Fourniture faux passeports

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 11 décembre 1996

N° de pourvoi : 96-81726

Non publié au bulletin

Rejet

Président : M. BLIN conseiller, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le onze décembre mil neuf cent quatre-vingt-seize, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller CHALLE, les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIE, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général de Z... ;

Statuant sur le pourvoi formé par : - ZHENG X... A...,

contre l’arrêt de la cour d’appel de BESANCON, chambre correctionnelle, du 1er février 1996, qui, pour recel de vol et aide directe ou indirecte à la circulation d’étrangers en France, l’a condamné à 24 mois d’emprisonnement dont 18 mois avec sursis et a prononcé la confiscation des documents administratifs et des devises saisis ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 121-3 et 321-1 du Code pénal, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable de recel de vol ;

”alors qu’il n’ y a point de délit sans intention de le commettre et que l’arrêt qui n’a pas constaté que X... A... Zheng ait eu connaissance de l’origine frauduleuse des passeports en cause, n’a pas légalement justifié sa décision au regard du principe susvisé” ;

Attendu que, pour retenir la culpabilité de X... A... Zheng, du chef de recel de vol, l’arrêt attaqué énonce que “les deux passeports trouvés en sa possession faisaient partie d’un lot de 78 passeports volés dans la nuit du 3 au 4 août 1993 dans le coffre-fort de la mairie de Hoeselt en Belgique” ;

qu’il relève que le prévenu a avoué aux policiers que ces passeports “lui avaient été fournis par un nommé David B..., pour la somme de 15 000 francs” ; que l’arrêt ajoute que la culpabilité de X... A... Zheng résulte “des éléments objectifs ci-dessus rapportés, confortés si besoin était par ses aveux” ;

Attendu qu’en l’état de ces énonciations, souverainement déduites des éléments de preuve contradictoirement débattus, la cour d’appel a justifié sa décision ;

D’où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 132-19 et 132-24 du Code pénal ;

”en ce que l’arrêt infirmatif attaqué a condamné X... A... Zheng à la peine de 24 mois d’emprisonnement dont 18 mois avec sursis ;

”alors qu’en matière correctionnelle, selon les dispositions combinées des articles 132-19 et 132-24 du Code pénal, le choix d’une peine d’emprisonnement sans sursis doit être spécialement motivée en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur et que l’arrêt qui s’est borné à faire état des circonstances de l’infraction sans s’expliquer sur la personnalité du demandeur, encourt la censure de la Cour de Cassation” ;

Attendu que, pour prononcer une peine d’emprisonnement pour partie sans sursis, l’arrêt infirmatif attaqué énonce que “Zheng n’a pas, contrairement à ses dires, agi dans son intérêt ou celui de sa famille ; il est clairement établi qu’il était au service d’une filière internationale et professionnelle d’immigration clandestine à but lucratif ; que, par ailleurs, la nature, la répétition et la gravité des faits reprochés, ainsi que la personnalité de leur auteur, conduisent la Cour a prononcer à son encontre la peine de 24 mois d’emprisonnement dont 18 mois avec sursis” ;

Attendu qu’en l’état de ces motifs, répondant aux exigences des articles 132-19 et 132-24 du Code pénal, la cour d’appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

Que, dès lors, le moyen ne peut qu’être écarté ;

Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation de l’article 21 de l’ordonnance du 2 novembre 1945, de la Convention d’application de l’accord de Shengen du 19 juin 1990, des articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, des articles 113-2, 113-6, 113-7 du Code pénal, 388, 512 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré X... A... Zheng coupable d’aide directe ou indirecte à la circulation irrégulière d’étrangers en France ;

