Noń respect exclusivité

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 7 mai 1996

N° de pourvoi : 94-84855

Publié au bulletin

Rejet

Président : M. Le Gunehec, président

Rapporteur : Mme Batut., conseiller apporteur

Avocat général : M. le Foyer de Costil., avocat général

Avocat : la SCP Piwnica et Molinié., avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

REJET du pourvoi formé par Patti Robert B..., contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris, 11e chambre, en date du 26 septembre 1994, qui, pour infraction à la législation sur le travail temporaire, l’a condamné à une amende de 20 000 francs.

LA COUR,

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 551 et 802 du Code de procédure pénale, des articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de l’article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, ensemble violation des droits de la défense :

” en ce que l’arrêt attaqué a rejeté l’exception de nullité de la citation invoquée par le prévenu et s’est déclaré régulièrement saisi des faits d’exercice non exclusif d’une activité de travail temporaire ;

” aux motifs qu’il est établi que la citation a visé le texte de loi de répression ainsi que les faits poursuivis, dans des conditions permettant au prévenu de savoir ce qui lui était reproché afin d’être en mesure d’assurer utilement sa défense ; qu’en effet, le conseil des prévenus a déposé devant le tribunal des conclusions très détaillées tendant à voir dire que ce délit n’était pas constitué à la charge de Pascal C... à raison des faits reprochés qu’il a discutés ;

” 1° alors qu’aux termes de l’article 551, alinéa 2 du Code de procédure pénale, la citation doit énoncer le fait poursuivi ; qu’aux termes de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, tout prévenu a droit à être informé d’une manière détaillée de la nature et de la cause de la prévention dont il est l’objet et doit, par suite, être mis en mesure de se défendre sur les divers chefs d’infraction qui lui sont imputés ; qu’en l’espèce, ainsi que le soutenait Robert Pascal C... dans ses conclusions déposées in limine litis et reprises devant la cour d’appel, la seule indication qu’il était poursuivi pour l’exercice à titre non exclusif d’une activité d’entrepreneur de travail temporaire, abstraction faite de toute précision concernant les faits reprochés, ne lui avait pas permis d’exercer pleinement ses droits devant la juridiction correctionnelle ;

” 2° alors qu’en raison de la généralité des termes de la prévention et de la complexité des faits susceptibles d’être poursuivis en application de l’article L. 124-1 du Code du travail, les juges correctionnels se sont crus autorisés à se saisir de faits qui, à les supposer établis, auraient été commis par Robert Pascal C... dans le cadre du groupe constitué par les 4 sociétés dont il était le gérant ou le président-directeur général et non dans le seul cadre de la société CITP-TT, c’est-à-dire de la société de travail temporaire qu’il dirigeait, seul cadre dans lequel il a conclu, en sorte que le caractère vague des termes de la citation lui a incontestablement causé préjudice ; qu’en en décidant autrement, la cour d’appel a contredit les pièces de la procédure “ ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué que Robert Pascal C... est poursuivi pour avoir, aux termes de la citation, à L’HaJ-les-Roses et sur le territoire national, le 28 mars 1991 et courant 1990-1991, exercé à titre non exclusif une activité d’entrepreneur de travail temporaire, faits prévus et réprimés par les articles L. 124-1, L. 152-2, alinéas 1 et 3 et L. 152-2-1 du Code du travail ;

Attendu que, pour écarter l’exception régulièrement soulevée par le prévenu et tirée de la nullité de la citation à raison de son imprécision, la juridiction du second degré se prononce par les motifs reproduits au moyen ;

Attendu qu’en l’état de ces énonciations, desquelles il résulte que l’intéressé était suffisamment informé des faits servant de base à la prévention et qu’il avait été mis en mesure de présenter ses moyens de défense à l’audience, la cour d’appel n’a pas méconnu les dispositions légales et conventionnelles visées au moyen, lequel ne peut, dès lors, qu’être écarté ;

Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles L. 124-1 et L. 152-2 du Code du travail, de l’article 339 de la loi du 16 décembre 1992, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :

” en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Robert Pascal C... coupable d’avoir exercé à titre non exclusif une activité d’entrepreneur de travail temporaire ;

” aux motifs que Robert Pascal C... est le dirigeant de plusieurs sociétés ayant leur siège social dans les mêmes locaux à L’HaJ-les-Roses, unies par des liens étroits et dont l’activité est tournée vers les travaux publics ; qu’ainsi il est le président-directeur général de la SOFRATEC (location de matériels de travaux publics), le président-directeur général de la société CITP-SA (travaux publics), le gérant de la société DTB (découpe technique des bétons), le président-directeur général de la société CITP-TT, société de travail temporaire spécialisée dans les travaux publics, créée en 1990 et dont l’activité a commencé en octobre 1990 ; que le standard était commun aux 4 sociétés, que les fonctions de secrétariat des quatre sociétés étaient remplies par Mme Y..., salariée de la société SOFRATEC, alors que les registres du personnel et les bulletins de paie des salariés des quatre sociétés étaient tenus et établis par Mme A..., salariée de la société DTB ; qu’il a été constaté par les fonctionnaires de l’inspection du Travail de Seine-et-Marne (compétent territorialement) sur le chantier de rénovation d’un manoir situé à Macherin dont les travaux étaient confiés à la société CITP-SA par la SCI ROFRANE (ayant pour administrateur Frédérique C..., épouse X...), que tous les ouvriers maçons (7) et le chef d’équipe étaient des salariés de la société CITP-TT qui travaillaient sous la responsabilité de Antonio Z..., conducteur de travaux de la société CITP-SA ; que Robert Pascal C... ne conteste pas ces faits et qu’il a précisé qu’il n’était pas établi de contrats de missions pour ce chantier puisqu’il s’agissait de mises à disposition se faisant à l’intérieur des sociétés de son groupe ; qu’en raison de la confusion de leurs activités, les 2 sociétés CITP-SA et CITP-TT qui présentaient entre elles des liens étroits sur les plans financier, administratif et commercial formaient une unité économique sous le couvert de personnes morales juridiquement distinctes et que Robert Pascal C..., animateur de l’ensemble du groupe, avait donc enfreint les dispositions de l’article L. 124-1 du Code du travail selon lequel l’activité d’entrepreneur de travail temporaire est, pour les personnes physiques ou morales qui l’exercent, exclusive de toute autre, la constitution de plusieurs sociétés (à savoir la société CITP-TT à côté de la société CITP-SA) n’ayant été qu’un artifice destiné à faire échec à ces prescriptions ;

