Détermination de la prescription pertinente : triennale ou quinquennale - procès-verbal non transmis au procureur de la République

Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 8 avril 2021, 20-14.084, Inédit
Cour de cassation - Chambre civile 2

N° de pourvoi : 20-14.084
ECLI:FR:CCASS:2021:C200312
Non publié au bulletin
Solution : Rejet

Audience publique du jeudi 08 avril 2021
Décision attaquée : Cour d’appel d’Angers, du 09 janvier 2020

Président
M. Pireyre (président)
Avocat(s)
SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

CIV. 2

CM

COUR DE CASSATION


Audience publique du 8 avril 2021

Rejet

M. PIREYRE, président

Arrêt n° 312 F-D

Pourvoi n° X 20-14.084

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 AVRIL 2021

M. Q... T..., pris en sa qualité de gérant de la société DBR, domicilié [...] , a formé le pourvoi n° X 20-14.084 contre l’arrêt rendu le 9 janvier 2020 par la cour d’appel d’Angers (chambre sociale), dans le litige l’opposant à l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) des Pays de la Loire, venant aux droits du Régime de sécurité sociale des indépendants (RSI) et de la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Rovinski, conseiller, les observations de la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat de M. T..., de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l’URSSAF des Pays de la Loire, et l’avis de Mme Ceccaldi, avocat général, après débats en l’audience publique du 3 mars 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Rovinski, conseiller rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué, (Angers, 9 janvier 2020), à la suite d’un contrôle comptable d’assiette des cotisations au sein de la société DBR (la société), l’URSSAF des Pays de la Loire (l’URSSAF), venant aux droits du Régime de sécurité sociale des indépendants (RSI) et de la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants, qui a constaté que le gérant de la société, M. T..., n’avait pas déclaré les revenus perçus pour les années 2008 à 2013, a adressé à ce dernier, à l’issue du contrôle, une lettre d’observations du 15 septembre 2014, comprenant un chef de redressement intitulé « II-RSI revenus non déclarés » d’un certain montant.

2. M. T... a saisi une juridiction de sécurité sociale pour contester le redressement.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. M. T... fait grief à l’arrêt de confirmer le redressement opéré sur les années 2009 à 2013 au titre de l’infraction de travail dissimulé, de valider la mise en demeure du 19 décembre 2014 pour un montant de 171 957,32 euros, de le condamner à verser à l’URSSAF, aux droits du RSI, la somme de 85 946 euros augmentée des majorations de retard pour les années 2009 et 2010, alors « que la substitution de la prescription quinquennale à la prescription triennale prévue par l’article L. 244-3 du code de la sécurité sociale est subordonnée à l’établissement d’un procès-verbal de constatation d’une infraction de travail illégal par procès-verbal établi par un agent verbalisateur ; qu’ayant constaté que, selon les déclarations de l’inspecteur du recouvrement dans le cadre de l’enquête pénale ouverte sur la plainte pour faux de M. T..., les inspecteurs du recouvrement avaient retenu l’existence d’un travail dissimulé pour fonder le redressement mais n’avaient pas estimé nécessaire de transmettre au parquet un procès-verbal d’infraction et que la lettre d’observations précisait qu’aucun procès-verbal pénal ne serait effectué, la cour d’appel, qui a cependant jugé que le procès-verbal de contrôle destiné au RSI relevant l’existence d’un travail dissimulé était un procès-verbal de constatation d’une infraction dissimulée permettant l’application de la prescription quinquennale, a violé les articles L. 8271-8 du code du travail, L. 243-7, L. 244-3 et R. 243-59 du code de la sécurité sociale dans leur rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

4. Aux termes de l’article L. 244-3 du code de la sécurité sociale, rendu applicable par les articles L. 612-12 et L. 623-1 du même code, alors applicables, au recouvrement des cotisations dues au régime d’assurance maladie et maternité des travailleurs indépendants des professions non agricoles et à l’organisation autonome d’assurance vieillesse des travailleurs indépendants des professions industrielles et commerciales, la prescription quinquennale se substituant à la prescription triennale est seulement soumise à la constatation d’une infraction de travail illégal par procès-verbal établi par l’inspecteur du recouvrement.

5. La cour d’appel, qui a constaté l’établissement d’un procès-verbal dont l’un des chefs de redressement portait sur un travail dissimulé au titre des revenus non déclarés, destiné au RSI, peu important le choix des inspecteurs de ne pas le communiquer au procureur de la République, en a exactement déduit que la prescription quinquennale devait s’appliquer.

6. Le moyen n’est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. T... aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. T... et le condamne à payer à l’URSSAF des Pays de la Loire la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit avril deux mille vingt et un. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat aux Conseils, pour M. T...

IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt confirmatif attaqué d’AVOIR confirmé le redressement opéré sur les années 2009 à 2013 au titre de l’infraction de travail dissimulé, d’AVOIR validé la mise en demeure du 19 décembre 2014 pour un montant de 171 957,32 euros, d’AVOIR condamné M. T... à verser à l’URSSAF, aux droits du RSI, la somme de 85 946 euros augmentée des majorations de retard pour les années 2009 et 2010

AUX MOTIFS PROPRES QUE B) Sur la recevabilité de l’appel de cotisations pour les années 2009 et 2010 l’article L. 244-3 du code de la sécurité sociale prévoit notamment "En cas de constatation d’une infraction de travail illégal par procès-verbal établi par un agent verbalisateur, l’avertissement ou la mise en demeure peut concerner les cotisations exigibles au cours des cinq années civiles qui précédent l’année de leur envoi ainsi que les cotisations exigibles au cours de l’année de leur envoi." ; que l’article L. 8271-8 du code du travail dispose que "Les infractions aux interdictions du travail dissimulé sont constatées au moyen de procès-verbaux qui font foi jusqu’à preuve du contraire. Ces procès-verbaux sont transmis directement au procureur de la République." ; que l’article L. 8271-8-1 de ce même code précise que "Les agents de contrôle mentionnés à l’article L. 8271-7 communiquent leurs procès-verbaux de travail dissimulé aux organismes de recouvrement mentionnés aux articles L. 213-1 et L. 752-1 du code de la sécurité sociale et à l’article L. 723-3 du code rural et de la pêche maritime, qui procèdent à la mise en recouvrement des cotisations et contributions qui leur sont dues sur la base des informations contenues dans lesdits procès-verbaux." ; qu’en l’espèce, M. Q... T... soutient qu’il n’y a pas eu procès verbal de sorte que ce n’est pas la prescription quinquennale qui trouve à s’appliquer ; que si cette analyse est confirmée par Mme V..., inspectrice de l’URSSAF entendue dans le cadre de la plainte pénale pour faux, il apparaît cependant que celle-ci n’a pas remis en cause la validité de la pièce 7 produite par la caisse laquelle est intitulée "procès verbal de contrôle" ; que par ce procès-verbal, l’inspecteur a bien relevé un travail dissimulé comme en témoigne la reprise des textes à ce titre ; que c’est d’ailleurs sur la base de ce travail dissimulé que la lettre d’observations envisage un redressement sur cinq ans et non sur trois ans ; que de même, Mme V... dans son courrier de réponse au cotisant a repris la notion de travail dissimulé en qualifiant l’élément intentionnel comme indiqué supra ; qu’en réalité, la réponse de Mme V... dans le cadre de l’enquête pénale s’explique par le fait qu’elle distingue procès verbal de travail dissimulé établi dans le cadre d’un contrôle et n’entraînant qu’un redressement comme c’est le cas en l’espèce du procès verbal d’infraction qu’elle transmet immédiatement au parquet ; que dans le présent litige, les inspecteurs ont choisi de retenir l’existence d’un travail dissimulé dans le cadre du procès verbal de contrôle considérant qu’il fondait le redressement sur cinq ans au vu de la caractérisation de la volonté de se soustraire à l’obligation de déclaration des revenus mais n’ont pas estimé nécessaire de transmettre ce procès-verbal au parquet, au vu de la déclaration initiale d’activité ; que c’est ainsi que la lettre d’observation précise "aucun procès-verbal pénal ne sera effectué cette fois-ci" en ajoutant immédiatement "Si par contre, la situation se renouvelait, nous serions dans l’obligation d’en informer le procureur de la république en place" ; que cette distinction artificielle de l’URSSAF ne serait retirer sa nature de procès verbal à la pièce n°7 conformément à son intitulé ; que de la même manière, l’absence de communication et de production en justice dont fait mention l’inspectrice s’entend dans le cadre d’une instance pénale que les inspecteurs n’ont pas jugé utile d’ouvrir dans ce cadre ; que dès lors, le procès verbal de contrôle (pièce n°7 de la caisse) destiné au RSI et qui retient un chef de redressement au titre des revenus non déclarés en reprenant les textes sur le travail dissimulé, procès verbal dont les mentions sont reprises dans la lettre d’observations, constitue bien un procès-verbal relevant l’existence d’un travail dissimulé de sorte que c’est la prescription quinquennale qui trouve à s’appliquer ; qu’en conséquence, c’est par une motivation pertinente que la cour adopte pour le surplus que les premiers juges, relevant que les mises en demeure avaient été délivrées en 2014, ont considéré que les demandes en paiement pour les années 2009 et 2010 n’étaient pas atteintes par la prescription et qu’ils ont validé le redressement opéré sur la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2013 au titre de l’infraction de travail dissimulé, leur décision en ce sens sera donc confirmée ; que s’agissant de la validation de la mise en demeure, elle sera également confirmée, la cour précisant cependant que celle-ci est en date du 19 décembre 2014 et non du 19 décembre 2019 ainsi qu’indiqué par erreur dans le dispositif du jugement entrepris sans que la cour n’ait à statuer sur la décision implicite de la commission de recours amiable sur la base de laquelle elle n’est pas saisie ; C) Sur le bien fondé de la demande en paiement, que M. Q... T..., qui a payé les cotisations à compter de l’année 2011, ne conteste pas l’assiette ni le calcul des cotisations appelées pour les années 2009 et 2010 de sorte que c’est à juste titre que les premiers juges l’ont condamné au paiement des sommes réclamées à ce titre ; qu’en conséquence, le jugement ayant condamné M. Q... T... à verser à I’URSSAF la somme de 85.946 euros au titre des cotisations, contributions et majorations de retard des années 2009 et 2010 et la décision sera donc confirmée sur ce point ;

