Transport routier de marchandises

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 12 octobre 2010

N° de pourvoi : 10-82626

Non publié au bulletin

Rejet

M. Louvel (président), président

SCP Didier et Pinet, SCP Yves et Blaise Capron, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
 La société Cl Alsace,

 M. Christophe X...,

 La société CL Transport,

 La société JPV,
contre l’arrêt de la cour d’appel de DOUAI, 6e chambre, en date du 15 janvier 2010, qui, pour travail dissimulé, prêt illicite de main-d’oeuvre et marchandage, les a condamnés, respectivement à 25 000, 15 000, 40 000 et 90 000 euros d’amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ;
Sur le moyen unique moyen de cassation, pris de la violation de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, des articles L. 1221-1, L. 8221-1, L. 8221-5, L. 8224-1, L. 8224-5, L. 8231-1, L. 8234-1, L. 8234-2, L. 8241-1, L. 8243-1, L. 8243-2 du code du travail et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
” en ce que l’arrêt attaqué a déclaré la société Cl Alsace, la société Cl, la société Jpv et M. X... coupables des délits de travail dissimulé, de prêt illicite de main-d’oeuvre et de marchandage, les a condamnés aux peines respectives de 25 000 euros d’amende, de 40 000 euros d’amende, de 90 000 euros d’amende et de 15 000 euros d’amende ainsi qu’à payer à l’Union départementale des syndicats CGT du Jura et du syndicat CGT des transports routiers de Côte d’Or la somme de 3 000 euros et la somme de 2 000 euros à l’Urssaf d’Arras ;
” aux motifs que Christophe X... soutient par voie de conclusions que selon les dispositions du décret n° 2002-566 du 17 avril 2002, le locataire d’un véhicule industriel avec conducteur assume la maîtrise et la responsabilité des opérations de transport et, à ce titre, en détermine la nature et la quantité, fixe les itinéraires, les points de chargement et de déchargement et les délais de livraison des marchandises transportées ; qu’il est soutenu par le concluant qu’aucun élément recueilli par les enquêteurs n’excède les limites de ce cadre et n’est susceptible de caractériser un lien de subordination entre les sociétés qu’il dirige ou gère et les chauffeurs salariés par la société de droit polonais ;
mais attendu que la véritable qualification applicable à la relation de travail doit être recherchée par la cour, et que les conditions dans lesquelles cette relation se noue et s’exécute doivent être examinées objectivement ; que l’examen objectif de ces conditions conduisent la cour à retenir l’existence d’un lien de subordination, M. X... exerçant, au sein des sociétés qu’il dirigeait ou gérait, d’une manière nettement distincte des seules maîtrise et direction des opérations de transports évoquées par le prévenu concluant, le pouvoir de donner les ordres et les directives aux chauffeurs polonais, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de ses subordonnés ; que la gestion des heures de travail et des plannings prévisionnels de congés par les sociétés dirigées ou gérées par le prévenu, ainsi que la remise aux chauffeurs de cartes de paiement pour le carburant et les péages ou de téléphones portables sont des éléments dont il résulte en effet que les interventions de M. X... n’étaient pas limitées à la maîtrise et la direction des opérations de transport ; qu’il est également établi par la procédure que M. X... disposait du pouvoir disciplinaire à l’encontre des chauffeurs polonais s’agissant des infractions commises et qu’ainsi que précisé par l’un d’eux, la société Jpv Polska ne possédait aucun véhicule et cantonnait son activité au recrutement de conducteurs pour les sociétés Jpv, Cl Alsace et Cl ; qu’il s’ensuit que la relation unissant les chauffeurs polonais et les sociétés françaises dirigées ou gérées par Christophe X... doit être requalifiée en relation contractuelle de travail, dissimulée en l’espèce à l’administration chargée d’en assurer le contrôle ; qu’il en résulte que la procédure est suffisante pour établir la matérialité de l’infraction de travail dissimulé reprochée à M. X... et aux sociétés Jpv Sas, Cl Sa et Cl Alsace ; que la seule constatation de la violation en