Fausse sous-traitance - bâtiment

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 3 juin 2014

N° de pourvoi : 12-80357

ECLI:FR:CCASS:2014:CR02297

Non publié au bulletin

Rejet

M. Louvel (président), président

SCP Fabiani et Luc-Thaler, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
 M. Xavier X...,

 La société X...,

 M. Talat Y...,

contre l’arrêt de la cour d’appel de CAEN, chambre correctionnelle, en date du 30 novembre 2011, qui, notamment pour prêt illicite de main-d’oeuvre, travail dissimulé et emploi d’étrangers non munis d’une autorisation de travail, a condamné le premier, à six mois d’emprisonnement avec sursis et 15 000 euros d’amende, la seconde à 30. 000 euros d’amende, et le troisième, à six mois d’emprisonnement et à dix ans d’interdiction de gérer ;
La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 8 avril 2014 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel, président, M. Beauvais, conseiller rapporteur, M. Guérin, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Zita ;

Sur le rapport de M. le conseiller BEAUVAIS, les observations de la société civile professionnelle FABIANI et LUC-THALER, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général CORDIER ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
I-Sur le pourvoi de M. Y... :

Attendu qu’aucun moyen n’est produit ;

II-Sur les autres pourvois :
Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 5, 6 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et des articles préliminaire, 63 et suivants dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
” en ce que l’arrêt attaqué a déclaré irrecevables les exceptions de nullité soulevées par M. X... ;

” aux motifs que, au vu du dossier de la procédure transmis et coté par la juridiction de première instance, la cour constate que, ni le jugement, ni les notes d’audience tenues par le greffier, ne mentionnent que l’avocat assistant M. X...ait régulièrement présenté au premier juge des exceptions de nullité, par voie de conclusions respectant les formes exigées par l’article 459 du code de procédure pénale ; que, par conséquent, la cour n’est pas tenue de répondre aux conclusions de nullité comme irrecevables, car soulevées pour la première fois en cause d’appel par M. X... ;
” alors que la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantit à toute personne dont les droits reconnus par cette convention ont été violés de disposer d’un recours effectif devant une instance nationale ; que sauf à priver le justiciable d’un tel recours effectif, il ne saurait lui être interdit d’invoquer la violation, en méconnaissance de l’article 6 de la Convention, de son droit de se taire et de bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la garde à vue au seul motif qu’il n’avait pas invoqué celle-ci en première instance ;

Attendu que, pour déclarer irrecevable l’exception de nullité de sa garde à vue, soulevée pour la première fois devant la cour d’appel par M. X...et prise de ce que, dès le début de cette mesure, il n’a pas été informé du droit de se taire et n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat, l’arrêt retient que cette exception n’a pas été invoquée avant toute défense au fond devant les premiers juges ;

Attendu qu’en prononçant ainsi, et dès lors que la Cour de cassation est en mesure de s’assurer que, pour retenir la culpabilité des prévenus, les juges ne se sont fondés ni exclusivement ni même essentiellement sur les déclarations de M. X...recueillies au cours de sa garde à vue, la cour d’appel a fait l’exacte application de l’article 385 du code de procédure pénale, sans méconnaître les dispositions conventionnelles invoquées ;
D’où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 8231-1, L. 8234-1, L. 8234-2, L. 8241-1, L. 8243-1, L. 8243-2 du code du travail, 121-6 et 121-7 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, manque de base légale ;

