Activité réelle et permanente

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 26 octobre 2004

N° de pourvoi : 03-86970

Publié au bulletin

Rejet

M. Cotte, président

Mme Anzani., conseiller apporteur

M. Finielz., avocat général

la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez., avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-six octobre deux mille quatre, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller ANZANI, les observations de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général FINIELZ ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

 X... Holger,

contre l’arrêt de la cour d’appel de COLMAR, chambre correctionnelle, en date du 22 octobre 2003, qui l’a condamné, pour infraction à la législation sur les transports routiers et travail dissimulé, à 7 000 euros d’amende ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 111-4, 121-1, 121-2, 121-3 du Code pénal, L. 324-9, L. 324-10 du Code du travail, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Holger X... coupable de travail dissimulé et l’a condamné à une amende de 7 000 euros ;

”aux motifs que “à la suite de perquisitions effectuées aux sièges des entreprises de transport de marchandises X... Trans SARL et Y... Trans EURL, sises respectivement 8, rue de la Scheer et 23, allée de la Lohmuhle à Sélestat et cogérées par Charles Z... et Yohann Y... d’une part, Charles Z... et Holger X... d’autre part, étaient relevées une multitude de contraventions de 4ème et 5ème classes, des délits de travail clandestin par dissimulation totale ou partielle de salariés, de fausses attestations de repos et d’activité autre que la conduite, de défaut de commutation des dispositifs permettant d’enregistrer séparément et distinctement les périodes de temps de conduite et celles d’inactivité” ;

”que, “par arrêté du préfet de la région Alsace et du Bas-Rhin, 18 autorisations de transport sur 19 étaient retirées à Charles Z...” ;

”que, “par jugement du tribunal de grande instance de Colmar rendu le 17 septembre 1996 était prononcée la liquidation judiciaire de la société X... Trans” ;

”que “la radiation du registre des transports de la région Alsace et du RCS de Colmar étaient enregistrées le 18 décembre 1996” ;

”que “l’activité était transférée et poursuivie en Allemagne, à Endingen, siège social de l’entreprise X... International” ;

”que “le 24 février 1997, Holger X..., l’un des gérants, présentait au CFE une déclaration d’ouverture du premier établissement en France par une personne morale ayant son siège social à l’étranger, ainsi qu’une demande d’immatriculation au RSC pour l’exploitation d’une SARL au 25, rue de la Lohmuhle” ;

”que “sa demande était rejetée le 19 mars 1997 par le tribunal d’instance de Colmar” ;

”que “des travaux d’aménagement d’une aire de stationnement pour une dizaine de poids lourds et l’installation d’une citerne de gaz-oil d’une capacité comprise entre 10 000 et 15 000 litres et un atelier de réparation des camions étaient constatés en juin et novembre 1997” ;

”que “la perquisition effectuée en décembre 1998 permettait de découvrir un garage avec fosse aménagée et outils professionnels, des documents libellés à l’entête de la société X...” ;

”qu’ “une information était ouverte par le procureur de la République du chef de travail dissimulé et d’exercice d’une activité de transport routier de marchandises établie sur le sol français, sans inscription au registre des transporteurs de la préfecture de Strasbourg” ;

”que “Charles Z..., Holger X... et la société X... International Transporte étaient mis en examen du chef des délits susvisés, commis à Sélestat courant 1997 et 1998, et renvoyés par ordonnance du juge d’instruction devant le tribunal correctionnel sous cette prévention” ;

”qu’en l’espèce, Holger X... a présenté le 24 février 1997 au CFE une déclaration d’ouverture de premier établissement en France, ainsi qu’une demande d’immatriculation au RCS pour l’exploitation d’une SARL au 25, allée Lohmuhle à Sélestat” ;

”que “sa demande a été rejetée le 19 mars 1997 par le tribunal d’instance de Colmar” ;

”qu’ “il a poursuivi son activité malgré le refus d’immatriculation” ;

”qu’ “il résulte du dossier qu’une activité de transport routier était effectuée sur le site de l’établissement de Sélestat, 25, allée de Lohmuhle” ;

”que “les perquisitions opérées dans les locaux de Sélestat, en vertu d’une ordonnance du président du tribunal de grande instance de Colmar, en date du 2 décembre 1998, ont permis de constater l’existence d’un local aménagé en atelier de réparation automobile avec une fosse d’entretien pour camion et de l’outillage élaboré, une carte de visite X... International Transporte avec un numéro de téléphone en Allemagne et en France, un bureau aménagé, des documents comptables, une salle de bains” ;

