Rémunération - travail - hébergement indignes

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 14 octobre 2014

N° de pourvoi : 13-84501

ECLI:FR:CCASS:2014:CR04794

Non publié au bulletin

Rejet

M. Guérin (président), président

SCP Piwnica et Molinié, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :

 Mme Kafa X...,

contre l’arrêt de la cour d’appel de LYON, 7e chambre, en date du 16 mai 2013, qui, pour obtention abusive de la part d’une personne vulnérable ou en situation de dépendance, de services non rétribués ou insuffisamment rétribués, soumission d’une personne vulnérable à des conditions de travail et d’hébergement incompatible avec la dignité humaine, aide au séjour irrégulier d’un étranger en France, emploi d’un étranger non muni d’une autorisation de travail en France et travail dissimulé, l’a condamnée à deux ans d’emprisonnement dont un an avec sursis, 150 000 euros d’amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 2 septembre 2014 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président et conseiller rapporteur, MM. Beauvais Straehli, conseillers de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
Sur le rapport de M. le conseiller GUÉRIN, les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIÉ, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général BERKANI ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, L. 8221-1, L. 8221-5, L. 8224-1, L. 8224-3, L. 8224-4, L. 8251-1, L. 8256-3, L. 8256-4, L. 8325-6 et L. 341-6, L. 364-3, L. 364-8, L. 364-9 et L. 364-10 du code du travail, L. 211-1, L. 311-1, L. 622-1, L. 622-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, préliminaire, 388, 591 à 593 du code de procédure pénale, défaut de motif, manque de base légale ;
” en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Mme Kafa X...coupable d’infractions à la législation du travail et à la législation des étrangers et en répression l’a condamnée à deux ans d’emprisonnement dont un avec sursis et à 150 000 euros d’amende et a prononcé sur les intérêts civils ;
” aux motifs que l’article L. 1262-3 du code du travail (créé par la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 et reprenant les anciennes dispositions de l’article L. 342-4 du même code) dispose qu’un employeur ne peut se prévaloir des dispositions applicables au détachement de salariés lorsque son activité est entièrement orientée vers le territoire national ou lorsqu’elle est réalisée dans des locaux situés sur le territoire national à partir desquels elle est exercée de façon habituelle, stable et continue ; que dans ces situations, l’employeur est assujetti aux dispositions du code du travail applicables aux entreprises établies sur le territoire national ; que compte tenu du caractère non probant de l’attestation du ministère libyen du travail, la permanence sur de longues périodes de l’emploi et du séjour en France de Mmes Anna et Lyiya E..., Grâce Z...et de M. Rashid ... A...telle qu’elle résulte des éléments du dossier relevait d’une activité habituelle, stable et continue qui aux termes des dispositions ci-dessus aurait dû conduire Mme Kafa X...épouse B...à procéder aux démarches déclaratives applicables aux entreprises établies sur le territoire national ; qu’au surplus, les formalités prévues par les textes pour la mise en place d’un détachement n’apparaissent pas remplies et notamment la déclaration à la direction départementale du travail ; que, pour leur emploi en France au service de Mme Kafa X..., Mmes Anna et Lyiya E..., Grâce Z...et de M. Rashid ... A...n’ont fait l’objet d’aucune déclaration préalable à l’embauche ; que Mme Kafa X...n’ignorait pourtant rien de la réglementation applicable à ses salariés, dès lors qu’elle a pu procéder à l’accomplissement des formalités appropriées à l’égard de certains de ses salariés européens ; que les visas délivrés à Mmes Anna et Lyiya E..., Grâce Z...et à M. Rashid ... A..., qu’il s’agisse des visas Schengen ou des visas touristiques délivrés par les autorités suisses, ne permettaient pas à leurs bénéficiaires d’exercer une activité professionnelle stable en France ;

