Prix insuffisant oui

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 11 mars 1997

N° de pourvoi : 95-82009

Publié au bulletin

Rejet

Président : M. Milleville, conseiller doyen faisant fonction., président

Rapporteur : Mme Batut., conseiller apporteur

Avocat général : M. Cotte., avocat général

Avocat : la SCP Ryziger et Bouzidi., avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

REJET des pourvois formés par Y... Philippe, X... Pierre, contre l’arrêt de la cour d’appel de Toulouse, 3e chambre, du 2 mars 1995, qui, pour recours aux services de travailleurs clandestins, a condamné le premier à 18 mois d’emprisonnement avec sursis et à 20 000 francs d’amende, le second à 18 mois d’emprisonnement avec sursis, a ordonné la publication de la décision et a prononcé sur l’action civile.

LA COUR,

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits, communs aux demandeurs ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 324-9, L. 324-10, L. 324-11, L. 362-3, L. 324-14, L. 620-3 du Code du travail, des articles 485, 593 du Code de procédure pénale :

” en ce que la décision attaquée a déclaré les demandeurs coupables d’avoir eu recours sciemment et directement ou par personne interposée ;

” aux motifs que, respectivement gérant de la SCA La Moutonnade qui exploite un important verger à Montech (Tarn-et-Garonne), et directeur d’exploitation de cette société, Philippe Y... et Pierre X... ont sciemment recouru à un système de contrat d’entreprise passé avec des travailleurs indépendants qui, en tant que preneurs d’ouvrage avec lesquels était passé un contrat, devaient effectuer des travaux agricoles (taille des arbres fruitiers, éclaircissage ou cueillette des fruits) dans les vergers de la société moyennant un prix fixé par heure de travail d’un ouvrier, lesquels travailleurs indépendants recrutaient eux-mêmes des ouvriers, surveillaient l’exécution des travaux et disposaient d’un certain pouvoir de contrôle et de discipline ; que ce système en soi n’était pas illégal, mais, par l’usage qui en a été fait, aurait permis, en réalité de transférer à ces travailleurs indépendants les risques inhérents au recours à des salariés clandestins en facturant l’heure 55 francs de taxe des pommiers avec un minimum de rendement ; que les donneurs d’ordre savaient que les travailleurs indépendants ne pouvaient tirer une quelconque rémunération à leur profit qu’en ne déclarant que partiellement les heures réellement effectuées, dès lors que le coût total de l’heure de travail était de 54,25 francs auquel s’ajoutaient les frais de transport sur les lieux ; que ce système du contrat d’entreprise n’était viable pour le travailleur indépendant que dans la mesure où l’heure facturée aurait été supérieure de 5 à 10 % au coût réel total ; que Philippe Y... et Pierre X... ont si bien compris que c’était la faille du système qu’ils ont soutenu que le coût horaire était de 43,25 francs et non de 54,25 francs, affirmation qui ne repose sur aucun élément et qui en est formellement contredite par les estimations et les justifications émanant des services d’administration en agriculture ; que Philippe Y... et Pierre X... savaient que, pour tout contrat d’un montant supérieur à 20 000 francs, ils devaient vérifier la régularité de la situation du travailleur indépendant au regard de la législation sur le travail clandestin ; que les donneurs d’ordre n’ont effectué aucun contrôle sur la situation des salariés ;

” et aux motifs adoptés des premiers juges que, d’après les éléments fournis par le contrôleur des lois sociales en agriculture, le coût d’une heure de travail, toutes cotisations comprises, avec les congés payés, était de 54,25 francs au 30 juin 1993 ; que, même si ce coût était légèrement inférieur en 1992, il est certain qu’en tenant compte des frais de gestion, même réduits au strict minimum, et des exonérations accordées pour certaines cotisations, les travailleurs indépendants qui recevraient une rémunération de 55 francs par heure de travail ne pouvaient pas faire de bénéfice, y compris sur leur propre travail, et même ne pouvaient pas couvrir leurs frais s’ils déclaraient tous leurs salariés, payaient toutes les charges afférentes à ces emplois ;

” alors, d’une part, que c’est au jour de la conclusion d’un contrat dont l’objet porte sur une obligation d’un montant au moins égal à 20 000 francs que celui qui contracte est tenu de s’assurer que son cocontractant s’acquitte de ses obligations au regard de l’article L. 324-10 du Code du travail ; qu’en reprochant aux demandeurs de ne pas avoir procédé à un contrôle sur le terrain de la situation des salariés employés par les preneurs d’ouvrage la décision attaquée a violé de l’article L. 324-14 du Code du travail ;

” alors, d’autre part, que le donneur d’ouvrage qui contracte avec un travailleur indépendant preneur d’ouvrage pour la réalisation de certains travaux a la possibilité de vérifier l’inscription de celui-ci au registre du commerce, et, le cas échéant, son affiliation à la Mutualité sociale agricole ; qu’il n’a aucun pouvoir de vérification sur le fonctionnement intérieur de l’entreprise du travailleur indépendant avec lequel il traite ; qu’en particulier, si le registre du personnel, par exemple, doit être, en vertu de l’article L. 620-3 du Code du travail, mis à la disposition des délégués du personnel et des fonctionnaires et agents chargés de veiller à l’application du Code de la sécurité sociale, il n’a pas à être tenu à la disposition du contractant d’un preneur d’ouvrage ; qu’en déclarant les demandeurs coupables de recours au travail clandestin pour ne pas avoir procédé à une vérification qu’ils n’avaient pas légalement le pouvoir d’opérer, les juges du fond ont violé les textes visés au moyen ;

