restauration héron

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 25 juin 1991

N° de pourvoi : 89-83369

Non publié au bulletin

Rejet

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice, à PARIS, le vingt-cinq juin mil neuf cent quatre vingt onze, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire GUIRIMAND, les observations de Me RYZIGER, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l’avocat général PRADAIN ; Statuant sur le pourvoi formé par :

Y... Marceau,

contre l’arrêt de la cour d’appel de VERSAILLES, 8ème chambre, en date du 22 mai 1989, qui, pour exercice d’un travail clandestin, l’a condamné à une amende d’un montant de 20 000 francs, à la confiscation d’objets saisis ainsi qu’à l’affichage et à la publication de la décision ; Vu le mémoire produit ; b Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 6 paragraphes 1 et 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; “en ce que l’arrêt attaqué a déclaré le demandeur coupable d’exécution d’un travail clandestin, en retenant que l’exercice par Marceau Héron d’une activité de restaurateur serait réputée clandestine, puisque l’intéressé n’aurait pas requis son immatriculation au registre du commerce et n’aurait pas satisfait aux obligations fiscales et sociales inhérentes à cette activité ; que, conformément aux dispositions de l’article L. 324-11 du même Code, cette activité est présumée, sauf preuve contraire, accomplie à titre lucratif et non occasionnel, puisque sa fréquence et son importance sont établies par les déclarations analysées par l’arrêt, et par les remarques sur le volume des ordures ménagères de sa maison, d’ailleurs appelée “restaurant”, remarques faites dès le 24 avril 1986, par la société Wattelet, chargée du ramassage de ces ordures par le syndicat intercommunal constitué à cette fin ; que cette présomption est renforcée par le fait que les activités de préparation de repas sont effectuées, ainsi que l’auraient constaté les gendarmes enquêteurs, avec un matériel présentant, par sa nature et par son importance, un caractère professionnel ; “alors qu’aux termes de l’article 6 paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :

”toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie” ; qu’aux termes de l’article 6 paragraphe 1 :

”toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable” ; que de la combinaison de ces deux principes résulte qu’un texte de droit interne qui institue une présomption dispensant le ministère public de rapporter tout ou partie de la preuve de la culpabilité

d’un prévenu est contraire à l’article 6 paragraphe 1 et paragraphe 2 de la Convention européenne des droits de l’homme ; que l’article L. 324-11 du Code du travail, modifié par les lois n° 85-10 du 3 janvier 1985, et n° 87-39 du 27 janvier 1987, est donc contraire à la Convention, dans la mesure où, l’article L. 324-9 du Code du travail interdisant le travail clandestin, et l’article L. 324-10 réputant l’exercice clandestin à but lucratif, notamment d’une activité de prestations de services ou l’accomplissement d’actes de d commerce, l’article L. 324-11 présumé accomplies à titre lucratif, les activités dont la réalisation a lieu avec recours de publicité, ou dont la fréquence, ou l’importance est établie, ou effectuée avec un matériel ou un outillage présentant, par sa nature et son importance, un caractère professionnel ou lorsque la facturation est absente ou frauduleuse ; qu’en appliquant un texte instituant ainsi une présomption dispensant le ministère public d’une partie de la preuve qui lui incombe en tant que partie poursuivante et dès lors contraire à la Convention européenne des droit de l’homme, la Cour a violé l’article 55 de la Constitution, et les articles 6 paragraphe 1 et 6 paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales” ; Attendu que, contrairement à ce qui est soutenu par le demandeur, les dispositions de l’article L. 324-11 du Code du travail qui prévoient que, sauf preuve contraire, sont présumées accomplies à titre lucratif les activités pratiquées selon les modalités prévues par ce texte, ne contreviennent nullement à l’article 6 1 et 6 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dès lors qu’elles n’ont pas pour objet de définir les infractions relatives au travail clandestin, exercé dans un but lucratif, dont les éléments constitutifs sont énumérés par les articles L. 324-9 et L. 324-10 dudit Code ; Qu’il s’ensuit que le moyen ne peut être admis ; Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation de l’article L. 324-11 du Code du travail, des articles L. 324-9, L. 324-10 du même Code, 485, 593 du Code du travail ; “en ce que la décision attaquée a décidé que le demandeur s’était rendu coupable de travail clandestin ; “aux motifs que Héron aurait exercé une activité de restaurateur qui serait réputée clandestine, puisque ledit Marceau Héron n’a pas requis son immmatriculation au registre du commerce et n’a pas satisfait aux obligations fiscales et sociales inhérentes à cette activité ; que, conformément aux dispositions de l’article L. 324-11 du même Code, cette activité est présumée, sauf preuve contraire, accomplie à titre lucratif et non occasionnel, puisque sa d fréquence et son importance sont établies par les déclarations ci-avant indiquées et par les remarques sur le volume des ordures ménagères de la maison,