que l’infraction d’emploi d’étrangers non munis d’un titre les autorisant à exercer une activité salariée en France apparaît établie ; qu’en revanche la violation manifeste et délibérée des conditions d’attribution des visas invoquée par le tribunal correctionnel pour considérer comme irréguliers les séjours en France de Mmes Anna et Lyiya E..., Grâce Z...et de M. Rashid ... A...n’apparaît pas établie, aucun élément du dossier ne démontrant que ces visas auraient été obtenus irrégulièrement ; que si l’article R. 321-6 du code des étrangers dispose que « lorsqu’un étranger est autorisé à séjourner en France sous couvert d’un titre de voyage revêtu d’un visa requis pour les séjours n’excédant pas trois mois, ce visa peut être abrogé si l’étranger titulaire de ce visa exerce en France une activité lucrative sans y avoir été régulièrement autorisé », l’abrogation du visa est aux termes de l’article R. 321-7 du même code décidée par le préfet, formalité qui n’a pas été accomplie en l’espèce ; qu’en revanche, s’agissant de Mme Grace Z..., le dernier visa Schengen figurant sur son passeport l’autorisait à un séjour en France au plus tard jusqu’au 3 janvier 2009 ; que Mme Grâce Z...s’est maintenue sur le territoire national jusqu’au 18 mai 2009 à l’expiration du litre l’y autorisant ; que Mme Kafa X...épouse B...a été à l’origine de l’arrivée sur le territoire national de Mme Grâce Z..., à laquelle elle a fourni les billets d’avion pour se rendre en France, et qu’elle a ensuite employée sur le territoire français ; que l’infraction apparaît établie de ce chef s’agissant de Mme Grâce Z... ;
” 1°) alors qu’il appartient à la partie poursuivante de rapporter la preuve des éléments constitutifs du délit de travail dissimulé par dissimulation d’activité salariée ; qu’en déclarant Mme Kafa X...coupable du délit de travail dissimulé par dissimulation d’activité salariée en considérant que l’attestation du ministère du travail de Lybie que Mme Kafa X...avait versé aux débats n’aurait revêtu aucun caractère probant du détachement temporaire des employés africains sur le territoire français, la cour d’appel a inversé la charge de la preuve en méconnaissance des textes susvisés ;
” 2°) alors qu’en cas de détachement en France de salariés employés à l’étranger, le délit de travail dissimulé par dissimulation d’activité salariée ne peut être reproché à l’employeur que si son activité est entièrement orientée vers le territoire national ou lorsqu’elle est réalisée dans des locaux ou avec des infrastructures situées sur le territoire national à partir desquels elle est exercée de façon habituelle, stable et continue ; qu’en considérant que Mme Kafa X...ne pouvait se prévaloir d’un détachement temporaire des salariés détachés par le protocole libyen en se bornant à constater qu’aucune déclaration préalable de détachement n’avait été déposée sans vérifier si ces salariés avaient étaient affectés à l’exercice d’une mission habituelle, stable et continue en France, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision ;
” 3°) alors qu’en déclarant Mme Kafa X...coupable du délit d’embauche irrégulière d’un salarié étranger parce qu’un salarié étranger avait travaillé en ne bénéficiant que d’un visa touristique, en dépit de ce que le salarié en question était M. Issa C... D..., qui n’était pas visé à la prévention en raison des faits le concernant, tandis qu’il ne résultait d’aucune mention de l’arrêt, ni du jugement entrepris, ni des pièces de la procédure que Mme Kafa X...ait accepté d’être jugé sur d’autres faits que ceux concernant Mmes Lyiya et Anna E..., Mme Grâce Abdallah Z...et M. Rashid A..., la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision ;
” 4°) alors qu’en déclarant Mme Kafa X...coupable du chef d’aide au séjour irrégulier de Mme Grace Z...en se bornant à constater que celle-ci était présente dans la résidence secondaire occupée par la prévenue sans rechercher, comme elle y était invitée, si cette employée n’était pas aux services de son époux qui avait pris à sa charge les formalités pour la faire entrer et pour la maintenir sur le territoire français, la cour d’appel a privé sa décision de toute base légale “ ;
Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu’intentionnel, les délits de travail dissimulé, d’aide au séjour irrégulier d’un étranger en France et d’emploi d’un étranger non muni d’une autorisation de travail en France, dont elle a déclaré la prévenue coupable ;
D’où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 225-13 et suivants du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motif, manque de base légale ;