”que “les documents annexes font état de la présence d’un camion immatriculé en France sur le parking et de nombreuses clés correspondant à des immatriculations françaises” ;

”que “d’autres investigations ont permis de relever l’aménagement d’une aire de stationnement sur les lieux ainsi qu’une citerne de gaz-oil d’une contenance de 10 à 15 000 litres” ;

”que “les documents communiqués par l’URSSAF du Bas-Rhin révèlent que des cotisations sociales sont versées par X... pour deux salariés occupés par l’établissement de Sélestat : M. A... et M. B...” ;

”que “des déclarations faites par des salariés confirment l’existence d’une activité réelle d’acheminement de transport routier” ;

”qu’ “ainsi, selon M. A..., si la gestion commerciale est faite en Allemagne, l’ensemble de la flotte de camion est basé à Sélestat” ;

”que, “selon M. C..., autre salarié, si le siège est en Allemagne, tout le fonctionnement matériel (dépôt, chargement gaz-oil, réparations, la salle de repos) se fait à Sélestat” ;

”que “des plaintes pour nuisances sonores occasionnées par les stationnements et départs de camions frigorifiques, le week-end, ont été déposées par les voisins” ;

”alors, d’une part, que l’article L. 324-10 du Code du travail répute travail dissimulé par dissimulation d’activité, l’exercice à but lucratif d’une activité de production, de transformation, de réparation ou de prestation de services ou l’accomplissement d’actes de commerce par toute personne physique ou morale qui, se soustrayant à ses obligations, n’a pas procédé à son inscription au registre du commerce et des sociétés ; que, dès lors, il appartenait à la cour d’appel de constater que l’activité développée en France était une activité autonome de celle de la société établie en Allemagne, exercée dans un but lucratif ; que la cour d’appel n’a pas recherché et caractérisé l’exercice d’une activité autonome à but lucratif en France imposant l’immatriculation d’un établissement secondaire en France, privant ainsi sa décision de base légale ;

”alors, d’autre part, que l’inscription au registre du commerce et des sociétés d’une société étrangère ne s’impose que si cette société développe une activité autonome en France ; que la cour d’appel constate que, si la gestion commerciale de la société se faisait en Allemagne, l’ensemble de la flotte se trouvait à Sélestat ;

qu’ainsi, la cour d’appel qui constatait que toute l’activité commerciale se faisait en Allemagne, ne pouvait, sans contradiction de motifs, considérer que Holger X... se livrait à une activité commerciale en France ;

”alors, de troisième part, que, pour constater une activité de transporteur en France, la cour d’appel aurait dû établir soit que la société possédait des camions immatriculés en France, soit qu’elle réalisait du transport national ; qu’aucun des indices constatés par la cour d’appel ne permettait de mettre en évidence l’un de ces critères permettant de considérer que l’activité était celle d’un transporteur établi en France ;

”alors, de quatrième part, que l’article L. 324-10, alinéa 1er, du Code pénal, impute le délit de travail dissimulé à la personne, physique ou morale, qui n’a pas requis son immatriculation au registre du commerce et des sociétés ; que l’activité de transport était exercée par la société X... dont Holger X... n’était que le dirigeant ; que, par ailleurs, l’acte de prévention visait le défaut d’immatriculation d’un établissement secondaire de la société X... ; qu’ainsi, l’exercice de l’activité de transport sans immatriculation ne pouvait être imputée qu’à la personne morale, et non à son représentant légal ; que, dès lors, la cour d’appel a retenu la responsabilité pénale de Holger X... en violation de l’article L. 324-40 du Code pénal et des principes de la responsabilité du fait personnel et d’interprétation stricte de la loi pénale ;

”alors, de cinquième part, que le travail dissimulé implique l’intention d’exercer une activité que l’on sait devoir faire l’objet d’une immatriculation au registre du commerce et des sociétés ; que dès lors que la cour d’appel n’a pas constaté une telle intention, elle a privé sa décision de base légale ;

”alors, enfin, que la relaxe de la personne morale pour le compte de laquelle le prévenu, personne physique, a agi, a acquis l’autorité de la chose jugée, l’appel du ministère public n’ayant été interjeté que contre le prévenu, organe ou représentant de la personne morale ; que, dès lors, la cour d’appel ne pouvait retenir la responsabilité du prévenu sans remettre en cause cette autorité de la chose jugée, la relaxe définitive de la personne morale impliquant la reconnaissance que les faits poursuivis ne constituaient pas une infraction” ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 25 II de la loi n° 52-401 du 14 avril 1952, 8-I de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982, et 1, 9, 11, 12 du décret n° 86-567 du 14 mars 1986 ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Holger X... coupable du délit d’exercice d’une activité de transporteur de marchandises sans inscription au registre des transporteurs ;

