Arrêt de principe - obligation de vérifier

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 30 octobre 2001

N° de pourvoi : 01-80507

Non publié au bulletin

Rejet

Président : M. COTTE, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le trente octobre deux mille un, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire KARSENTY, les observations de Me X... et de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général MARIN ;

Statuant sur les pourvois formés par :

"-" X...,

"-" LA SOCIETE MORGAN, venant aux droits de la société JJJ Morgan et Trame,

"-" Y...,

"-" LA SOCIETE POINT MOUSSE INDUSTRIE (PMI), contre l’arrêt de la cour d’appel de PARIS, 12ème chambre, en date du 12 décembre 2000, qui les a condamnés, pour recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé, la première à 15 000 francs d’amende avec sursis, la deuxième à 80 000 francs d’amende, le troisième à 30 000 francs d’amende, et la dernière à 150 000 francs d’amende ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits ;

Sur le premier moyen de cassation, présenté pour la société Morgan SA, pris de la violation des articles 121-1 et 133-1 du Code pénal, des articles 1844-4 et 1844-8 du Code civil, L. 362-6 du Code du travail, ensemble de l’article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a condamné la société JJJ Morgan et Trame à une amende délictuelle de 80 000 francs ;

”alors que, par l’effet de sa fusion absorption par la société Morgan SA, la société JJJ Morgan et Trame avait perdu son existence juridique, si bien qu’en prononçant une condamnation à son égard, la cour d’appel a privé sa décision de tout fondement légal” ;

Attendu que le moyen, nouveau et mélangé de fait, est irrecevable ;

Sur le moyen unique de cassation, présenté pour Y... et la société Point Mousse Industrie (PMI), pris de la violation des articles L. 324-9, L. 324-10 du Code du travail, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Y... et la société PMI coupables des faits de recours à un travail dissimulé ;

”aux motifs qu’il y a lieu de relever à leur charge que s’ils se sont bien fait remettre par leur cocontractant, la société Saphyra, les déclarations de cotisations sociales à l’URSSAF pour les trois premiers trimestres de leur activité, qui sont dans ce cas les déclarations effectivement envoyées à l’URSSAF, ils ne pouvaient ignorer le caractère manifestement inexact de ces déclarations, qui n’étaient cohérentes ni avec les constatations personnelles que Y... pouvait faire à l’occasion de ses visites périodiques dans l’atelier de la société Saphyra où travaillaient 25 personnes environ alors que les salaires déclarés ne pouvaient rendre compte que de l’activité d’une dizaine de personnes, ni avec les déclarations de TVA qu’il recueillait à bon droit, ni avec le volume des tâches qu’il faisait effectuer pour le compte de la société PMI pour un montant de près de deux millions de francs en environ onze mois et alors qu’il ne pouvait manquer de constater les travaux presque aussi importants effectués pour le compte de l’autre donneur d’ordres, déclarations qui, par comparaison avec chacun de ces éléments, ne pouvaient que lui apparaître comme de toute évidence minorées, comme elles l’étaient en effet entre 61 et 75 % selon les trimestres ;

qu’en conséquence, c’est bien sciemment que Y... et, par son truchement, la société PMI, pour le compte de laquelle il agissait, ont eu recours au travail dissimulé exercé par A... et B... ;

”alors, d’une part, que Y... avait fait valoir dans ses conclusions d’appel qu’il ne s’était jamais rendu personnellement dans les locaux de la société Saphyra ; que, cependant, pour caractériser la connaissance par Y... et la société PMI du caractère inexact des déclarations de cotisations sociales remises par la société Saphyra à l’URSSAF, la Cour affirme que Y... effectuait des visites périodiques dans l’atelier de cette société ; qu’en statuant ainsi, sans expliquer d’où il résulte que Y... se serait rendu personnellement dans les locaux de la société Saphyra, la cour d’appel a entaché sa décision d’un défaut de motifs ;