” en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Mme Kafa X...coupable du délit de soumission d’une personne, dont la vulnérabilité ou l’état de dépendance sont apparents ou connus de l’auteur, à des conditions de travail ou d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine et en répression l’a condamnée à deux ans d’emprisonnement dont un avec sursis et à 150 000 euros d’amende et a prononcé sur les intérêts civils ;
” aux motifs que les déclarations concordantes de Mmes Anna et Lyiya E..., de Mme Grâce Z...et de M. Rashid ... A...selon lesquelles ils devaient se tenir à disposition de Mme Kafa X...lors de ses séjours en France à toute heure et sept jours sur sept, sont étayées, au moins partiellement, par les déclarations de personnes les ayant fréquentés ; qu’outre cet élément, les tentatives faites par la prévenue dans sa défense pour discréditer les déclarations des parties civiles comme ayant pu être organisées par celles ci ne résistent pas à l’examen, les parties civiles ainsi que Mme Issa C... D..., qui n’ont pas déposé plainte spontanément, ayant été interpellés et entendus à des dates différentes qui excluent toute concertation ou complot contre l’employeur ; qu’il apparaît ainsi que ces salariés ne disposaient d’aucun jour de repos régulier, et pouvaient travailler quotidiennement de manière répétée de six heures du malin à la nuit, sans qu’aucun horaire de travail régulier et prévisible ne leur soit fixé ; que Mmes Anna et Lyiya E..., Mme Grâce Z...et M. Rashid ... A...sont arrivés d’Afrique noire sans maîtriser la langue française ; qu’ils ne disposaient en France d’aucun entourage familial ou social ; que, en l’absence de toute formation ou même de connaissance élémentaire sur le fonctionnement de la société française, il leur aurait été particulièrement difficile de pouvoir prétendre à une formation ou à un autre emploi sur le territoire national ; qu’ils dépendaient entièrement des moyens de subsistance qui leur étaient alloués de façon parcimonieuse par Mme Kafa X... ; que celle ci conservait la plupart du temps en sa possession selon les parties civiles les documents d’identité de ses salariés afin de prévenir toute velléité de départ, rétention corroborée par le fait que lors de la visite des services de police à son domicile, la prévenue conservait sans son sac à main le passeport de M. Rashid ... A... ; que Mme Kafa X...avait en outre insisté auprès de ses salaries sur les risques qu’ils pouvaient encourir en cas de contrôle de police ; que même si ponctuellement, les victimes pouvaient sortir du domicile, leur situation d’isolement sur le territoire français, la main-mise de Mme Kafa X...sur leurs conditions de vie, leur absence d’autonomie financière du fait des très faibles rémunérations qui leur étaient versées, la rétention des documents de voyage, caractérisent l’état de dépendance exigé par le texte, état d’autant plus connu par Mme Kafa X...qu’elle en était l’instigatrice ; que sur les conditions d’hébergement, les services de police lorsqu’ils sont intervenus à la maison de Prevessin Moens ont noté que Mme Grace Z...occupait une chambre située dans le prolongement du garage, qu’ils ont décrite comme propre, avec un canapé convertible servant de lit, un poste de télévision sur la table basse, des étagères permettant le rangement du linge, un coin sanitaire toilette composé d’un WC et d’une cabine de douche, l’espace de toilette étant propre ; que les policiers ont constaté la présence sur le poste de télévision de vaisselle et d’un téléphone fixe ; que cette chambre apparaît au vu de leurs déclarations avoir été occupées successivement par Mmes Lyiya E...et Anna E...ensemble, puis par Mme Grâce Z... ; que les photographies de cette chambre et la description qui en est faite ne permettent pas de caractériser à l’encontre de la prévenue, s’agissait des victimes Mmes Lyiya E..., Anna E...et Grâce Z..., des conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine ; qu’en revanche, s’agissant de M. Rashid ... A..., aucun élément ne vient contredire ses déclarations aux termes desquelles il dormait dans différentes pièces, et en présence d’invités, dans un coin discret, et mangeait dans les cuisines les restes de la famille B..., détournant discrètement de la