” alors, de troisième part, que le fait d’avoir recours aux services d’un travailleur clandestin est un délit intentionnel ; que les juges du fond n’ont pas tiré les conséquences de leurs propres constatations en affirmant, par adoption des motifs des premiers juges, que Philippe Y... et Pierre X... savaient nécessairement que les travailleurs indépendants, pour que le système soit viable pour eux, devaient ne pas déclarer une partie de leurs salariés pour réaliser un bénéfice, de façon à ce que l’heure facturée soit supérieure de 5 à 10 % au coût réel total ; qu’en effet, pour arriver à cette conclusion, les juges du fond affirment que le coût réel total de l’heure de travail était supérieur à 55 francs, prix facturé, car le coût total de l’heure était de 54,55 francs auquel s’ajoutaient des frais de transport sur les lieux et d’amortissement de matériels ; que les juges du fond se sont fondés sur un coût qui aurait été celui de l’heure de travail au 30 juin 1993, cependant qu’il résulte des motifs des premiers juges adoptés par la Cour que le prix de 54,25 francs était celui au 30 juin 1993, et que le coût était légèrement inférieur en 1992 ; que, la prévention portant sur un prétendu recours aux services de travailleurs clandestins de janvier 1992 à juin 1993, la décision attaquée n’est pas légalement justifiée dès lors que les juges du fond se sont fondés sur un coût horaire qui aurait été celui en vigueur à l’expiration de la période où l’infraction aurait été commise et non pendant la durée de cette période ;

” alors, enfin, que sont considérés comme travailleurs occasionnels, de telle sorte que les employeurs bénéficient de réduction d’exonération en ce qui concerne les cotisation de Sécurité sociale, les salariés qui sont recrutés pour une durée qui a varié de 40 à 100 jours ; les demandeurs avaient attiré l’attention des juges du fond sur le fait qu’il existait en agriculture des exonérations pour les 100 premiers jours de travail ; qu’en ne recherchant pas quelle était la charge réelle de travailleurs occasionnels, et si les salariés recrutés par les preneurs d’ouvrage l’étaient pour une période inférieure à celle pendant laquelle les employeurs bénéficiaient de réductions de cotisations sociales, les juges du fond n’ont pas répondu à un motif péremptoire des conclusions des demandeurs et, en tout cas, pas suffisamment motivé leur décision “ ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué que Philippe Y... et Pierre X... sont poursuivis, en qualité respective de gérant et de directeur d’exploitation d’une société exploitant un verger, pour avoir sciemment eu recours aux services de travailleurs agricoles exerçant leur activité sans respecter aucune des obligations prévues à l’article L. 324-10 du Code du travail ;

Attendu que, pour déclarer l’infraction établie, la juridiction du second degré se prononce par les motifs propres et adoptés partiellement reproduits au moyen ;

Attendu qu’en l’état de ces énonciations, abstraction faite des motifs surabondants critiqués à la première branche, la cour d’appel a justifié sa décision au regard des articles L. 324-9 et L. 324-10. 2o du Code précité ;

D’où il suit que le moyen, inopérant en sa deuxième branche, qui évoque un aspect du délit non retenu par la cour d’appel et qui, pour le surplus, se borne à remettre en discussion l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;

Sur le second moyen de cassation : (sans intérêt) ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois.

Publication : Bulletin criminel 1997 N° 97 p. 322

Décision attaquée : Cour d’appel de Toulouse, du 2 mars 1995

Titrages et résumés : TRAVAIL - Travail clandestin - Recours aux services de celui qui exerce une activité clandestine - Eléments constitutifs - Elément intentionnel. Justifie sa décision, sur le fondement des articles L. 324-9 et L. 324-10.2° du Code du travail, la cour d’appel qui, pour déclarer les exploitants d’un verger coupables d’avoir sciemment eu recours aux services des travailleurs agricoles exerçant leur activité sans respecter les obligations prévues par l’article L. 324-10 précité, relève que les prévenus, qui se sont abstenus, lors de la signature des contrats avec les travailleurs indépendants, de procéder aux vérifications prévues par l’article L. 324-14 du même Code, savaient, pour avoir eux-mêmes employé des ouvriers salariés, que, compte tenu de la rémunération versée à leurs cocontractants et du coût de l’heure de travail, ces derniers ne pouvaient réaliser de bénéfices qu’en ne déclarant que partiellement les heures réellement effectuées. (1).

Précédents jurisprudentiels : CONFER : (1°). (1) A rapprocher : Chambre criminelle, 1997-01-21, Bulletin criminel 1997, n° 21, p. 51 (rejet).

Textes appliqués :
* Code du travail L324-10, 2°, L324-9, L324-14