” en ce que l’arrêt attaqué a déclaré la société X...et M. X...coupable de prêt de main d’¿ uvre illicite et de complicité de marchandage, a condamné la société X...à une amende de 30 000 euros et M. X...à une peine de six mois d’emprisonnement avec sursis et à une amende de 15 000 euros ;
” aux motifs que la société X...et la société Wael Decor ont produit les contrats de sous-traitance signés pour les deux chantiers contrôlés ; que la cour fait sienne l’analyse des premiers juges, qui sont allés au-delà des apparences de la légalité, qu’ont voulu donner ces parties à leurs relations contractuelles, en les requalifiant en prêt de main d’¿ uvre ; que M. X...a décrit l’organisation de son entreprise, qui emploie plus de 150 salariés, dont une trentaine affectée au département peinture et dont le planning, programmé en fonction des chantiers, est susceptible d’être perturbé par des retards comme sur le chantier d’Houlgate ; que la société X...a fait appel aux peintres de la société Wael Decor sans technicité particulière, pour accomplir les mêmes tâches, aux côtés de ses propres employés ; qu’alors que l’entreprise Wael Decor a inscrit, comme activité, les travaux de maçonnerie générale et de gros ¿ uvre, son autonomie est discutable ; que ses employés ont affirmé que, s’ils pouvaient apporter le petit outillage comme les pinceaux, les brosses ou du matériel plus sophistiqué comme le pistolet à peinture, conservé par la société X..., c’était le donneur d’ordre qui fournissait les enduits et peintures ; que M. Y...avait admis qu’il n’en avait pas les moyens financiers ; que l’entreprise Wael Decor ne dispose pas, par ailleurs, de locaux ou de véhicules propres ; que le chauffeur qui achemine personnel ou matériel est remboursé de ses frais de carburant ; que si un chef d’équipe de la société Wael Decor pouvait rester sur place, ou M. Y...passer sur le chantier de temps à autre, les employés conviennent qu’ils recevaient leurs instructions de la société X..., qui surveillait leurs travaux, comme en témoigne M. Z..., employé de la société X... ; qu’il est symptomatique que la société Wael Decor n’assistait pas aux réunions de chantier organisées par les maîtres d’ouvrage ; qu’à ce propos, les maîtres d’ouvrage affirment que l’entreprise X...a omis de leur déclarer la sous-traitance avec Wael Decor, qu’ils n’ont agréée que bien après son intervention sur leur site, voire après les opérations de contrôle pour M. A..., le 17 novembre 2009 ; que cette absence d’autonomie dans les moyens et dans l’encadrement du personnel signe la subordination de la société Wael Decor envers la société X..., aggravée par la dépendance économique ; que l’analyse du compte bancaire Bred de la société, effectuée entre juin et décembre 2009, démontre que l’essentiel de son chiffre d’affaire provenait d’un donneur d’ordre, l’entreprise X... ; qu’alors que la même loi de 1975 fixe la rémunération d’un sous-traitant au forfait, lors de la conclusion du marché, selon l’importance des travaux, comme l’a soutenu M. X..., au mètre carré, un examen plus attentif révèle que le gérant de Wael Decor raisonne en fonction d’un coût horaire par salarié ; que les enquêteurs ont d’ailleurs comparé ce coût, évalué à 5, 60 euros en fonction des horaires de travail, du lundi au vendredi de 8 heures à 17 heures avec une pause méridienne d’une heure, et des salaires donnés par les personnes interpellées, avec celui fixé à 27, 50 euros dans l’entreprise X... ; que M. X...a d’ailleurs expliqué que l’absence d’agrément du sous-traitant par le maître d’ouvrage avait, pour finalité, d’abréger les délais de paiement de 45 jours, connaissant leur faible trésorerie ; que la cour déduit de ces éléments l’existence d’un montage, dissimulant la fourniture de main d’¿ uvre par la société Wael Decor à la société X..., à des conditions lui permettant de s’affranchir avantageusement des règles sur le travail temporaire, du coût de leur rémunération (économie des charges sociales) ; qu’il est rappelé ici que, peut être engagée cumulativement la responsabilité pénale de la personne morale qui peut répondre des infractions commises, pour son compte, par son représentant, et celle de la personne physique dirigeante ; que MM. X..., utilisateur de la main d’¿ uvre et Y..., son fournisseur, personnes physiques et la personne morale X...seront donc déclarées coupables du délit reproché de prêt illicite de main d’¿ uvre, puisque cette opération, à but lucratif, avait pour but exclusif le prêt de ces travailleurs, contournant les règles du travail temporaire ; que les conditions d’emploi de ces salariés caractérisent, en outre, le délit de marchandage puisque l’enquête a caractérisé des conditions d’emploi leur causant un préjudice avec une moindre rémunération, protection sociale, par rapport aux salariés permanents de l’entreprise utilisatrice ;