d’ailleurs appelée restaurant, remarques faites dès le 24 avril 1986 par la société Wattelet, chargée du ramassage de ces ordures par le syndicat intercommunal constitué à cette fin ; que cette présomption est renforcée par le fait que les activités de préparation de repas sont effectuées ainsi que l’ont constaté les gendarmes enquêteurs avec un matériel présentant par sa nature et par son importance un caractère professionnel ; “alors, d’une part, que si, aux termes de l’article L. 324-11 du Code du travail, les activités mentionnées à l’article L. 324-10 du même Code sont présumées être accomplies à titre lucratif lorsque leur fréquence et leur importance est établie, la fréquence et l’importance visées par l’article L. 324-11 ne peuvent être considérées comme établies que pour autant que cette importance et cette fréquence est comparable à celle de l’activité d’un professionnel ; qu’à défaut de toute comparaison par les juges du fond de l’activité qui aurait été celle de Marceau Héron avec celle d’un restaurateur professionnel, la décision attaquée n’est pas légalement justifiée ; “alors, d’autre part, qu’en toute hypothèse, la décision attaquée est insuffisamment motivée quant à la fréquence et l’importance de la prétendue activité des époux Z... ; “alors, de troisième part, que si les activités mentionnées à l’article L. 324-10 sont présumées, sauf preuve contraire, accomplies à titre lucratif lorsqu’elles sont effectuées avec un matériel ou un outillage présentant, par sa nature ou son importance, un caractère professionnel, les juges, tenus de motiver leur décision, ne peuvent se contenter d’affirmer par un motif qui se contente de reproduire le texte de la loi que le matériel présente, par sa nature et son importance, un caractère professionnel, sans procéder à la description de celui-ci ; qu’en l’espèce actuelle, la décision attaquée qui se contente d’affirmer que les repas sont préparés avec un matériel présentant, par sa nature et son importance, un caractère professionnel, ne saurait être considérée comme suffisamment motivée” ; Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation de l’article L. 324-11 du Code du travail, des d articles 62, 109, 153 du Code de procédure pénale, des articles 485, 593 du même Code ; “en ce que la Cour, après avoir affirmé que les activités reprochées au demandeur étaient présumées exercées à titre lucratif, en vertu de l’article L. 324-11 du Code du travail, a refusé de retenir que les attestations fournies par Marceau Héron détruisaient cette présomption ; “aux motifs que les attestations fournies le 26 mars 1989 par Robert A..., ancien vénérable maître de la respectable loge “La Marseillaise”, président Godin du Grand Orient de France, le 18 avril 1989, par Joël X..., secrétaire de la loge “Les Etudiants Fraternité du Grand Orient de France, et le 20 avril 1989 par Claude B..., passé vénérable maître de la respectable loge n° 887 de la Grand-Loge de France, ne constituent pas une telle preuve, même si leurs auteurs y affirment que l’association “Le Trait d’Union” n’a d’autre objet que l’organisation entre francs-maçons, d’agapes, dont