”aux motifs que X... A... Zheng a immédiatement avoué aux policiers de la DICCILEC : “ce matin lorsque j’ai été interpellé à l’entrée en France au poste de Vallorbe, je transportais dans mes bagages deux passeports belges revêtus de photographies de femmes chinoises ;

ces passeports me servent à introduire clandestinement des chinois dans les pays européens ; ces deux passeports m’ont été fournis par un nommé David B..., la première fois, il y a un mois ou deux, il m’a appelé en Russie pour me demander de prendre en charge à Venise à la gare aux environs de midi deux clandestines chinoises pour les convoyer jusqu’à Utrecht en Hollande ; je me suis rendu au rendez-vous prévu avec les deux passeports que vous avez trouvés et j’ai pris en charge les deux clandestines après avoir acheté les billets ;

je les ai convoyées jusqu’à leur destination ; chacune d’elle m’a payé 3 000 francs le 8 août au matin, j’ai reçu un nouveau coup de téléphone de Lin en Russie ; il me demandait si j’était libre pour un nouveau passage de clandestins ; je lui ai répondu que j’étais d’accord et je me suis rendu à Venise avec les passeports ; j’avais rendez-vous le 9 août 1995 à 12 heures à la gare de Venise mais je n’ait trouvé personne sur place ; j’ai patienté jusqu’au soir et ne voyant personne venir, j’ai repris le train pour Paris...” ;

”1 - alors que X... A... Zheng était poursuivi pour avoir, dans le département du Doubs et sur le territoire national, facilité par aide directe ou indirecte la circulation irrégulière d’étrangers dans les termes de l’alinéa 1 de l’article 21 de l’ordonnance n°45-2658 de l’ordonnance modifiée du 2 novembre 1945 ; que la localisation sur le territoire français est un élément essentiel de l’infraction et que la cour d’appel, qui n’a pas constaté que X... A... Zheng ait facilité la circulation d’étrangers sur le territoire français mais qui s’est bornée à faire état d’introduction clandestine de chinois “dans les pays européens”, n’a pas caractérisé l’élément matériel du délit poursuivi ;

”2 - alors que les tribunaux correctionnels ne peuvent statuer légalement que sur les faits relevés par l’ordonnance ou la citation qui les a saisis ; que l’alinéa 3 de l’article 21 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 précitée réprime le fait de faciliter ou de tenter de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d’un étranger sur le territoire d’un autre Etat partie à la convention signée à Schengen le 19 Juin 1990 ; qu cette infraction est distincte de celle définie à l’alinéa 1er ; que l’alinéa 3 susvisé autorise la poursuite devant les juridictions française d’aide à l’immigration clandestine à partir de la France dans les autre pays signataires à l’accord de Schengen à la double condition que cette circonstance soit visée dans la prévention sauf en cas de comparution volontaire du prévenu dûment constatée par les juges correctionnels et que les Etats intéressés aient dénoncé officiellement ou produit une attestation de l’autorité compétente ; que ni l’une ni l’autre de ces deux conditions n’étant constatée par l’arrêt, la cour d’appel a, en réprimant l’aide à l’introduction clandestine d’étrangers dans d’autres pays européens au demeurant non précisés, excédé ses pouvoirs ;

”3 - alors que la loi française n’est applicable qu’aux infractions commises sur le territoire de la république ; qu’en entrant en voie de condamnation à l’encontre de X... A... Zheng, de nationalité étrangère, au regard de faits commis à l’étranger qui, s’ils s’avéraient délictueux, n’ont pas causé de préjudice à une victime française, la cour d’appel a violé les textes susvisés” ;

Attendu que, pour retenir la culpabilité de X... A... Zheng du chef d’aide directe ou indirecte à la circulation d’étrangers en France, les juges du second degré se bornent à citer les déclarations de l’intéressé qui a reconnu “introduire clandestinement des chinois dans les pays européens” ;

Attendu qu’en prononçant ainsi, sans rechercher si le prévenu, qui avait pris en charge les deux ressortissantes chinoises à Venise pour les convoyer à Utrecht, avait introduit celles-ci sur le territoire français, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;

Attendu, cependant, que la censure n’est pas encourue, la peine prononcée étant justifiée, dans les conditions prévues par l’article 598 du Code de procédure pénale, par la déclaration de culpabilité du chef de recel de vol ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Blin conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Challe conseiller rapporteur, MM. Aldebert, Grapinet, Mistral conseillers de la chambre, Mmes Y..., Verdun conseillers référendaires ;

Avocat général : M. de Gouttes ;

Greffier de chambre : Mme Ely ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : cour d’appel de Besançon chambre correctionnelle , du 1 février 1996