” 1°) alors que l’infraction de prêt de main d’¿ uvre illicite n’est caractérisée que si le prêt de main d’¿ uvre a un but lucratif, ce qui n’est le cas que si les juges constatent un bénéfice, profit ou gain pécuniaire ; qu’en l’espèce, la cour d’appel qui s’est bornée à relever que les salariés de la société Wael Decor étaient faiblement rémunérés sans vérifier si, de leur côté, la société X...et M. X...avaient réalisé un bénéfice, profit ou gain pécuniaire quelconque par le recours à la société Wael Decor, n’a pas caractérisé l’infraction en tous ses éléments ;

” 2°) alors que le maintien d’un lien de subordination entre les salariés et l’entreprise sous-traitante est exclusif de tout prêt de main d’¿ uvre illicite et de tout marchandage ; que la cour d’appel, qui a constaté qu’un chef d’équipe de la société Wael Decor était présent sur le chantier et que M. Y...lui-même s’y était rendu à plusieurs reprises, a caractérisé le maintien d’un lien de subordination entre l’entreprise sous-traitante et les salariés affectés au chantier ;
” 3°) alors que l’absence du sous-traitant aux réunions de chantier, lesquelles ont lieu, non avec les salariés affectés au chantier, mais avec les maîtres d’ouvrage, n’implique pas l’absence de maintien d’un lien de subordination entre l’entreprise sous-traitante et ses salariés ; que la cour d’appel, qui a jugé l’inverse, a statué par des motifs inopérants et n’a pas légalement justifié sa décision ;

” 4°) alors que la subordination du sous-traitant vis-à-vis du donneur d’ordre comme sa dépendance économique à son égard sont des critères indifférents à l’existence des délits de prêt de main d’¿ uvre illicite et de marchandage ; que la cour d’appel ne pouvait donc se fonder sur ces critères pour décider que les deux infractions étaient en l’espèce caractérisées “ ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 8252-1 et L. 8256-2 du code du travail, 591 et 593 du code de procédure pénale ; manque de base légale
” en ce que l’arrêt attaqué a déclaré M. X...et la société X...coupables du délit d’emploi de travailleurs étrangers démunis de titre de travail ;

” aux motifs que non ressortissants d’Etats membres de l’Union européenne, ils les cinq travailleurs visés à la prévention sont soumis à l’obligation d’obtenir un titre de séjour et une autorisation de travail pour exercer une activité professionnelle sur le sol français ; que les enquêteurs ont vérifié que ces personnes ne disposaient pas de ces documents ; que les trois appelants seront déclarés coupables du délit d’emploi des cinq étrangers visés démunis de titres de travail ;

” alors que le délit d’emploi de travailleurs étrangers démunis de titre de travail est une infraction intentionnelle qui requiert, pour être constituée, la connaissance de celui qui emploie directement ou indirectement les travailleurs concernés, de sorte que seul le donneur qui a recours, en connaissance de cause, à un sous-traitant employant des travailleurs démunis de titre de travail, peut être déclaré coupable de l’infraction ; qu’en l’espèce, la cour d’appel, qui n’a pas recherché, ainsi que cela lui était demandé, si la société X...et M. X...n’étaient pas demeurés dans la plus totale ignorance du fait que la société Wael Decor employait des travailleurs démunis de titres de travail, n’a pas caractérisé l’infraction dans tous ses éléments constitutifs “ ;
Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 8221-1, L. 8221-5, L. 8222-1, L. 8224-1, L. 8224-2, L. 8224-3, L. 8224-5 et D. 8222-5 du code du travail, 591 et 593 du code de procédure pénale, manque de base légale, défaut de motifs ;