le coût est partagé entre chaque convive, sans bénéfice, pour l’association ou pour Marceau Héron ; qu’en effet, selon les déclarations faites à l’audience par Marceau Héron, l’association Le Trait d’Union a pour seul adhérent, à l’exclusion de toute personne physique, des loges maçonniques, dont les dirigeants n’ont pas convenance, par discrétion, à communiquer la liste de leur adhérents ; que cette situation, voulue par ceux qui s’en prévalent, rend impossible toute vérification sur le point de savoir si les trois loges d’où émanent les attestations ci-avant indiquées, possèdent des effectifs qui puissent procurer à la maison de Marceau Héron une aussi fréquente affluence que celle qui a été établie ; “alors, d’une part, que la présomption instituée par l’article L. 324-11 du Code du travail consiste en ceci que l’activité visée à l’article L. 324-10 est présumée avoir été exercée à titre lucratif, lorsque certains éléments objectifs concernant soit l’importance de l’activité, soit les conditions dans lesquelles elle a été exercée, sont établies ; que la preuve contraire que le prévenu est autorisé à rapporter en vertu de ce texte n’est pas que les élément objectifs sur lesquels est fondée la présomption n’existent pas, mais que l’activité n’a pas été exercée à titre lucratif ; que c’est cette preuve que le demandeur entendait rapporter par la production des attestations que rejette l’arrêt ; qu’en décidant que la preuve n’est pas rapportée parce que les auteurs d des attestations, vénérables ou secrétaires de loges maçonniques “n’auraient pas convenance”, par discrétion, de communiquer la liste de leurs adhérents et que ceci rend impossible toute vérification sur le point de savoir si les trois loges d’où émanent les attestations possédaient des effectifs, tels qu’ils puissent procurer à la maison de Marceau Héron une aussi fréquente affluence que celle qui a été établie, les juges du fond se sont mépris sur l’objet de la preuve que le demandeur devait rapporter ; “alors, d’autre part, que seule l’existence d’un secret légalement protégé est susceptible de dispenser une personne de témoigner sur certains faits ou d’empêcher une juridiction de faire procéder à des vérifications qui se révèleraient nécessaires en vue de la manifestation de la vérité ; qu’en l’espèce actuelle, c’est par une méconnaissance de ce principe, et par conséquent, de l’article 378 du Code pénal et des articles 62, 109 et 153 du Code de procédure pénale, que la cour d’appel a écarté les attestations produites par le demandeur, émanant des vénérables ou secrétaires de plusieurs loges maçonniques, en retenant que les dirigeants des loges maçonniques n’ont pas “convenance”, par discrétion, à communiquer la liste de leurs adhérents, et que cette situation, voulue par ceux qui s’en prévalent, rend impossible toute vérification sur le point de savoir si les trois loges d’où émanent les attestations ci-avant indiquées, possèdent des effectifs tels qu’ils puissent procurer à la maison de Marceau Héron, une aussi fréquente affluence que celle qui a été produite ; que la simple convenance ne pouvait, en effet, suffire à empêcher