viande pour manger à sa faim ; que s’agissant des conditions de travail, outre la rémunération insuffisante qui sera analysée ci-dessous, les constatations médicales réunies au cours de l’information, s’agissant des auditions des professionnels de santé consultés comme des expertises réalisées, confortent les déclarations de Mmes Anna et Lyiya E..., Grâce Z...et de M. Rashid ... A...selon lesquelles ils ne pouvaient manger librement à leur faim, ces éléments caractérisant, avec l’imposition d’horaires d’une amplitude très importante, des conditions de travail incompatibles avec la dignité humaine au sens des dispositions de l’article 225-14 du code Pénal, s’agissant de Mmes Anna et Lyiya E..., de Mme Grace Z...et de M. Rashid ... A... ; que ces conditions de travail n’ont pu être imposées à ces salariés qu’à raison de leur état de dépendance et de vulnérabilité à l’égard de Mme Kafa X..., leur employeur ;
” 1°) alors que les conditions d’hébergement, incompatibles avec la dignité humaine, supposent le fait de loger une personne moyennant une contrepartie financière ; qu’en déclarant Mme X... coupable du délit d’hébergement contraire à la dignité humaine à l’égard de M. Rashid ... A...sans constater l’existence d’une contrepartie financière réclamée ou obtenue par Mme Kafa X..., la cour d’appel a privé sa décision de toute base légale ;
” 2°) alors que des conditions d’hébergement compatibles avec la dignité humaine ne nécessitent pas un droit à l’intimité de la vie privée ; qu’en déclarant Mme X... coupable du délit d’hébergement contraire à la dignité humaine à l’égard de M. Rashid ... A...parce que celui-ci aurait dormi en présence d’autres personnes, la cour d’appel s’est prononcée par un motif inopérant et a privé sa décision de toute base légale ;
” 3°) alors que des conditions d’hébergement compatibles avec la dignité humaine n’incluent pas l’obligation de nourrir la personne hébergée ; qu’en déclarant Mme X... coupable du délit d’hébergement contraire à la dignité humaine à l’égard de M. Rashid ... A...parce que celui-ci n’aurait pas été nourri à sa faim sous le toit de Mme Kafa X..., la cour d’appel s’est prononcée par un motif inopérant et a privé sa décision de toute base légale ;
” 4°) alors qu’en déclarant Mme X... coupable du délit de soumission à des conditions de travail contraires à la dignité humaine à l’égard de M. Rashid ... A..., Mmes E...et de Mme Grace Z...par privation de nourriture, la cour d’appel s’est prononcée par un motif inopérant dès lors que cette circonstance, à la supposer établie,- ce qui n’est pas-est étrangère aux conditions de travail des employés affectés aux tâches domestiques, et a privé sa décision de toute base légale ;
” 5°) alors qu’en déclarant Mme Kafa X...coupable du délit d’hébergement contraire à la dignité humaine à l’égard de M. Rashid ... A..., de Mmes E...et de Mme Z...parce que ceux-ci auraient « au moins partiellement » été exposés à de grandes amplitudes travail, sans préciser concrètement quel avait été leur rythme de travail lors des séjours de Mme Kafa X...et quel aurait été leur rythme de travail lorsque celle-ci se trouvait en Lybie, la cour d’appel a privé sa décision de toute base légale “ ;
Attendu que, pour déclarer la prévenue coupable du délit de soumission d’une personne vulnérable à des conditions d’hébergement contraires à la dignité humaine au préjudice de M. Rashid ... A...et du délit de soumission d’une personne vulnérable à des conditions de travail et d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine au préjudice de Mmes Anna E..., Lyiya E...et Grace Z...et de M. Rashid ... A..., l’arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu’en l’état de ces énonciations, procédant de son appréciation souveraine des éléments de preuve contradictoirement débattus, la cour d’appel a justifié sa décision ;
D’où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 225-13 et suivants du code pénal, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motif, manque de base légale ;
” en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Mme Kafa X...coupable d’obtention d’une prestation par une personne vulnérable sans contrepartie réelle, en répression, l’a condamnée à deux ans d’emprisonnement dont un avec sursis et à 150 000 euros d’amende et a prononcé sur les intérêts civils ;