” en ce que la société X...et M. X...ont été déclarés coupables du délit de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié ;

” aux motifs que les enquêteurs ont vérifié que les cinq ouvriers étrangers visés dans la prévention n’avaient pas fait l’objet de déclaration préalable à l’embauche ; qu’ils ne détenaient ni contrat de travail ni bulletin de paie ; que non ressortissants d’Etats membres de l’Union européenne, ils sont soumis à l’obligation d’obtenir un titre de séjour et une autorisation de travail, pour exercer une activité professionnelle salariée sur le sol français ; que les enquêteurs ont vérifié que ces personnes ne disposaient pas davantage de ces documents ; que si ces ouvriers étrangers ont bien été recrutés, directement par M. Y...ou par un intermédiaire, par suite de la requalification de ses liens avec sa prétendue sous-traitante, il incombait à l’entreprise X...de régulariser les formalités d’obtention d’autorisation de travail préalable, sollicitée auprès de la direction départementale du travail, leur protection sociale et la remise de bulletin de paie et rémunération minimale prévue par la loi française ; qu’il ne pouvait se contenter des pièces et renseignements parfois tronqués ou falsifiés donnés par M. Y... ; que les trois appelants seront déclarés coupables du délit d’emploi des cinq étrangers démunis de titre de travail ; que l’omission de la déclaration à l’organisme social, ou de la remise d’un bulletin de paie, suffit à constituer le délit de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié de l’article L. 8221-5 du code du travail ; qu’il est rappelé que M. X...avait été convoqué, le 23 juillet 2008, par le service de la police air frontière du Havre, comme co-contractant des sociétés NTN Bat, dont le gérant de droit, époux de Mme B..., avait donné pouvoir à M. Y...et la société El Kalawy ; qu’il aurait dû redoubler de vigilance et procéder aux vérifications qui s’imposaient ; que, ce n’est qu’au bout du troisième contrôle qu’il a mis au point une liste type de documents exigés de ses sous-traitants ; que cette violation de ses obligations, en connaissance de cause, constitue l’élément intentionnel pour ce donneur d’ordre professionnel, dirigeant une société d’envergure ;
” 1°) alors que les articles L. 8222-1 et D. 8222-5 du code du travail dans leur rédaction applicable à la cause, qui fixent l’étendue des obligations de vérification mises à la charge du donneur d’ordre, ne font pas obligation à ce dernier de procéder à une enquête destinée à vérifier l’authenticité des documents qui lui sont remis par le sous-traitant mais seulement de se faire remettre un certain nombre de documents attestant de l’accomplissement des formalités de déclaration des salariés, de remise de bulletins de paie et de déclaration et de paiement des cotisations aux organismes sociaux de recouvrement ; que la cour d’appel, qui a constaté que la société X...et M. X...s’étaient fait remettre par la société sous-traitante, les documents établissant que ces formalités avaient été respectées, ne pouvait les déclarer coupables du délit de travail dissimulé au seul motif que les documents remis avaient été « tronqués » et « falsifiés » par M. Y...et que, compte tenu du passé de ce dernier, ils auraient dû « redoubler de vigilance » ;

” 2°) alors et en tout état de cause, que la cour d’appel, qui n’a pas précisé la nature des documents que s’étaient fait remettre les prévenus, de sorte qu’il est impossible en l’état de son arrêt de savoir si la société X...et M. X...avaient respecté leurs obligations, n’a pas mis la Cour de cassation en mesure d’exercer son contrôle et n’a pas légalement justifié son arrêt “ ;

Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué et du jugement qu’il confirme mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu’intentionnel, les délits dont elle a déclaré les prévenus coupables ;

D’où il suit que les moyens, qui reviennent à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le trois juin deux mille quatorze ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : Cour d’appel de Caen , du 30 novembre 2011