Contribution spéciale oui

Conseil d’État

N° 417837

ECLI:FR:CECHR:2019:417837.20190617

Mentionné dans les tables du recueil Lebon

1ère et 4ème chambres réunies

Mme Bénédicte Fauvarque-Cosson, rapporteur

M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public

LE PRADO ; SCP LEVIS, avocat(s)

lecture du lundi 17 juin 2019

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

M. D...B...a demandé au tribunal administratif de Nice d’annuler la décision du 18 juin 2013 par laquelle le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration a mis à sa charge une somme de 33 600 euros au titre de la contribution spéciale prévue à l’article L. 8253-1 du code du travail. Par un jugement n° 1303995 du 24 novembre 2015, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 15MA05008 du 1er décembre 2017, la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté l’appel formé par M. B...contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er février et 2 mai 2018 et le 14 mars 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. B...demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

 le règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles ;

 le code civil ;

 le code des relations entre le public et l’administration ;

 le code du travail ;

 la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

 la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 ;

 le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

 le rapport de Mme Bénédicte Fauvarque-Cosson, conseiller d’Etat,

 les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Le Prado, avocat de M. B...et à la SCP Lévis, avocat de l’Office français de l’immigration et de l’intégration ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’à la suite du dépôt de plaintes les 27 et 31 mai 2011 par M. C...et son épouse MmeA..., ressortissants kenyans, à l’encontre de M. B..., le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, auquel la procédure avait été transmise, a estimé que M. B... avait employé deux travailleurs étrangers démunis de titre de séjour et d’autorisation de travail. Par une décision du 18 juin 2013, le directeur général de l’office a mis à la charge de l’intéressé la contribution spéciale prévue à l’article L. 8253-1 du code du travail pour un montant de 33 600 euros. Par un jugement du 24 novembre 2015, le tribunal administratif de Nice a rejeté la demande de M. B...tendant à l’annulation de cette décision. M. B...se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 1er décembre 2017 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté son appel contre ce jugement.

Sur l’arrêt attaqué, en tant qu’il rejette les conclusions principales de l’appel de M.B..., tendant à l’annulation du jugement du 24 novembre 2015 et de la décision du 18 juin 2013 et à la décharge de la somme de 33 600 euros :

2. En premier lieu, aux termes de l’article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public, désormais repris à l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration : “ (...) doivent être motivées les décisions qui (...) infligent une sanction “. Aux termes de l’article 3 de cette loi, désormais repris à l’article L. 211-5 du même code : “ La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision “. Il résulte de ces dispositions qu’une décision qui met à la charge d’un employeur la contribution spéciale prévue à l’article L. 8253-1 du code du travail doit comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui fondent cette sanction. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la décision prise le 18 juin 2013 par le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration mentionnait les articles L. 8251-1, L. 8253-1 et R. 8253-2 du code du travail, qui définissent le manquement et la sanction et déterminent son mode de calcul, et qu’elle indiquait que la sanction, dont le montant, en l’absence de minoration ou de majoration, se déduisait en l’espèce directement des dispositions du I de l’article R. 8253-2, était infligée en raison de l’emploi de deux salariés étrangers qu’elle désignait. Par suite, la cour administrative d’appel de Marseille n’a pas commis d’erreur de droit et n’a pas dénaturé les pièces du dossier en jugeant que la décision du 18 juin 2013 était suffisamment motivée.

3. En deuxième lieu, aux termes du premier alinéa de l’article 2044 du code civil : “ La transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître “. L’article 2052 du même code dispose que : “ La transaction fait obstacle à l’introduction ou à la poursuite entre les parties d’une action en justice ayant le même objet “. Il résulte de ces dispositions que la transaction n’a l’autorité de chose jugée en dernier ressort qu’entre les parties à ce contrat et pour l’objet sur lequel il porte. La cour a relevé, sans en dénaturer les termes, que la transaction invoquée par M. B...avait été conclue le 22 mars 2012 par Mme A...avec le requérant et son épouse dans le cadre d’une procédure les opposant devant le conseil de prud’hommes de Cannes. Par suite, cette transaction ne concernait pas les mêmes parties et n’avait pas le même objet que la procédure engagée par M. B...devant le tribunal administratif de Nice puis la cour administrative d’appel de Marseille pour obtenir l’annulation de la contribution spéciale mise à sa charge. Au demeurant, la sanction ainsi infligée à M. B...ne pouvait faire l’objet d’aucune transaction. Dès lors, la cour n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant, pour apprécier l’existence d’un travail subordonné, que l’indication donnée par Mme A...dans le cadre de la transaction avec les épouxB..., selon laquelle elle reconnaissait n’avoir jamais été sous leur subordination juridique, n’était pas de nature à remettre en cause les circonstances de fait, que la cour a souverainement appréciées sans les dénaturer, résultant des déclarations circonstanciées de l’intéressée et de son époux lors de leur audition par les services de police et des constats faits par ces derniers lors de leur intervention sur place.

4. En troisième lieu, aux termes du premier alinéa de l’article L. 8251-1 du code du travail, dans sa rédaction en vigueur à la date du manquement relevé à l’encontre de M. B... : “ Nul ne peut, directement ou par personne interposée, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France “. Ces dispositions s’appliquent en tant que loi de police à tout travail salarié exécuté en France, sans qu’y fassent obstacle les circonstances que le contrat de travail est régi par une autre loi choisie par les parties, a été conclu dans un autre pays ou est principalement exécuté hors de France. En conséquence, ainsi d’ailleurs que le prévoit l’article 9 du règlement (CE) du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, le respect de l’article L. 8251-1 du code du travail s’imposait en France à l’employeur de M.C..., alors même que ce dernier était titulaire d’un contrat de travail soumis à la loi belge. Il en résulte que la cour, qui n’a pas dénaturé les pièces du dossier, n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que la circonstance que M. C...était titulaire d’un tel contrat était sans incidence sur le bien-fondé de la contribution en litige, infligée au motif qu’il était démuni d’un titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France.

