Camion-toupie - livraison béton prêt à l’emploi

Cour de cassation

chambre civile 2

Audience publique du 20 mars 2008

N° de pourvoi : 06-20480 07-10011

Non publié au bulletin

Rejet

M. Gillet (président), président

SCP Boulloche, SCP Boutet, SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Piwnica et Molinié, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Joint les pourvois n° K 06-20. 480 et n° B 07-10. 011 ;

Donne acte à MM. Bernard X..., B..., C..., D..., Y... et E... de ce qu’ils se désistent de leur pourvoi n° B 07-10. 011 en ce qu’il est dirigé contre MM. Z..., A..., Joseph X..., F..., G..., H..., I... et J... ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence,12 septembre 2006), que la caisse primaire d’assurance maladie des Bouches-du-Rhône et celle du Vaucluse ont décidé d’assujettir au régime général de la sécurité sociale pour les années 1997 et 1998 respectivement, d’une part, MM. Z..., A..., Bernard X..., B..., Joseph X..., C..., F..., D..., G..., H..., I... et J..., d’autre part, MM. Y... et E... au titre de leur relation professionnelle avec la société Cemex bétons Sud Est anciennement dénommée Béton de France Sud-Est (la société) ; que ceux-ci ont contesté ces décisions devant la juridiction de sécurité sociale ;

Sur le premier moyen des pourvois n° s K 06-20. 480 et B 07-10. 011, réunis :

Attendu que la société et MM. Bernard X..., B..., C..., D..., Y... et E... font grief à l’arrêt de prononcer l’assujettissement des intéressés, alors, selon le moyen :

1° / que selon l’article 456 du code de procédure civile, le jugement est signé par le président et par le secrétaire ; qu’en cas d’empêchement du président, mention en est faite sur la minute qui est signée par un des juges qui en ont délibéré ; qu’en l’espèce, un arrêté du ministre de la justice du 31 mars 2005 ayant admis M. François K... à faire valoir ses droits à la retraite avec maintien en fonctions jusqu’au 30 juin 2006, viole l’article 456 du code de procédure civile l’arrêt qui constate qu’il a été signé par M. François K..., en qualité de président, à une date où celui-ci n’était plus en fonctions ;

2° / que contient une contradiction irréductible et ne met pas la Cour de cassation en mesure d’exercer son contrôle sur la régularité formelle de la décision dont elle est saisie, en violation des articles 455 et 456 du code de procédure civile, l’arrêt attaqué qui énonce en page 2 qu’il a été signé par « M. François K..., président », et contient, en page 14, au bas de la mention « Pour le président empêché », une signature illisible dont le nom et la qualité de son auteur ne sont pas précisés ;

3° / qu’est nulle la décision signée par le président de la juridiction qui l’a rendue alors qu’il avait été admis à faire valoir ses droits à la retraite ; qu’en l’espèce, l’arrêt signé le 12 septembre 2006 par M. K... qui, admis à faire valoir ses droits à la retraite, avait été maintenu en fonctions jusqu’au 30 juin 2006, a donc été rendu en violation des articles 456 et 458 du code de procédure civile ;

4° / qu’est nulle la décision dont les mentions indiquent tout à la fois qu’elle a été signée par le président de la juridiction qui l’a rendue et par un autre magistrat pour le président empêché ; qu’en l’espèce, l’arrêt signé qui porte de telles mentions contradictoires a été rendue en violation des articles 455,456 et 458 du code de procédure civile ;

5° / que lorsque l’arrêt indique tout à la fois qu’il a été signé par le président et par un autre magistrat pour le président empêché, il doit, à peine de nullité, identifier le nom du magistrat qui a signé pour ledit président empêché ; qu’en l’espèce, l’arrêt qui ne permet pas d’identifier le magistrat signataire de l’arrêt a, de ce fait encore, été rendu en violation des articles 455,456 et 458 du code de procédure civile ;

Mais attendu, d’une part, que la mention indiquant que le président avait été empêché suffit à démontrer que l’indication dactylographiée sur la minute de l’arrêt selon laquelle le président était le signataire de l’arrêt ne peut procéder que d’une erreur matérielle dont la rectification doit être sollicitée selon les formes prévues par l’article 462 du code de procédure civile et ne donne pas ouverture à cassation, d’autre part, qu’en application de l’article 456 du code de procédure civile, la signature illisible portée à la dernière page de l’arrêt est présumée, sauf preuve contraire, ici non rapportée, être celle d’un des magistrats ayant participé aux débats et au délibéré ;

D’où il suit que le moyen, irrecevable en ses première, troisième et quatrième branches, est mal fondé en sa deuxième et cinquième ;

Sur le troisième moyen du pourvoi n° K 06-20. 480 et le second moyen du pourvoi n° B 07-10. 011, réunis :

Attendu que la société et MM. Bernard X..., B..., C..., D..., Y... et E... font grief à l’arrêt de prononcer l’assujettissement des intéressés, alors, selon le moyen :