”aux motifs que “le prévenu conteste l’infraction qui lui est reprochée en invoquant détenir une licence de transport communautaire accordée en vertu du règlement CEE n° 881/92 du Conseil du 26 mars 1992” ;

”que “de telles licences permettent l’exécution de transports entre les Etats de l’Union européenne et depuis le 1er juillet 1998 de transports intérieurs de cabotage” ;

”que “le cabotage présente un caractère temporaire” ;

”que “l’entreprise qui envisage une activité permanente de transport intérieur dans un Etat membre doit s’y établir” ;

”qu’ “en l’espèce, l’entreprise de transport allemande avait une activité permanente en France” ;

”que “le prévenu ne peut donc pas se prévaloir de sa licence européenne” ;

”alors, d’une part, que l’obligation d’immatriculation s’impose uniquement aux transporteurs français ; que la cour d’appel n’a pas caractérisé l’existence d’une activité de transporteur routier distincte de celle développée en Allemagne et distincte d’une simple activité de transit par la France ; que, dès lors, elle a privé sa décision de base légale ;

”alors, d’autre part, que l’activité de cabotage ne peut avoir qu’un caractère temporaire selon l’article 1er du règlement n° 3118/93 du 25 octobre 1993 fixant les conditions de l’admission des transporteurs non-résidants aux transports nationaux de marchandises par route dans un Etat membre ; qu’en constatant une activité de transporteur routier sur le territoire français, sans préciser si cette activité impliquait du transport national et non seulement du transport dans l’espace économique européen qui pouvait être exercé par la société X..., sous couvert de sa licence communautaire, la cour d’appel n’a pu mettre en évidence une activité permanente de transport routier exclusive du cabotage autorisé par le règlement précité” ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que, pour déclarer le prévenu, responsable de droit de la société X... International Transporte dont le siège social est en Allemagne, coupable de travail dissimulé et de défaut d’inscription au registre des transporteurs, l’arrêt énonce, d’une part, que le jugement de relaxe définitif de la société poursuivie ne fait pas obstacle à ce que la responsabilité pénale de la personne physique auteur ou complice des mêmes faits soit engagée, et relève, d’autre part, par les motifs reproduits au moyen, que Holger X... a exercé en France, une activité réelle et permanente de transport routier de marchandises sans avoir requis l’immatriculation, au registre du commerce et des sociétés, de l’entreprise qu’il dirigeait et sans avoir fait inscrire celle-ci au registre des transporteurs tenu à la préfecture ;

Attendu qu’en l’état de ces énonciations, les juges, qui n’étaient pas liés par la relaxe définitive prononcée à l’égard de la personne morale, ont caractérisé en tous leurs éléments les éléments constitutifs, tant matériels qu’intentionnel, des délits visés aux poursuites et ainsi justifié leur décision ;

D’où il suit que les moyens ne sauraient être admis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article L.131-6, alinéa 4, du Code de l’organisation judiciaire : M. Cotte président, Mme Anzani conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Daudé ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Publication : Bulletin criminel 2004 N° 254 p. 951

Décision attaquée : Cour d’appel de Colmar, du 22 octobre 2003

Titrages et résumés : CHOSE JUGEE - Portée - Relaxe d’un prévenu - Poursuite conjointe dirigée contre la personne morale et son dirigeant de droit - Décision de relaxe - Appel du ministère public dirigé contre le seul dirigeant de droit - Effet. Dans le cas d’une poursuite conjointe dirigée contre la personne morale et son dirigeant de droit, coauteurs de l’infraction, la relaxe définitive de la personne morale ne fait pas obstacle à ce que la responsabilité pénale du représentant légal soit retenue par les juges du second degré saisis du seul appel, par le ministère public, du jugement ayant relaxé celui-ci.

Précédents jurisprudentiels : A rapprocher : Chambre criminelle, 1978-06-06, Bulletin criminel, n° 181, p. 457 (cassation) ; Chambre criminelle, 2000-05-30, Bulletin criminel, n° 206 (2), p. 607 (rejet) ; Chambre criminelle, 2001-06-26, Bulletin criminel, n° 161 (2), p. 504 (rejet).

Textes appliqués :
• Code pénal 121-2