Sur l’arrêt attaqué, en tant qu’il rejette les conclusions subsidiaires de l’appel de M.B..., tendant à la réformation du jugement du 24 novembre 2015 et à la réduction à 30 000 euros du montant de la contribution spéciale :

5. Aux termes de l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction en vigueur à la date du manquement relevé à l’encontre de M.B... : “ Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être engagées à son encontre et de la contribution spéciale prévue à l’article L. 8253-1 du code du travail, l’employeur qui aura occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquittera une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l’étranger dans son pays d’origine. / Le montant total des sanctions pécuniaires pour l’emploi d’un étranger en situation de séjour irrégulier ne peut excéder le montant des sanctions pénales prévues par les deux premiers alinéas de l’article L. 364-3 et par l’article L. 364-10 du code du travail (...) “. Il résulte nécessairement de ces dispositions, comme de celles du même article issues de la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, qui n’en modifient pas la portée s’agissant de l’emploi d’un travailleur étranger simultanément dépourvu de titre de séjour et d’autorisation de travailler, que le montant de la contribution spéciale prévue à l’article L. 8253-1 du code du travail ne saurait excéder le plafond établi par l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pour le cas de cumul avec la contribution forfaitaire prévue par cet article. Par suite, la cour a commis une erreur de droit en jugeant que M. B...ne pouvait, dès lors que seule la contribution spéciale prévue à l’article L. 8253-1 du code du travail lui avait été infligée, se prévaloir du plafonnement prévu par les dispositions de cet article.

6. Il résulte de tout ce qui précède que M. B...est fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque en tant seulement qu’il rejette les conclusions subsidiaires de son appel tendant à la réformation du jugement du 24 novembre 2015 et à la réduction du montant de la contribution spéciale prévue à l’article L. 8253-1 du code du travail mise à sa charge.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative dans la mesure de la cassation prononcée.

8. Aux termes du premier alinéa de l’article L. 8256-2 du code du travail, applicable aux personnes physiques : “ Le fait pour toute personne, directement ou par personne interposée, d’embaucher, de conserver à son service ou d’employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France, en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l’article L. 8251-1, est puni d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 15 000 euros “. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 que M. B...est fondé à demander que le montant de la contribution spéciale mise à sa charge, en raison de l’emploi de deux étrangers démunis de titre de séjour et d’autorisation d’exercer une activité salariée en France, soit ramené à 30 000 euros.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de l’Etat, qui n’est pas la partie perdante au présent litige. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions de l’Office français de l’immigration et de l’intégration présentées au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :


Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 1er décembre 2017 est annulé en tant qu’il rejette les conclusions subsidiaires de l’appel de M. B... tendant à la réformation du jugement du tribunal administratif de Nice du 24 novembre 2015 et à la réduction du montant de la contribution spéciale prévue à l’article L. 8253-1 du code du travail mise à sa charge.

Article 2 : La contribution spéciale prévue à l’article L. 8253-1 du code du travail mise à la charge de M. B...est ramenée à un montant de 30 000 euros.

Article 3 : M. B...est déchargé de la différence entre le montant de la contribution spéciale mise à sa charge et celui fixé à l’article 2 de la présente décision.

Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Nice du 24 novembre 2015 est réformé en ce qu’il a de contraire aux articles 2 et 3 de la présente décision.

Article 5 : Le surplus des conclusions du pourvoi de M. B...est rejeté.

Article 6 : Les conclusions de l’Office français de l’immigration et de l’intégration présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 7 : La présente décision sera notifiée à M. D...B...et à l’Office français de l’immigration et de l’intégration.

Abstrats : 335-06-02-02 ÉTRANGERS. EMPLOI DES ÉTRANGERS. MESURES INDIVIDUELLES. CONTRIBUTION SPÉCIALE DUE À RAISON DE L’EMPLOI IRRÉGULIER D’UN TRAVAILLEUR ÉTRANGER. - CONTRIBUTION SPÉCIALE SANCTIONNANT L’EMPLOI IRRÉGULIER D’UN ÉTRANGER (ART. L. 8253-1 DU CODE DU TRAVAIL) - APPLICABILITÉ DU PLAFOND ÉTABLI PAR L’ARTICLE L. 626-1 DU CESEDA, MÊME HORS CAS DE CUMUL AVEC LA CONTRIBUTION FORFAITAIRE PRÉVUE PAR CET ARTICLE - EXISTENCE.

Résumé : 335-06-02-02 Il résulte nécessairement des dispositions de l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010, en vigueur à la date du manquement relevé à l’encontre de l’employeur, comme de celles du même article issues de la loi du n° 2016-274 du 7 mars 2016, qui n’en modifient pas la portée s’agissant de l’emploi d’un travailleur étranger simultanément dépourvu de titre de séjour et d’autorisation de travailler, que le montant de la contribution spéciale prévue à l’article L. 8253-1 du code du travail ne saurait excéder le plafond établi par l’article L. 626-1 du CESEDA pour le cas de cumul avec la contribution forfaitaire prévue par cet article.... ,,Par suite, la cour a commis une erreur de droit en jugeant que l’employeur ne pouvait, dès lors que seule la contribution spéciale prévue à l’article L. 8253-1 du code du travail lui avait été infligée, se prévaloir du plafonnement prévu par cet article.