1° / que l’article L. 311-11 du code de la sécurité sociale dispose, par référence à l’article L. 120-3 du code du travail, que les personnes physiques immatriculées notamment au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux, ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales, ne relèvent du régime général de sécurité sociale des travailleurs salariés que s’il est établi que leur activité les place dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard du donneur d’ordre ; que la cour d’appel a constaté que tous les loueurs concernés par la procédure étaient immatriculés à l’époque des faits par les services de l’URSSAF en qualité de travailleurs indépendants ; que ces loueurs de véhicule avec conducteur étaient liés à la société par un contrat de location stipulant, conformément au « contrat type de location d’un véhicule industriel avec conducteur pour le transport routier de marchandises » annexé à un décret du 14 mars 1986, pris en application de la loi d’orientation des transports intérieurs (dite loi Loti) n° 82-1153 du 30 décembre 1982, que « le loueur assume la maîtrise et la responsabilité des opérations de conduite » (article 6) tandis que « le locataire assume la maîtrise et la responsabilité des opérations de transport » (article 7), de sorte qu’en vertu des textes légaux et réglementaires régissant le transport de marchandises, le loueur de véhicule avec conducteur se trouve ponctuellement, pour les opérations de transport à l’exclusion des opérations de conduite, sous la dépendance du locataire ; que viole dès lors les textes susvisés l’arrêt attaqué qui retient que ces loueurs devraient être assujettis au régime général de sécurité sociale des travailleurs salariés sans vérifier ni constater qu’ils se seraient trouvés dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de la société ;

2° / que prive sa décision de base légale au regard des articles L. 311-11 du code de la sécurité sociale et 34 de la loi d’orientation des transports intérieurs (dite loi Loti) n° 82-1153 du 30 décembre 1982 et du décret d’application de cette loi du 14 mars 1986 l’arrêt attaqué qui retient qu’il ressort de l’examen du dossier qu’un nombre important d’obligations imposées par la société à ses loueurs de véhicules industriels ne résultent ni des dispositions de la loi Loti ni du contrat de location mais des consignes ou de correspondances diverses qui sont adressées aux loueurs, soit de façon systématique, soit de façon ponctuelle, pour régler les conditions de travail, sans préciser ces « consignes ou correspondances » qui ne seraient pas entrées dans le cadre des « opérations de transport » expressément mises à la charge exclusive du locataire par le contrat type institué par le décret susvisé et en se bornant à énumérer des obligations qui soit participent des opérations de transport, soit sont totalement étrangères à la notion de contrat de travail ;

3° / que le juge ne peut entrer dans la voie de la disqualification que s’il caractérise une volonté des parties de situer leurs rapports en marge des règles d’ordre public encadrant le travail et la protection sociale ; que tel ne saurait être le cas lorsque, comme en l’espèce, le loueur d’un véhicule avec conducteur et le locataire sont convenus d’une convention strictement conforme à un contrat type réglementaire ; qu’en substituant un contrat de travail au contrat de location de véhicule avec conducteur qui avait effectivement pour objet le louage d’un véhicule avec conducteur sans constater une quelconque dissimulation d’un contrat de travail, la cour d’appel a violé l’article 1134 du code civil, ensemble les articles L. 311-11 du code de la sécurité sociale et 34 de la loi d’orientation des transports intérieurs (dite loi Loti) n° 82-1153 du 30 décembre 1982 et du décret d’application de cette loi du 14 mars 1986 ;

4° / que le lien de subordination propre au contrat de travail est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; qu’en se contentant, pour valider la décision de leur affiliation au régime général de la sécurité sociale, de faire apparaître qu’ils avaient exercé leur activité exclusivement pour la société dans un cadre bien délimité sans rechercher si indépendamment des conditions d’exécution du travail inhérente à l’activité exercée, dans les faits, la société avait le pouvoir de donner des ordres et des directives relatifs à l’exercice du travail lui-même, d’en contrôler l’exécution et d’en sanctionner les manquements, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 311-11 du code de la sécurité sociale et L. 120-3 du code du travail ;

5° / que le lien de subordination propre au contrat de travail est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que ne se trouve pas dans un tel lien de nature à justifier son affiliation au régime général de la sécurité sociale l’artisan loueur qui, bien qu’exerçant son activité exclusivement pour une seule entreprise dans un cadre bien délimité, ne bénéficie d’une rémunération que s’il a correctement exécuté la prestation de service commandée ; qu’en validant la décision de leur affiliation au régime général de la sécurité sociale sans avoir recherché, comme elle y était pourtant invité par leurs conclusions, si la société rémunérait toujours les missions qu’ils effectuaient quand bien même elles n’avaient pas été correctement exécutées, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 311-11 du code de la sécurité sociale et L. 120-3 du code du travail ;