”alors, d’autre part, que seul le recours intentionnel, directement ou par personne interposée, aux services de celui qui exerce un travail dissimulé est punissable au titre de l’article L. 324-9 du Code du travail ; qu’en l’espèce, pour caractériser l’élément intentionnel du délit de recours à un travail dissimulé, la cour d’appel s’était contentée d’énoncer que Y... et la société PMI ne pouvaient ignorer le caractère inexact des déclarations de cotisations sociales remises par la société Saphyra à l’URSSAF dès lors que celles-ci n’étaient cohérentes ni avec les constatations personnelles que Y... avaient prétendument faites à l’occasion de ses visites périodiques dans l’atelier de la société Saphyra, ni avec les déclarations de TVA qu’il recueillait, ni avec le volume des tâches qu’il faisait effectuer pour le compte de la société PMI ; que, procédant par voie de pure affirmation, la cour d’appel n’a pas caractérisé la volonté de Y... et de la société PMI d’avoir recours au travail dissimulé exercé par la société Saphyra ;

que, dès lors, l’arrêt attaqué est entaché d’un défaut de base légale” ;

Sur le second moyen de cassation, présenté pour la société Morgan SA et X..., pris de la violation des articles L. 324-9, L. 324-10, L. 324-14 et R. 324-2 et 4, L. 362-3 et 4 du Code du travail, ensemble de l’article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré la société JJJ Morgan et Trame et X... coupables de faits de recours à un travail clandestin dissimulé pour la période de novembre 1998 à mars 1999 et les a condamnées respectivement à une amende délictuelle de 80 000 francs et à une amende délictuelle de 15 000 francs avec sursis ;

”aux motifs que les articles L. 324-14, R. 324-4 du Code du travail ne concernent que la solidarité entre donneur d’ordres et sous-traitant pour le paiement notamment des impôts, taxes et cotisations éludés grâce au travail dissimulé et qu’ils ne participent pas à la définition des infractions pénales d’exécution de travail dissimulé et de recours aux services d’un exécutant de travail dissimulé, qui sont prévues et définies uniquement par les articles L. 324-9 et L. 324-10 du Code du travail ; qu’il en résulte que les obligations auxquelles les deux contractants sont astreints sous peine de tomber sous le coup de la loi pénale sont celles découlant de ces deux textes et qu’il n’y est nullement satisfait par l’accomplissement des formalités permettant au donneur d’ordres, en vertu de l’article R. 324-1 du Code du travail, d’échapper à la solidarité financière avec l’exécutant du travail dissimulé en étant à ce titre considéré comme ayant procédé aux vérifications imposées par l’article L. 324-14 ; qu’en conséquence, en ne s’étant pas fait remettre par les dirigeants de la société Saphyra les déclarations de cotisations à l’URSSAF du 4ème trimestre 1998 et du 1er trimestre 1999, X..., en sa qualité de délégataire des relations avec les façonniers de la société JJJ Morgan et Trame, et cette société de son chef ont volontairement omis d’effectuer des vérifications qui étaient imposées par l’article L. 324-9 du Code du travail, alors que A... et B... commettaient une exécution de travail dissimulé par minoration de ces déclarations de cotisations et se sont ainsi rendus coupables d’avoir sciemment eu recours à ce travail dissimulé ; qu’en revanche, il ne saurait leur être reproché d’avoir reçu pour le deuxième trimestre de 1999 de leur cocontractant une fausse déclaration de cotisations sociales conforme à e qu’ils pouvaient savoir ou constater par ailleurs de l’activité de ce sous-traitant ni de n’avoir pas été en possession de la déclaration de cotisations sociales à l’URSSAF pour le troisième trimestre de 1999 qui n’était pas encore exigible à la date à laquelle les infractions ont été relevées ; qu’il en résulte que X... et la société JJJ Morgan et Trame doivent être partiellement relaxées dans cette mesure ;