toute vérification qui aurait été légalement jugée nécessaire par les juges du fond ; “alors, enfin que les juges du fond, libres d’apprécier la portée et la véracité d’une attestation, en leur intime conviction, devaient obligatoirement apprécier la sincérité des attestations et non pas écarter celles-ci sans appréciation de la sincérité des signataires par le motif, du reste, erroné, qu’aucune vérification de la sincérité des attestations ne serait possible” ; Sur le quatrième moyen de cassation pris de la violation de l’article L. 324-9 et de l’article L. 324-10 du Code du travail, des articles L. 324-11 et L. 363-3 du même Code, et des articles 485, 593 du Code de procédure pénale ; b “en ce que la décision attaquée a déclaré le demandeur coupable de travail clandestin ; “au motif qu’il aurait exercé une activité de restaurateur réputée clandestine, puisqu’il “n’a pas requis son immatriculation au registre du commerce et n’a pas satisfait aux obligations fiscales et sociales inhérentes à cette activité” ; “alors que n’est réputé clandestin l’exercice à but lucratif d’une activité de production, de transformation, de réparations, de prestations de services ou l’accomplissement d’actes de commerce par toute personne physique ou morale qui s’est soustraite à diverses obligations énumérées par l’article L. 324-10 du Code du travail, et, n’a pas requis son inscription au registre du commerce et des sociétés, que lorsque cette omission est intentionnelle ; que la décision attaquée qui ne constate pas des éléments dont résulteraient que Marceau Héron s’est soustrait intentionnellement à l’obligation de s’inscrire au registre du commerce, n’est pas légalement justifié” ; Les moyens étant réunis ; Attendu qu’il ressort de l’arrêt attaqué et du jugement dont il adopte les motifs non contraires que Marceau Héron a été cité à comparaître devant la juridiction répressive pour avoir, en 1987 et 1988, sous le couvert d’une association dépourvue d’adhérents, exercé dans un but lucratif une activité de restauration en s’étant délibérément soustrait aux obligations fiscales, sociales ou d’incription au registre du commerce inhérentes à cette activité, ainsi qu’à celles, instituées en cas d’emploi de salariés, par les articles L. 143-3, L. 143-5, L. 620-1 et L. 620-3 du Code du travail, comme le prévoyait l’article L. 324-10 du même Code, dans sa rédaction applicable aux faits poursuivis ; Attendu que, devant les juges du fond, Marceau Héron a sollicité sa relaxe en soutenant que s’il avait reçu chez lui des membres de loges de francs-maçons et s’il avait également prêté ses locaux à des amis à l’occasion de mariages, il avait agi de la sorte sans rechercher le moindre profit ; Que pour écarter cette argumentation, les juges retiennent notamment qu’il résulte de l’enquête qu’au cours de la période visée par la prévention, diverses réceptions et banquets, des repas de mariage ou d de groupe ont eu lieu au domicile des époux Z... et qu’à ces

occasions, ceux-ci ont recouru aux services d’un personnel “non déclaré” ; que la cour d’appel énonce encore que ces faits ont été mis en évidence par la démarche effectuée par le syndicat inter-communal de collecte des ordures ménagères qui avait préconisé la mise en place d’un bac de type “container” devant la demeure des intéressés en raison de l’importance des déchets à enlever et dont la nature laissait penser à une activité de restauration, et que l’existence de celle-ci a été corroborée par la découverte sur les lieux d’un matériel de cuisine présentant par sa nature et son importance un caractère professionnel ; que les juges ajoutent qu’en définitive, si Marceau Héron paraît avoir tenu une “table d’hôtes” plutôt qu’un restaurant au sens habituel de ce terme, il n’en demeure pas moins que l’existence d’un travail moyennant contrepartie financière a été établie, les repas n’ayant pas été servis par le prévenu à “prix coûtant” ainsi qu’il le prétend, et que dans ces conditions, l’infraction poursuivie se trouve caractérisée ; Attendu qu’en l’état de ces énonciations exemptes d’insuffisance et déduites de son pouvoir souverain d’appréciation des faits et des éléments de preuve contradictoirement débattus, et abstraction faite de toute autre motif surabondant voire erroné, la cour d’appel a caractérisé en tous ses éléments constitutifs le délit d’exercice d’un travail clandestin retenu à la charge du demandeur, et ainsi justifié sa décision ; Qu’en conséquence, les moyens doivent être écartés ; Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ; REJETTE le pourvoi ; Condamne le demandeur aux dépens ; Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ; Où étaient présents :

M. Zambeaux conseiller le plus ancien faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, Mme Guirimand conseiller rapporteur, MM. Dardel, Dumont, Fontaine, Milleville, Alphand, Guerder conseillers de la chambre, b Mme Pradain avocat général, Mme Gautier greffier de chambre ;

Décision attaquée : Cour d’appel de Versailles du 22 mai 1989

Titrages et résumés : TRAVAIL - Travail clandestin - Activité de restaurateur à caractère professionnel - Soustraction aux obligations fiscales, sociales et administratives - Constatations suffisantes.

Textes appliqués :
* Code de procédure pénale 593
* Code du travail L324-10