connaissance de cause d’une prescription légale ou réglementaire, telle qu’opérée en l’espèce au vu de l’absence de déclaration préalable à l’embauche, implique de la part de son auteur l’intention coupable exigée par l’article 121-3, alinéa 1er, du code pénal ; qu’il en résulte que la procédure est suffisante pour établir l’élément intentionnel de l’infraction poursuivie et que c’est à juste titre que les premiers juges ont retenu la culpabilité des prévenus du chef d’exécution de travail dissimulé et que le jugement entrepris sera confirmé sur ce premier point ; que M. X... soutient par voie de conclusions que les contrats de location unissant les sociétés qu’il dirigeait ou gérait à la société de droit polonais Jpv Polska étaient parfaitement autorisés, en application de l’arrêté ministériel du 5 mai 2003 autorisant la location d’un véhicule moteur à une entreprise établie dans un autre État ; qu’il est également rappelé par le concluant que tous les contrats de location unissant les sociétés qu’il dirigeait ou gérait à la société de droit polonais Jpv Polska sont antérieurs au 6 août 2005, date à laquelle a été publié au Journal officiel l’arrêté ministériel du 12 juillet 2005 portant interdiction définitive de la location transfrontalière avec conducteur ;
mais attendu qu’au contraire de ce que retient le concluant, la prévention retenue à son encontre ne porte pas expressément sur les contrats de location dont une éventuelle irrégularité caractériserait en tout ou partie une infraction retenue à son encontre, mais sur l’utilisation directe du personnel mis à sa disposition par la société Jpv Polska “ sous le couvert de contrats de location “ dans le cadre d’opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main d’oeuvre en dehors des dispositions du code du travail relatives au travail temporaire ; que la régularité desdits contrats est en conséquence indifférente et les développements du prévenu concluant sur ce point inopérants ;
que la véritable qualification applicable à la relation de travail, objectivement examinée ainsi que précédemment rappelé, conduit la cour à retenir que l’exécution des contrats unissant l’ensemble des parties a conduit à la réalisation de prêts de main d’oeuvre ; qu’en l’espèce les contrats de location de véhicule avec chauffeur ne peuvent en effet être analysés sans considération de la location préalable consentie par les sociétés dirigées ou gérées par M. X... des ensembles routiers dont la société de droit polonais est totalement dépourvue ; que ces locations réciproques n’avaient pour but que de fournir aux sociétés dirigées ou gérées par M. X... des chauffeurs ;
qu’en exécution des contrats de locations concernés, les sociétés dirigées ou gérées par M. X... réalisaient des prestations de transport au moyen de leurs véhicules et de leur licence de transports mais en ayant recours à de la main d’oeuvre salariée par une société polonaise ; qu’il a été par ailleurs constaté par les enquêteurs que les virements mensuels à destination de la société Jpv Polska, intitulés “ factures de location “ à compter du 17 décembre 2004 n’ont fait que remplacer les virements précédemment intitulés “ salaires “ et qu’ainsi, les modifications intervenues au début de l’année 2005 n’ont eu pour but que de dissimuler le recours illicite à la main d’oeuvre polonaise dont le prévenu avait eu l’initiative ;
que le but lucratif du recours à ce prêt de main d’oeuvre découle suffisamment du fait que les sociétés dirigées ou gérées par M. X... se dispensaient ainsi de satisfaire à l’ensemble des obligations auxquelles elle aurait dû faire face en qualité d’employeur ; qu’il convient de rappeler, s’agissant de l’élément intentionnel, qu’il résulte des éléments recueillis que M. X... avait eu, peu de temps après la reprise de la société de M. Y..., connaissance de l’organisation mise en place par ce dernier et de son caractère irrégulier ; qu’il en résulte que c’est à juste titre que les premiers juges ont retenu la culpabilité des prévenus s’agissant de l’infraction de prêt illicite de main d’oeuvre, caractérisée en tous ses éléments et que le jugement entrepris sera en conséquence confirmé sur ce second point ; que les chauffeurs polonais salariés société Cl Alsace et a. c. ministère public et a de fait par M. X... et les sociétés qu’il dirigeait ou gérait ne pouvaient bénéficier des dispositions des conventions collectives applicables et ne bénéficiaient plus généralement d’aucune protection sociale en France ;
