Présentation d’un titre d’identité française

CAA de PARIS

N° 19PA01290

Inédit au recueil Lebon

8ème chambre

M. LAPOUZADE, président

Mme Virginie LARSONNIER, rapporteur

Mme BERNARD , rapporteur public

DE FROMENT, avocat(s)

lecture du jeudi 27 février 2020

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Fahma a demandé au tribunal administratif de Melun d’annuler la décision du 17 février 2016 par laquelle le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) a mis à sa charge les sommes de 7 040 euros au titre de la contribution spéciale prévue par l’article L. 8253-1 du code du travail et de 2 124 euros au titre de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l’étranger dans son pays d’origine prévue à l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ensemble la décision du 10 mai 2016 rejetant son recours gracieux.

Par un jugement n° 1703082 du 1er mars 2019, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 12 avril 2019 et 4 octobre 2019, la société Fahma, représentée par Me C..., demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1703082 du 1er mars 2019 du tribunal administratif de Melun ;

2°) d’annuler la décision du 17 février 2016 du directeur général de l’OFII, ensemble la décision du 10 mai 2016 rejetant son recours gracieux ;

3°) de mettre à la charge de l’OFII la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

 les décisions contestées ont été prises par une autorité incompétente ;

 l’OFII a commis une erreur de droit et une erreur d’appréciation dès lors qu’elle a recruté le salarié au vu de l’original de la carte nationale d’identité française que celui-ci lui a présenté et dont elle a remis une copie à son cabinet d’expertise comptable ; elle n’était pas tenue de vérifier l’authenticité de ce document auprès des services de la préfecture et il ne lui appartenait pas de procéder elle-même à la vérification de l’authenticité d’une carte nationale d’identité française ; elle n’avait pas l’intention d’employer un ressortissant étranger démuni de titre de séjour ;

 aucune infraction pour des faits de travail dissimulé n’a été relevée et aucune poursuite n’a été engagée à son encontre par le procureur de la République.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 janvier 2020, l’OFII, représenté par Me F..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Fahma au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 le code du travail ;

 le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

 le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 le rapport de Mme G...,

 et les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Lors d’un contrôle effectué le 21 juillet 2015 dans l’établissement de restauration rapide exploité sous l’enseigne “ Fahma “ par la société du même nom, les services de police ont constaté la présence d’un ressortissant tunisien, M. A... B..., démuni de titre de séjour et de titre de travail l’autorisant à exercer une activité salariée sur le territoire français. Par une décision du 17 février 2016, le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) a mis à la charge de la société Fahma la contribution spéciale prévue par l’article L. 8253-3 du code du travail, d’un montant de 7 040 euros ainsi que la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l’étranger prévue par l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, d’un montant de 2 124 euros. Le recours gracieux formé par la société Fahma à l’encontre de cette décision a été rejeté par une décision de l’OFII du 10 mai 2016. La société Fahma relève appel du jugement du 1er mars 2019 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du 17 février 2016 du directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, ensemble la décision du 10 mai 2016 rejetant son recours gracieux.

2. L’article L. 8251-1 du code du travail dispose que : “ Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France. (...) “. Aux termes de l’article L. 8253-1 du même code : “ Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l’employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l’article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger non autorisé à travailler, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l’article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d’infractions ou en cas de paiement spontané par l’employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger non autorisé à travailler mentionné à l’article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. (...) “. Aux termes de l’article L. 8256-2 du même code : “ Le fait pour toute personne, directement ou par personne interposée, d’embaucher, de conserver à son service ou d’employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France, en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l’article L. 8251-1, est puni d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 15 000 euros. (...) “. L’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dispose que : “ Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être engagées à son encontre et de la contribution spéciale prévue à l’article L. 8253-1 du code du travail, l’employeur qui aura occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquittera une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l’étranger dans son pays d’origine. Le montant total des sanctions pécuniaires prévues, pour l’emploi d’un étranger non autorisé à travailler, au premier alinéa du présent article et à l’article L. 8253-1 du code du travail ne peut excéder le montant des sanctions pénales prévues par les articles L. 8256-2, L. 8256-7 et L. 8256-8 du code du travail ou, si l’employeur entre dans le champ d’application de ces articles, le montant des sanctions pénales prévues par le chapitre II du présent titre. (...) “.

3. Il résulte des dispositions précitées de l’article L. 8253-1 du code du travail et de l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile que les contributions qu’ils prévoient ont pour objet de sanctionner les faits d’emploi d’un travailleur étranger séjournant irrégulièrement sur le territoire français ou démuni de titre l’autorisant à exercer une activité salariée, sans qu’un élément intentionnel soit nécessaire à la caractérisation du manquement. Toutefois, un employeur ne saurait être sanctionné sur le fondement de ces dispositions, qui assurent la transposition des articles 3, 4 et 5 de la directive 2009/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2009 prévoyant des normes minimales concernant les sanctions et les mesures à l’encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, lorsque tout à la fois, d’une part, et sauf à ce que le salarié ait justifié avoir la nationalité française, il s’est acquitté des obligations qui lui incombent en vertu de l’article L. 5221-8 du code du travail et que, d’autre part, il n’était pas en mesure de savoir que les documents qui lui étaient présentés revêtaient un caractère frauduleux ou procédaient d’une usurpation d’identité.

4. Il résulte de l’instruction, en particulier des déclarations concordantes de M. B... et du gérant de la société Fahma, M. E..., consignées par les services de police dans les procès-verbaux des 21 et 27 juillet 2015 dont les énonciations font foi jusqu’à preuve du contraire et de l’attestation du 2 octobre 2019 de Mme D..., comptable et associée du cabinet Carré Expertise et Conseil, produite pour la première fois en appel, que M. B... a présenté au gérant de la société Fahma, en vue de son recrutement, l’original d’une carte nationale d’identité française dont une photocopie a été ensuite remise au cabinet Carré Expertise et Conseil, comptable de la société. Il ressort de la photocopie de ce document versée au dossier qu’il offrait toutes les apparences de l’authenticité. Dans ces conditions, et alors qu’elle n’était pas tenue d’effectuer des vérifications auprès des services de la préfecture pour s’assurer de l’authenticité de cette carte nationale d’identité française qui s’est révélée être un faux, la société requérante, qui dans les circonstances de l’espèce peut utilement se prévaloir de sa bonne foi, est fondée à soutenir qu’elle n’était pas en mesure de savoir que ce document revêtait un caractère frauduleux ou procédait d’une usurpation d’identité. Par suite, elle ne saurait, dès lors, être sanctionnée pour avoir employé M. B....

5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que la société Fahma est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du 17 février 2016 du directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, ensemble la décision du 10 mai 2016 rejetant son recours gracieux.

Sur les frais liés à l’instance :

6. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société Fahma, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que l’OFII demande au titre des frais liés à l’instance. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’OFII le versement à la société Fahma d’une somme de 1 500 euros au titre des frais liés à l’instance.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 1er mars 2019 du tribunal administratif de Melun et les décisions des 17 février 2016 et 10 mai 2016 de l’Office français de l’immigration et de l’intégration sont annulés.

Article 2 : L’Office français de l’immigration et de l’intégration versera à la société Fahma la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions présentées par l’Office français de l’immigration et de l’intégration tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Fahma et à l’Office français de l’immigration et de l’intégration.

Délibéré après l’audience du 30 janvier 2020, à laquelle siégeaient :

 M. Lapouzade, président de chambre,

 M. Luben, président assesseur,

 Mme G..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 27 février 2020.

Le rapporteur,

V. G...Le président,

J. LAPOUZADE

Le greffier,

Y. HERBER