” 1° alors que, dans ses conclusions régulièrement déposées devant la Cour, Robert Pascal C... faisait valoir que la constitution d’entreprises juridiquement distinctes peut être parfaitement licite ; que le fait d’avoir, pour une entreprise de travail temporaire, une ou plusieurs entreprises différentes, des dirigeants communs, voire des capitaux de même origine ou “croisés” n’est pas à lui seul constitutif d’une violation de l’article L. 124-1 du Code du travail ; qu’il importe de savoir si l’activité commerciale de la société CITP-TT est distincte des activités des autres sociétés du groupe ; que la société CITP-TT rapporte la preuve par les pièces qu’elle verse contradictoirement aux débats qu’elle a bien sa clientèle propre et qu’en particulier en 1991 son intervention pour la société CITP-SA a représenté un chiffre d’affaires de moins de 200 000 francs, sur 19 023 011 francs tandis que le chiffre de la balance-clients révèle une trentaine de sociétés clientes différentes et qu’en affirmant que la constitution de plusieurs sociétés n’avait été qu’un artifice destiné à faire échec aux prescriptions de l’article L. 124-1 du Code du travail, sans répondre à ce chef péremptoire des conclusions du prévenu, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

” 2° alors que le délit prévu et réprimé par les articles L. 121-1 et L. 152-2 du Code du travail est un délit non intentionnel, en tant que tel soumis aux dispositions de l’article 339 de la loi du 16 décembre 1992, dite “loi d’adaption” et que, dès lors, en s’abstenant de constater l’imprudence ou la négligence du prévenu, l’arrêt attaqué n’a pas légalement justifié sa décision “ ;

Attendu que, pour déclarer Robert Pascal C... coupable d’avoir contrevenu aux dispositions de l’article L. 124-1 du Code du travail, selon lesquelles l’activité d’entrepreneur de travail temporaire est, pour la personne physique ou morale qui l’exerce, exclusive de toute autre activité, la cour d’appel, répondant comme elle le devait aux conclusions dont elle était saisie, se prononce par les motifs exactement repris au moyen ;

Attendu qu’en l’état de ces énonciations, dont elle a déduit que le prévenu avait volontairement enfreint les dispositions légales et réglementaires sur le travail temporaire, la juridiction du second degré a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

D’où il suit que le moyen, inopérant en ce qu’il prétend que le délit poursuivi n’est pas une infraction intentionnelle, et qui, pour le surplus, se borne à remettre en discussion l’appréciation souveraine par les juges du fond des faits et circonstances de la cause et de la valeur des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.

Publication : Bulletin criminel 1996 N° 194 p. 556

Décision attaquée : Cour d’appel de Paris, du 26 septembre 1994

Titrages et résumés : 1° JURIDICTIONS CORRECTIONNELLES - Citation - Enonciations - Faits poursuivis - Mentions suffisantes.

1° Il est satisfait aux exigences de l’article 551 du Code de procédure pénale par la citation qui mentionne les circonstances de temps et de lieu relatives aux faits poursuivis, ainsi que les textes de loi applicables, et qui met, dès lors, le prévenu en mesure de présenter ses moyens de défense(1).

1° EXPLOIT - Citation - Mentions - Faits poursuivis - Mentions suffisantes 2° TRAVAIL - Travail temporaire - Article L. 124-1 du Code du travail - Cumul d’activités - Limites.

2° Caractérise une infraction à l’article L. 124-1 du Code du travail, selon lequel l’activité d’entrepreneur de travail temporaire est, pour la personne physique ou morale qui l’exerce, exclusive de toute autre activité, l’arrêt qui constate que, sous le couvert de plusieurs sociétés, dont il avait la maîtrise et qui formaient en réalité un ensemble économique unique, le prévenu exerçait une double activité de fournisseur de main-d’oeuvre et d’entrepreneur de travaux publics(2).

Précédents jurisprudentiels : CONFER : (1°). (1) Cf. Chambre criminelle, 1988-11-30, Bulletin criminel 1988, n° 408 (1), p. 1084 (rejet), et l’arrêt cité ; Chambre criminelle, 1991-12-17, Bulletin criminel 1991, n° 483 (1), p. 1238 (rejet), et les arrêts cités. CONFER : (2°). (2) Cf. Chambre criminelle, 1983-02-15, Bulletin criminel 1983, n° 56, p. 122 (rejet) ; Chambre criminelle, 1983-06-07, Bulletin criminel 1983, n° 173, p. 428 (rejet), et l’arrêt cité ; Chambre criminelle, 1984-06-15, Bulletin criminel 1984, n° 229, p. 604 (rejet), et les arrêts cités.

Textes appliqués :
* 1° :
* 2° :
* Code de procédure pénale 551
* Code du travail L124-1