Salariés en nombre insuffisant

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 7 septembre 1999

N° de pourvoi : 98-87099

Non publié au bulletin

Rejet

Président : M. GOMEZ, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le sept septembre mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire KARSENTY, les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIE, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général GERONIMI ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

"-" ABIMELECH Thierry,

contre l’arrêt n° 11 de la cour d’appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 16 octobre 1998, qui l’a condamné, pour recours aux services d’un entrepreneur clandestin, à une amende de 100 000 francs, et ordonné la publication de la décision ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 111-4 du Code pénal, L. 324-9, L. 324-10, L. 324-14, L. 362-4, R. 324-2 et R. 324-4 du Code du travail, 591 et 593 du Code de procédure pénale, du principe de sécurité juridique, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Thierry Abimelech coupable de recours aux services de travailleurs clandestins ;

”aux motifs que la société Point Mousse Industrie, dite PMI (”La City”) a eu recours à la société Samtex, pour le montage de vestes de sa fabrication, à partir du mois d’août 1996 ; qu’il ressort de l’enquête qu’elle a obtenu de son cocontractant :

"-" un extrait du registre du commerce,

"-" une photocopie de la carte de résident de M. X...,

"-" une attestation de l’URSSAF datée du 1er août 1996 et une attestation datée du 3 février 1997 certifiant, sous réserve de contrôles ultérieurs, que l’entreprise était à jour de ses obligations à l’égard de la sécurité sociale au 15 juillet 1996 et au 15 janvier 1997,

"-" une attestation sur l’honneur d’emploi régulier de salariés datée du 3 février 1997, postérieure de six mois au début des relations contractuelles des deux sociétés,

"-" une convention signée entre les parties le 20 décembre 1996,

"-" une attestation du 2 août 1996 certifiant que la société Samtex était assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée ;

que la société PMI avait obtenu des documents répondant à des exigences formelles qui n’apportaient qu’une indication partielle sur la réalité de l’accomplissement des obligations légales par l’entreprise Samtex ; qu’il est constant que, entre le mois d’août 1996 et la fin du mois de janvier 1997, le montant total de la facturation établie par Samtex à l’égard de PMI atteignait environ 1,5 million de francs ; que le nombre de pièces confectionnées s’élevait à plus de 1 200 pièces au mois d’août 1996, aux environs de 3 500 en septembre et en décembre 1996, à 5 000 pièces au mois d’octobre 1996 et qu’il dépassait ce chiffre au mois de janvier 1997 ;

qu’il est apparu qu’au cours de cette période, trois ou quatre salariés étaient déclarés alors que le travail commandé nécessitait entre huit et onze salariés ; qu’au cours de février 1997, la société Samtex travaillait uniquement pour “La City” ; que M. X... a affirmé qu’il tenait à garder la société PMI comme cliente et que comme cette société demandait d’exécuter ses commandes dans un délai très rapide (quelques jours), il devait “faire face”, en ayant lui-même recours à des travailleurs dissimulés, afin de conserver le travail et d’éviter les “amendes” ou retenues que son cocontractant lui infligeait (par exemple une “amende” de 7 660 francs au mois d’octobre 1996 ; une retenue de 10 000 francs en janvier 1997, laquelle correspondait à la valeur de la marchandise saisie en cours d’enquête) ; que, contrairement aux affirmations de M. Y..., responsable “qualité” de la société PMI, celui-ci ne s’était jamais présenté dans les locaux de fabrication de la société Samtex ; que la société PMI, bien qu’elle soit en position de force par rapport à la société Samtex, n’avait jamais demandé à son cocontractant, en complète situation de dépendance économique, la présentation des bordereaux effectivement envoyés à l’URSSAF ; qu’ainsi, Thierry Abimelech, dirigeant de la société PMI et comme tel responsable des choix économiques de la société et de ses modalités de production, en termes de rapidité, de minoration des coûts et de rentabilité, ne s’est pas assuré que le travail commandé à la société Samtex pouvait être régulièrement réalisé ; que le tribunal a relevé qu’il ressortait des pièces jointes à la procédure que l’URSSAF et l’inspection du travail avaient procédé à des contrôles les 28 octobre 1996, 7 novembre 1996 et 5 décembre 1996 ;

que ces contrôles ont été suivis de la part de l’inspection du travail de constatations concernant le défaut d’affichage de l’horaire de travail et de la tenue du livre de paie, et d’invitations à se mettre en conformité avec les prescriptions légales sous peine d’établissement de procès-verbaux sur ces points, en l’absence de régularisation ; qu’il convient d’observer, cependant, que le registre unique du personnel, tenu de façon régulière, fait apparaître l’embauche de dix-sept salariés au mois d’août 1996, de neuf salariés au mois de septembre 1996, de huit salariés au mois d’octobre 1996, de huit salariés au mois de novembre 1996, et de quatre salariés au mois de décembre 1996 ; que la procédure a débuté par la découverte, de façon incidente, de l’activité irrégulière des époux Z... pour le compte de la société Samtex ; que cette société, qui avait procédé à des déclarations auprès de l’URSSAF et de l’Administration des Impôts et qui se trouvait apparemment en situation régulière à l’égard de ces organismes, leur dissimulait en réalité partiellement le nombre de ses salariés et de son activité, et ceci, en vue d’éluder le paiement de cotisations ou d’impositions ;