6° / que le lien de subordination propre au contrat de travail est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que ne se trouve pas dans un tel lien de nature à justifier son affiliation au régime général de la sécurité sociale l’artisan loueur qui, bien qu’exerçant son activité exclusivement pour une seule entreprise dans un cadre bien délimité, fournit à cette entreprise des prestations de transport en utilisant plusieurs véhicules dont certains sont conduits par ses propres salariés ; qu’en l’espèce, il était établis que plusieurs loueurs disposaient de plusieurs véhicules conduits par leurs salariés et par eux-mêmes ; qu’en décidant néanmoins de valider la décision d’affiliation au régime général de la sécurité sociale les concernant, la cour d’appel a violé les articles L. 311-11 du code de la sécurité sociale et L. 120-3 du code du travail ;

Mais attendu que l’arrêt relève qu’il résulte des pièces du dossier que le loueur achète son camion par l’intermédiaire d’une société du groupe auquel appartient la société, qui se constitue caution solidaire pour garantir l’exécution des clauses du contrat de crédit-bail que l’intéressé souscrit auprès d’un organisme financier ; que le loueur n’a pas le choix de son véhicule mais doit opter pour l’un des modèles figurant sur une liste établie par la société ; que l’enregistrement de la commande est établi auprès de celle-ci, le certificat d’immatriculation initial est établi à son nom, le camion doit être peint aux couleurs de « Béton de France » et porter le logo « Béton de France » en plusieurs endroits de la carrosserie ; que le loueur dessert exclusivement les clients qui lui sont désignés par la société ; que les heures et les lieux de chargement et de livraison, les délais de livraison, les itinéraires à suivre, les consignes techniques et de sécurité sont fixés par celle-ci ; que, bien que la rémunération du loueur soit assurée par le règlement de factures qu’il adresse mensuellement à la société, lesdites factures sont la copie conforme de « relevés de prestations » qui sont établis, au préalable, par la société sur la base de tarifs fixés par celle-ci et adressés au loueur lors de chaque changement de tarif ; que ces tarifs ne font l’objet d’aucune négociation ; que le loueur doit, outre accomplir les formalités habituelles en matière de livraison, obéir aux ordres du chef de centrale de la société en ce qui concerne, notamment, l’adjonction de produits adjuvants dans la toupie, l’utilisation à donner au béton éventuellement restant, ou tout incident survenant à la livraison, tels que des difficultés d’accès au chantier, des refus de réception par le client ; que la société peut donner toutes instructions au loueur pour recevoir paiement du béton livré, en donner quittance et sauvegarder les sommes jusqu’à leur remise au préposé de la société chargé de leur encaissement ; que des contrôles peuvent être effectués par la société, tels que des prélèvements d’échantillons, des vérifications de quantité ; qu’un téléphone portable est remis à chaque loueur pour tenir informée la société des différentes étapes de la livraison ; que l’arrêt retient, d’abord, que l’assujettissement au régime général de la sécurité sociale ne dépend ni de la volonté des partenaires ni des conventions qu’ils ont pu conclure, mais des conditions matérielles dans lesquelles est effectué le travail ; ensuite, que la référence à un contrat type de location, voire même au contrat de location conclu entre les parties, ne présente donc qu’un intérêt très réduit, et qu’il ressort de l’examen du dossier qu’un nombre important d’obligations imposées par la société à ses loueurs de véhicules industriels ne résultent ni des dispositions de la loi d’orientation des transports intérieurs ni du contrat de location mais de consignes ou de correspondances diverses qui sont adressées aux loueurs, soit de façon systématique, soit de façon ponctuelle pour régler les conditions de travail ; enfin, qu’il résulte de l’ensemble de ces éléments que les obligations mises à la charge des loueurs excèdent notablement celles pouvant être imposées à un travailleur indépendant et que lesdits loueurs exercent, en fait, leur activité sous l’autorité de la société qui détermine unilatéralement les conditions de travail, donne des ordres et des directives, en contrôle l’exécution et sanctionne les éventuels manquements ;

Que de ces constatations et énonciations, dont il résultait que la présomption instituée par l’article L. 311-11 du code de la sécurité sociale était renversée, la cour d’appel a exactement déduit que les intéressés devaient être assujettis au régime général de la sécurité sociale ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le deuxième moyen du pourvoi n° K 06-20. 480, qui n’est pas de nature à permettre l’admission de ce pourvoi ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois ;

Condamne solidairement la société Cemex bétons Sud-Est et MM. Bernard X..., B..., C..., D..., Y... et E... aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Cemex bétons Sud-Est ; la condamne à payer à l’URSSAF du Var, l’URSSAF du Vaucluse, l’URSSAF des Bouches-du-Rhône, la caisse primaire d’assurance maladie des Bouches-du-Rhône et la caisse primaire d’assurance maladie du Vaucluse la somme de 1 000 euros à chacune d’elles et à M. A... la somme de 2 500 euros ; rejette l’ensemble des autres demandes présentées de ce chef ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt mars deux mille huit.

Décision attaquée : Cour d’appel d’Aix-en-Provence du 12 septembre 2006