”alors que si le donneur d’ordres s’est fait remettre par un sous-traitant les documents mentionnés à l’article R. 324-4 du Code du travail, il est légalement considéré comme “ayant procédé aux vérifications imposées par l’article L. 324-14 du Code du travail”, ce qui implique qu’il s’est assuré “que son contractant s’est acquitté de ses obligations au regard de l’article L. 324-10 du Code du travail” et que l’infraction de recours aux services de celui qui exerce un travail dissimulé au sens de l’article L. 324-9 du Code du travail n’est pas constituée ; qu’ainsi, la cour d’appel, qui, sans réfuter le fait que X... et la société JJJ Morgan et Trame s’étaient fait remettre par le sous-traitant les documents mentionnés à l’article R. 324-4 du Code du travail, qui ne comprennent pas les déclarations de paiement des cotisations de l’URSSAF - aisément falsifiables par le contractant - a pourtant déclaré les demandeurs coupables d’avoir sciemment eu recours aux services de celui qui exerce un travail dissimulé durant les deux trimestres pour lesquels ceux-ci ne se sont pas fait remettre les déclarations de paiement de cotisations à l’URSSAF, n’a pas justifié légalement sa décision” ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué que, lors d’un contrôle effectué le 13 octobre 1999 dans l’atelier de confection exploité par la SARL Saphyra, où 26 salariés étaient présents, la comparaison du livre de paie et des bordereaux de cotisations sociales a permis de constater une minoration, sur les déclarations sociales, de plus de 60 % de la masse salariale, entre le 4ème trimestre 1998 et le 3ème trimestre 1999 ;

qu’aux côtés des dirigeants de cette société, cités pour exercice d’une activité dissimulée, ont comparu, pour recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé, la société JJJ Morgan et Trame SA et la société Point Mousse Industrie (PMI) SA, seuls clients de la société Saphyra, ainsi que X..., responsable juridique et administrative au sein de la société JJJ Morgan et Trame SA et Y..., directeur général de la SA Point Mousse Industrie ;

Attendu que, pour retenir la culpabilité des prévenus précités, qui faisaient valoir qu’il avait été procédé aux vérifications prescrites par l’article L. 324-14 du Code du travail, la cour d’appel, par motifs propres et adoptés, retient que le donneur d’ouvrage est tenu de s’assurer de la régularité de l’activité exercée par son sous-traitant ;

qu’elle relève que X... ne s’est pas assurée que la société Saphyra effectuait auprès de l’URSSAF des déclarations correspondant au nombre de ses salariés ; que, pour sa part, Y... qui avait travaillé avec la société Saphyra dès sa création en novembre 1998 et fait procéder à une visite sur place chaque trimestre, détenait des bordereaux de déclarations à l’organisme de protection sociale mentionnant un nombre de salariés très inférieur à celui constaté lors des visites dans l’atelier, sans en avoir tiré aucune conséquence ; qu’elle ajoute que l’élément intentionnel de l’infraction se déduit du manque de vérifications effectives et suffisantes de la part des prévenus qui sont des professionnels avertis et étaient les seuls donneurs d’ouvrage de la société à laquelle ils confiaient l’exécution d’un travail important ; que, pour retenir la responsabilité pénale des personnes morales, en application de l’article 121-2 du Code pénal, les juges relèvent que X... et Y..., titulaires de délégations de pouvoirs, ont commis l’infraction pour le compte desdites sociétés ; qu’elle précise encore que les prévenus, en comparant l’activité réelle effectuée par leur sous-traitant dont ils étaient les seuls clients et sa situation administrative résultant de documents communiqués notamment en application de l’article L. 324-14 du Code du travail, ne pouvaient prétendre ignorer la dissimulation, par leur fournisseur, d’un volume important de son activité ;

Attendu qu’en l’état de ces motifs, la cour d’appel a caractérisé, en tous ses éléments, le délit prévu à l’article L. 324-9 du Code du travail ;

D’où il suit que les moyens ne peuvent qu’être écartés ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, Mme Karsenty conseiller rapporteur, M. Joly, Mmes Anzani, Mazars, MM. Beyer, Pometan, Rognon, Chanut conseillers de la chambre, M. Desportes conseiller référendaire ;

Avocat général : M. Marin ;

Greffier de chambre : Mme Krawiec ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : cour d’appel de Paris, 12ème chambre du 12 décembre 2000

Titrages et résumés : TRAVAIL - Travail clandestin - Recours aux services d’un entrepreneur exerçant un travail dissimulé - Eléments constitutifs - Elément intentionnel - Définition.

Textes appliqués :
* Code du travail L324-9, L324-10, L324-14
* Code pénal 121-2