” aux motifs que si le conseil de Mme X... a produit une attestation du directeur de l’administration du travail et de l’emploi de Lybie affirmant que les plaignants étaient salariés et déclarés en Libye, et devaient loucher des rémunérations mensuelles oscillant entre 736 et 1 029 euros mensuels, force est de constater que compte tenu des fonctions occupées à l’époque au sein du régime libyen par l’époux de la prévenue, les indications y mentionnées n’apparaissent pas probantes, la prévenue n’ayant malgré la longueur de la procédure produit aucun autre élément attestant d’un paiement effectif des sommes susmentionnées, et ayant même répondu au cours de l’instruction, à la question : « pourquoi aviez vous besoin de donner aux parties civiles de l’argent de poche si celles-ci avaient un salaire régulier par ailleurs » : « en fait ils n’ont jamais touché leurs salaires. À Tripoli quand ils le touchaient, ils l’envoyaient directement à leur famille ou ils le gardaient pour eux je n’en sais rien. Je ne sais pas de quelle manière ils touchaient leurs salaires et sous quelle forme, je sais juste qu’ils signaient une justification », signature dont les parties civiles n’ont jamais fait état et aucun document en ce sens n’ayant été produit ; qu’il apparaît en réalité que les rémunérations des parties civiles se sont limitées à des sommes données en liquide de façon aléatoire par Kafa X..., celle ci ayant parlé de « 100 à 200 euros hebdomadairement », puis de « toutes les deux semaines à peu près 300 euros pour chacun », avant d’évoquer une absence de versement régulier, l’argent étant donné aux salariés lorsqu’ils souhaitaient faire des courses, pour leur famille ; que même s’ils ne demandaient rien, je sentais lorsqu’ils en avaient besoin ; qu’aucune de ces déclarations ne permet d’infirmer celles des parties civiles sur les rémunérations dérisoires eu égard au travail effectué ;
” 1°) alors qu’en déclarant Mme Kafa X...coupable du délit d’obtention d’une personne, dont la vulnérabilité ou l’état de dépendance sont apparents ou connus de l’auteur, la fourniture de services non rétribués ou en échange d’une rétribution manifestement sans rapport avec l’importance du travail accompli parce que la déclaration du directeur de l’emploi et du travail de Lybie aurait été dénuée de toute valeur probante à démontrer le paiement des salaires des employés africains en Lybie, la cour d’appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur la prévenue, a inversé la charge de la preuve en méconnaissance des textes susvisés ;
” 2°) alors que la cour d’appel ne pouvait, sans méconnaître les pièces de la procédure, déclarer la prévenue coupable du délit d’obtention d’une personne, dont la vulnérabilité ou l’état de dépendance sont apparents ou connus de l’auteur, la fourniture de services non rétribués ou en échange d’une rétribution manifestement sans rapport avec l’importance du travail accompli en déduisant un aveu de non-paiement de salaires de la déclaration selon laquelle « ils n’ont jamais touché leurs salaires. À Tripoli quand ils le touchaient, ils l’envoyaient directement à leur famille ou ils le gardaient pour eux je n’en sais rien » tandis que Mme Kafa X...ne faisait que rappeler, au travers de cette déclaration, que le salaire des employés africains détachés était payé non par elle, en France, mais par le protocole ou la société de son époux en Lybie ; qu’en retenant cette déclaration sans mieux s’en expliquer, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés ;
” 3°) alors qu’en déclarant Mme Kafa X...coupable du délit d’obtention d’une personne, dont la vulnérabilité ou l’état de dépendance sont apparents ou connus de l’auteur, la fourniture de services non rétribués ou en échange d’une rétribution manifestement sans rapport avec l’importance du travail accompli, sans indiquer précisément quelle était la nature des conditions de travail des parties civiles et leur amplitude, la cour d’appel ne s’est pas assurée du caractère disproportionné des prestations effectuées et a privé sa décision de toute base légale “ ;