qu’il est ainsi établi que le prêt de main-d’oeuvre illicite a eu pour effet de causer un préjudice aux salariés concernés et d’éluder l’application des dispositions législatives ou réglementaires, de conventions ou d’accords collectifs de travail ; qu’il en résulte que c’est à juste titre que les premiers juges ont retenu la culpabilité des prévenus s’agissant de l’infraction de marchandage, caractérisée en tous ses éléments et que le jugement entrepris sera en conséquence confirmé sur ce troisième point ; que les premiers juges, par le prononcé des importantes peines d’amende prononcées à l’encontre des prévenus, ont fait une juste application de la loi pénale à l’encontre de l’ensemble des prévenus ; que doit en effet être pris en considération l’ampleur que les prévenus ont conféré à l’organisation ainsi mise en place après la reprise de la société Jean-Pierre Y... dont les activités illicites passées étaient connues de M. X..., activités avec lesquelles il n’a pas rompu mais qu’il a poursuivi, ainsi que l’établit la procédure, en recréant les conditions de leur perpétuation ;
qu’en conséquence, le jugement entrepris sera confirmé sur les peines ; que l’Urssaf Arras-Calais-Douai, l’Union départementale des syndicats CGT du Jura et le syndicat CGT des transports routiers de Côte-d’Or sont recevables à se constituer partie civile dans le cadre de cette procédure et que les infractions commises ont causé un préjudice dont les parties civiles doivent être intégralement indemnisées, en application de l’article 2 du code de procédure pénale ; que le tribunal a fait une exacte évaluation du préjudice qui est résulté directement pour les parties civiles des agissements des prévenus et que le jugement entrepris doit être confirmé tant sur les dommages-intérêts que sur le montant des sommes allouées en remboursement des frais irrépétibles ; qu’il en résulte que la décision entreprise sera confirmée sur ce point ;
” 1) alors que, le juge ne peut se déterminer sans mentionner, ni analyser, même sommairement, les éléments de preuve sur lesquels il fonde sa décision ; qu’en considérant, dès lors, pour déclarer les sociétés Cl Alsace, Cl et Jpv et M. X... coupables des délits de travail dissimulé, de prêt illicite de main-d’oeuvre et de marchandage qu’il existait un lien de subordination entre les sociétés Cl Alsace, Cl et Jpv et les chauffeurs polonais en cause, sans mentionner, ni analyser, même sommairement, les éléments de preuve sur lesquels elle fondait sa décision sur ce point, la cour d’appel a violé les stipulations et dispositions susvisées ;
” 2) alors que, le lien de subordination entre un employeur et un salarié est caractérisé par l’exécution par le salarié d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; qu’en considérant, dès lors, pour déclarer les sociétés Cl Alsace, Cl et Jpv et M. X... coupables des délits de travail dissimulé, de prêt illicite de main-d’oeuvre et de marchandage qu’il existait un lien de subordination entre les sociétés Cl Alsace, Cl et Jpv et les chauffeurs polonais en cause du fait des pouvoirs dont disposait M. X..., quand elle ne caractérisait pas que M. X... avait le pouvoir de donner à ces chauffeurs des ordres et des directives et d’en contrôler l’exécution, la cour d’appel a violé les stipulations et dispositions susvisées “ ;
Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu’intentionnel, les délits dont elle a déclaré les prévenus coupables, et a ainsi justifié l’allocation, au profit des parties civiles, des indemnités propres à réparer les préjudices en découlant ;
D’où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, M. Beauvais conseiller rapporteur, M. Blondet conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Villar ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.
Décision attaquée : Cour d’appel de Douai du 15 janvier 2010