706-154 et 593 du code de procédure pénale ;

Attendu qu’il appartient à la chambre de l’instruction saisie d’un appel formé à l’encontre d’une ordonnance emportant saisie spéciale de biens rendue au cours d’une enquête ayant, à la date où elle statue, fait l’objet de poursuites, de s’assurer du caractère confiscable des biens saisis au regard des seules infractions poursuivies ;

Attendu que tout arrêt de la chambre de l’instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties ; que l’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que, pour confirmer l’ordonnance du juge des libertés et de la détention, l’arrêt relève, en substance, après avoir énoncé les indices pesant à l’encontre de M. L... d’avoir commis les faits poursuivis, que ce dernier encourt la peine complémentaire de confiscation dans les conditions de l’article 131-21 du code pénal comme étant soupçonné de travail dissimulé et de blanchiment et que, en répression du délit de blanchiment, l’intéressé encourt la peine de confiscation de patrimoine ; que les juges ajoutent qu’il est indifférent que M. L... soit dorénavant poursuivi devant le tribunal correctionnel des chefs d’infractions faisant encourir la seule confiscation de biens ayant servi à commettre l’infraction ou qui en sont le produit, dès lors qu’à la date de la saisie il était soupçonné de blanchiment de fraude fiscale, infraction faisant encourir la confiscation de patrimoine, et que l’appréciation de la chambre de l’instruction doit se faire à ce stade de la procédure sans préjudice de l’appréciation faite ultérieurement par la juridiction de jugement ni quant à l’étendue de sa saisine in rem, ni quant aux qualifications retenues, ni quant à la validité de la confiscation ; que les juges précisent encore que M. L... a porté au crédit de ses comptes bancaires la somme totale de 153 136,39 euros en chèques et de 18 030 euros en espèces, que l’examen de ces comptes a permis aux enquêteurs d’évaluer le bénéfice qui aurait été réalisé par l’intéressé à la somme de 51 982 euros, cette évaluation ne prenant pas en compte les paiements reçus en espèces et non identifiables, qu’il est établi que M. L..., dont les ressources déclarées s’élevaient, pour l’année 2016, à 23 948 euros, avait un fort train de vie durant la période de référence et qu’il en résulte que la saisie est proportionnée à la gravité des infractions commises, ainsi qu’à la situation personnelle du mis en cause ;

Mais attendu qu’en prononçant par ces motifs, alors que M. L... alléguait être désormais poursuivi devant le tribunal correctionnel pour deux infractions ne lui faisant pas encourir la confiscation de patrimoine, la chambre de l’instruction, qui s’est abstenue de rechercher si l’intéressé était poursuivi pour blanchiment et, à défaut, de s’assurer du caractère confiscable des biens saisis au regard des seules infractions poursuivies, a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés ;

D’où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs, et sans qu’il y a lieu de prononcer sur les cinquième et sixième branches du second moyen proposées :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Basse-Terre, en date du 25 octobre 2018, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Basse-Terre, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Basse-Terre et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt novembre deux mille dix-neuf ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre. Publication :

Décision attaquée : Chambre de l’instruction de la cour d’appel de Basse-Terre , du 25 octobre 2018