que ces pratiques n’ont pu être mises à jour qu’au mois de février 1997, après la production de la facturation délivrée par Samtex à la société PMI, grâce à la mise en oeuvre des dispositions de l’article L. 324-13 du Code du travail autorisant la communication des renseignements ou documents détenus par les agents de contrôle ; que les investigations effectuées par l’Administration à la fin du mois d’octobre 1996, les 7 novembre et 5 décembre 1996 - sur des questions au demeurant très ponctuelles selon les documents versés aux débats et dans des circonstances inconnues quant aux suites données aux vérifications opérées -, n’étaient pas de nature, ainsi que l’ont estimé à tort les premiers juges, à enlever son caractère punissable à l’infraction reprochée à Thierry Abimelech, laquelle était caractérisée à son encontre dès le mois d’août 1996, et donc entièrement consommée à partir de cette date en tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnel, le prévenu ayant sciemment eu recours aux services d’un travailleur clandestin ;

”alors que la loi pénale est d’interprétation stricte, qu’il résulte des dispositions combinées des articles L. 324-9, L. 324-10, L. 324-14, R. 324-2 et R. 324-4 du Code du travail qu’est considérée comme ayant procédé aux vérifications imposées par la loi la personne qui, n’étant pas un particulier, s’est fait remettre par son cocontractant lors de la conclusion du contrat : 1) une attestation de fourniture de déclarations sociales émanant de l’organisme de protection sociale chargé du recouvrement des cotisations sociales incombant au cocontractant et datant de moins d’un an ; 2) un extrait du registre du commerce ; 3) une déclaration sur l’honneur établie par le cocontractant certifiant que le travail sera réalisé par des salariés employés régulièrement au regard des articles L. 143-3, L. 143-5 et L. 620-3 du Code du travail et que l’arrêt qui a expressément constaté que Thierry Abimelech, président directeur général de la société PMI avait obtenu ces documents de la société Samtex, son cocontractant, ne pouvait, sans méconnaître le principe susvisé, entrer en voie de condamnation à son encontre pour recours à un travail clandestin en se référant au non-accomplissement par lui de vérifications qui dépassaient manifestement ses obligations légales ;

”alors que la présomption de vérification résultant de l’article R. 324-4 du Code du travail édicté par le législateur aux fins d’assurer la sécurité juridique des contractants et qui ne distingue pas entre la situation économique des entreprises, ne peut être écartée que dans le cas où il est constaté que la personne qui a confié un travail à un cocontractant, soit a participé à la fraude de ce dernier consistant en la production d’attestations ne correspondant pas à la réalité, soit a accepté en connaissance de cause des documents mensongers et que l’arrêt, qui n’a pas constaté la moindre collusion entre Thierry Abimelech et le gérant de la société Samtex ne pouvait légalement écarter la présomption de vérification édictée par le législateur en se référant à la situation économique dominante du donneur d’ouvrage par rapport à son sous-traitant ;

”alors que les décisions des juges correctionnels ne doivent pas reposer sur des motifs contradictoires ; que pour estimer que Thierry Abimelech n’était pas en règle lors de la conclusion du contrat, la cour d’appel a fait état dans un de ses motifs de ce que l’attestation sur l’honneur d’emploi régulier de salariés datée du 3 février 1997 était postérieure de 6 mois au début des relations contractuelles des deux sociétés PMI et Samtex ; que cette énonciation se trouve en contradiction formelle avec la constatation liminaire de l’arrêt d’où il ressort que Thierry Abimelech avait produit devant les premiers juges une attestation sur l’honneur d’emploi régulier émanant de la société Samtex en date du 18 septembre 1996 et que, dès lors, la cassation est encourue pour violation des dispositions de l’article 593 du Code de procédure pénale ;

”alors qu’il résulte des énonciations de l’arrêt que, non seulement Thierry Abimelech a procédé à toutes les vérifications que lui imposait la loi, mais, qu’en outre, il a procédé à des vérifications qui excédaient les exigences légales, dès lors qu’il s’est fait communiquer par son cocontractant les résultats des contrôles effectués par l’inspection du travail dans son entreprise courant novembre et décembre 1996” ;

Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnel, le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable ;

D’où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article L.131-6, alinéa 4, du Code de l’organisation judiciaire : M. Gomez président, Mme Karsenty conseiller rapporteur, M. Milleville conseiller de la chambre ;

Avocat général : M. Géronimi ;

Greffier de chambre : Mme Nicolas ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : cour d’appel de Paris, 11ème chambre du 16 octobre 1998