Attendu que, pour déclarer Mme X... coupable d’obtention d’une prestation, par une personne vulnérable, sans contrepartie réelle, l’arrêt, après avoir retenu que les conditions de travail imposées étaient incompatibles avec la dignité humaine, prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu’en l’état de ces énonciations, procédant de son appréciation souveraine des éléments de preuve contradictoirement débattus, exemptes d’insuffisance comme de contradiction et répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont ils étaient saisis, les juges ont caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnel, le délit dont ils ont déclaré la prévenue coupable ;
D’où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 122-1, 132-19, 132-24, 132-25, 132-26, 132-26-1 du code pénal, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motif, manque de base légale ;
” en ce que l’arrêt attaqué a condamné Mme Kafa X...à la peine de deux ans d’emprisonnement dont un an assorti du sursis ;
” aux motifs que sur la peine, les faits se traduisent par l’imposition par l’employeur aux quatre victimes visées par la prévention de conditions de travail indignes et hors du cadre légal du droit du travail français ; que cette situation est d’autant plus inadmissible que Mme Kafa X...avait largement les moyens de payer décemment ses salariés et de respecter en la matière les dispositions légales, voire de recruter d’autres salariés sans avoir à imposer aux quatre victimes des horaires et conditions de travail exorbitants ; que ces conditions de travail se sont traduites pour certaines victimes par des problèmes de dénutrition, l’un des médecins ayant pu parler d’une situation correspondant à un servage sévère, même s’il n’était pas exercé de violences physiques ; que Mme Kafa X...n’a jamais marqué aucun regret ni compassion pour les victimes de cette situation, et a même, sous couvert d’explications fallacieuses, refusé de comparaître personnellement et de s’expliquer lors de l’audience de la cour, malgré la demande qui lui en était faite ; que l’ensemble de ces éléments justifie le prononcé d’une peine d’emprisonnement pour partie sans sursis, toute autre peine apparaissant manifestement inadéquate au vu de la gravité des faits, nonobstant l’absence de mention au casier judiciaire de la prévenue ; que la cour ne dispose pas d’éléments justifiant de la situation notamment professionnelle de la prévenue, qui pourraient lui permettre d’ordonner un aménagement de la peine d’emprisonnement sans sursis ; qu’il y a lieu compte tenu de la gravité des faits et du train de vie de la prévenue tel qu’il se déduit des éléments du dossier de porter le montant de la peine d’amende à 150 000 euros ;
” 1°) alors qu’en matière correctionnelle, en dehors des condamnations en récidive légale prononcées en application de l’article 132-19-1, une peine d’emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu’en dernier recours si la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ; qu’en se bornant à la référence à la « gravité des faits », et en ne motivant pas le choix d’un emprisonnement sans sursis par des éléments concrets et détaillés relatifs à la personnalité et aux antécédents de la prévenue, de nature à établir tant la nécessité de la peine que le caractère manifestement inadéquat de toute autre sanction, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision ;
” 2°) alors qu’en matière correctionnelle, lorsque la juridiction prononce une peine d’emprisonnement sans sursis, celle-ci doit, si la personnalité et la situation du condamné le permettent, et sauf impossibilité matérielle, faire l’objet d’une des mesures d’aménagement prévues aux articles 132-25 à 132-28 du code pénal ; qu’en refusant le bénéfice d’un aménagement de la peine d’emprisonnement sans sursis prononcée à l’encontre de Mme Kafa X...parce qu’elle n’aurait pas disposé d’éléments justifiant de la situation notamment professionnelle de la prévenue en raison de l’absence de la prévenue à l’audience, la cour d’appel, qui a constaté que Mme Kafa X...était représentée à l’audience par son conseil muni d’un pouvoir, n’a pas légalement caractérisé une impossibilité matérielle d’aménager la peine et a privé sa décision de toute base légale “ ;
Attendu que la cour d’appel a prononcé une peine d’emprisonnement sans sursis par des motifs qui satisfont aux exigences de l’article 132-24 du code pénal ;
D’où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quatorze octobre deux mille quatorze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : Cour d’appel de Lyon , du 16 mai 2013