ET AUX MOTIFS A LES SUPPOSER ADOPTES QUE Sur la prescription des sommes réclamées au titre des années 2009 et 2010, aux termes de l’article L. 244-3 du code de la sécurité sociale, l’avertissement ou la mise en demeure ne peut concerner que les cotisations exigibles au cours des trois années civiles qui précèdent l’année de leur envoi ainsi que les cotisations exigibles au cours de l’année de leur envoi ; qu’en cas de constatation d’une infraction de travail illégal par procès-verbal établi par un agent verbalisateur, l’avertissement ou la mise en demeure peut concerner les cotisations exigibles au cours des cinq années civiles qui précèdent l’année de leur envoi ainsi que les cotisations exigibles au cours de l’année de leur envoi ; que l’article L. 8271-8-1 dispose « Les agents de contrôle mentionnés à l’article L. 8271-1-2 communiquent leurs procès-verbaux de travail dissimulé aux organismes de recouvrement mentionnés aux articles L. 213-1 et L. 752-1 du code de la sécurité sociale et à l’article L. 723-3 du code rural et de la pêche maritime, qui procèdent à la mise en recouvrement des cotisations et contributions qui leur sont dues sur la base des informations contenues dans lesdits procès verbaux » ; qu’en l’espèce, deux mises en demeure ont été notifiées à M. T... par courriers recommandés avec accusé de réception le 3 décembre 2014 et le 10 décembre 2014 concernant le recouvrement des cotisations et contributions sociales des années 2009, 2010 et 2011 ; qu’une nouvelle mise en demeure lui a été notifiée le 29 décembre 2014 portant la mention « annule et remplace les mises en demeure du 02/12/2014 [...] du 10/12/2014 » concernant le recouvrement des cotisations et contributions sociales des années 2009, 2010 et 2011 ; que tel que prévu à l’article L. 8271-8-1 du code du travail, I’URSSAF a adressé à la caisse RSI un procès-verbal de contrôle constatant le travail dissimulé ; que si le procès-verbal indique que ce dernier a été adressé par l’URSSAF au procureur de la République, il convient de préciser d’une part qu’aucun élément ne permet de confirmer l’envoi du procès-verbal au procureur de la République, et d’autre part, qu’il ressort de la lettre d’observations qu’il s’agit d’une erreur matérielle puisque l’URSSAF a expressément indiqué qu’elle n’informerait pas le procureur de la République de la situation de travail dissimulé de M. Q... ; que par ailleurs, il convient d’ajouter que le procès-verbal transmis à la Caisse RSI est identique à celui de la lettre d’observations du 15 septembre 2014, de sorte que le procès-verbal ne peut concerner une autre personne morale et un autre travailleur indépendant ; qu’en conséquence, les mises en demeure en dates des 2 décembre 2014 et 10 décembre 2014 concernant le recouvrement de cotisations et contributions sociales des années 2009, 2010, et 2011 ne sont pas prescrites, la prescription de cinq ans prévue en cas de constatation d’une infraction de travail illégal par procès-verbal établi par un agent verbalisateur étant applicable ; que M. Q... T... ayant déjà réglé les cotisations et contributions sociales dues pour les années 2011, 2012 et 2013, ce dernier sera condamné à verser à l’URSSAF (anciennement Caisse RSI des Pays de la Loire) la somme de 85 946,00 euros correspondant aux cotisations et contributions sociales des années 2009 et 2010 ;

ALORS QUE la substitution de la prescription quinquennale à la prescription triennale prévue par l’article L. 244-3 du code de la sécurité sociale est subordonnée à l’établissement d’un procès-verbal de constatation d’une infraction de travail illégal par procès-verbal établi par un agent verbalisateur ; qu’ayant constaté que, selon les déclarations de l’inspecteur du recouvrement dans le cadre de l’enquête pénale ouverte sur la plainte pour faux de M. T..., les inspecteurs du recouvrement avaient retenu l’existence d’un travail dissimulé pour fonder le redressement mais n’avaient pas estimé nécessaire de transmettre au parquet un procès-verbal d’infraction et que la lettre d’observations précisait qu’aucun procès-verbal pénal ne serait effectué, la cour d’appel qui a cependant jugé que le procès-verbal de contrôle destiné au RSI relevant l’existence d’un travail dissimulé était un procès-verbal de constatation d’une infraction dissimulée permettant l’application de la prescription quinquennale, a violé les articles L. 8271-8 du code du travail, L. 243-7, L. 244-3 et R. 243-59 du code de la sécurité sociale dans leur rédaction applicable au litige.ECLI:FR:CCASS:2021:C200312