recours abusif - accident du travail mortel

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 8 septembre 2015

N° de pourvoi : 14-83026

ECLI:FR:CCASS:2015:CR03247

Non publié au bulletin

Rejet

M. Straehli (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président

Me Bouthors, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :

"-" La société Even,

"-" M. Raphaël X...,

contre l’arrêt de la cour d’appel de VERSAILLES, 9e chambre, en date du 2 avril 2014 qui, pour homicide involontaire, emploi de main d’oeuvre temporaire en dehors des cas autorisés et infractions à la réglementation relative à la sécurité des travailleurs, a condamné, la première, à une amende de 40 000 euros et deux amendes de 2 000 euros, et le second, à six mois d’emprisonnement avec sursis, et deux amendes de 1 000 euros ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 9 juin 2015 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Straehli, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché et conseiller rapporteur, MM. Finidori et Monfort, conseillers de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Zita ;

Sur le rapport de M. le conseiller STRAEHLI, les observations de Me BOUTHORS, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l’avocat général LE DIMNA ;

Vu le mémoire produit ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que, le 15 juin 2007, Mamadou Y..., intérimaire mis par la société R2T à la disposition de la société Even ayant pour objet social l’entretien des espaces verts, a été victime d’un accident mortel, écrasé par un arbre alors qu’en qualité “d’homme de pied”, il assistait le chef d’équipe de la société utilisatrice chargé, comme élagueur, de l’abattage ; que, selon le procès-verbal de l’inspection du travail, la tâche de Mamadou Y... consistait à poser un coin sur le tronc de l’arbre, déjà tronçonné, et à le frapper, de manière à provoquer sa chute ; que l’élagage avait été réalisé conformément aux normes mais que, pour des raisons tenant à l’état de pourriture de l’arbre, celui-ci était tombé dans le sens opposé à celui qui était attendu ; que, pris de panique devant cette situation imprévue, pour laquelle il n’avait pas reçu de formation appropriée, Mamadou Y... ne s’était pas positionné de manière à éviter d’être atteint lors de la chute de l’arbre ; que l’information insuffisante des intérimaires sur les risques du fait de leur activité professionnelle au sein de l’entreprise, ainsi que le défaut d’établissement, par cette dernière, de liste de postes présentant pour les intérimaires des risques particuliers en ce domaine et, par voie de conséquence, de formation renforcée à la sécurité pour les intéressés, étaient à l’origine de la réaction inadaptée de Mamadou Y... et de l’accident dont il avait été victime ; que, par ailleurs, l’inspection du travail a relevé un recours massif et systématique, par la société Even, aux contrats de travail temporaire pour satisfaire un besoin de main d’oeuvre durable et permanent lié à l’activité normale de l’entreprise ;

Attendu que, cités devant le tribunal correctionnel des chefs d’infractions à la réglementation relative à la sécurité des travailleurs, d’homicide involontaire et de recours au travail temporaire en dehors des cas autorisés, la société Even et son représentant légal, M. X..., ont été relaxés de ces deux derniers chefs et déclarés coupables du premier ; que le ministère public, M. X... et les parties civiles ont interjeté appel de ce jugement ;

En cet état :

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, préliminaire, 12, 19, 41, 77, 60 et s. 429, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

”en ce que la cour a rejeté les exceptions de nullité de l’enquête et de l’audition de M. X... ;

”aux motifs que l’examen du jugement entrepris permet de vérifier que c’est par de justes motifs, suffisants et adaptés à l’espèce, que les premiers juges ont, avec pertinence, répondu aux exceptions relatives aux irrégularités, soutenues, de l’enquête préliminaire, l’intervention du commissariat de police du 13e arrondissement pour l’autopsie, l’irrégularité alléguée du procès-verbal de l’inspection du travail, les investigations effectuées par la gendarmerie de Rambouillet, l’avis de l’inspection du travail demandé par le soit-transmis du 23 mars 2010 et la prescription, laquelle, au demeurant, relève, du fond de l’affaire ; qu’en l’absence d’éléments ou arguments nouveaux en cause d’appel, sans qu’il soit nécessaire d’ajouter aux termes de la décision du tribunal, la cour confirme ce rejet ; que, s’agissant de l’audition dont a fait l’objet M. X... le 9 avril 2009, par un officier de police judiciaire de la gendarmerie de Rambouillet, celle-ci a duré 2 heures 30 et a permis au chef de l’entreprise utilisatrice de s’expliquer sur les faits objet de l’enquête ; que, c’est à juste titre que les premiers juges invoquent les dispositions de l’article D. 15-4 du code de procédure pénale, en précisant que « la transmission directe de la réquisition et des procès-verbaux en l’absence d’urgence ne saurait toutefois constituer une cause de nullité de la procédure » ; qu’au demeurant, la cour ajoute qu’une telle pratique, insusceptible de constituer le moindre grief à rencontre de la ou des personnes visées par les investigations sollicitées, répond à des instructions permanentes des parquets généraux permettant que les enquêtes au sein d’un même ressort de la cour d’appel s’effectuent avec diligence ; que, s’agissant de l’audition elle-même, il ne peut être reproché à l’officier de police judiciaire l’ayant accomplie de n’avoir pas décidé au préalable du placement en garde à vue de M. X... sachant qu’aux termes des dispositions de l’article 62-2 du code de procédure pénale, aujourd’hui applicables, une telle mesure de contrainte n’était pas nécessaire au regard des objectifs visés par celui-ci ; qu’il en est de même pour l’audition de M. Z..., directeur d’exploitation, étant observé, en outre, comme l’ont fait les premiers juges, que l’irrégularité invoquée, à la supposer constituée, ne concerne aucun des deux prévenus, même si la personne entendue fait partie du personnel de la société Even ; que le rejet des nullités ne pouvait donc qu’être confirmé ;

”1°) alors qu’il appartient au parquet de contrôler effectivement les actes de l’enquête préliminaire et de veiller à la neutralité des actes réalisés dans ce cadre au regard en particulier des éléments à décharge que les services doivent normalement réunir en même temps que les éléments leur paraissant être à charge ; qu’en l’état de l’intervention désordonnée d’une pluralité de services, dont la compétence territoriale n’était pas acquise pour certains d’entre eux, l’arrêt confirmatif attaqué s’en est tenu à des considérations générales impuissantes à caractériser l’effectivité de la direction et du contrôle de l’enquête par le parquet en violation en particulier des dispositions d’ordre public des articles du code de procédure pénale visés au moyen ;

”2°) alors que la défense avait expressément fait valoir dans ses conclusions d’exception les graves insuffisances des actes de l’enquête, dont certains ne seront pas même intégralement transmis au tribunal, tant en ce qui concerne l’élucidation des causes de la mort du salarié, que les circonstances précises de l’accident ou l’organisation de la prévention au sein de la société ; qu’en l’état de ces reproches tendant à mettre en cause la neutralité de l’enquête, la cour aurait dû rechercher in concreto si l’équilibre de la procédure n’avait pas été rompu au désavantage de la défense au regard des exigences de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme ;

”3°) alors en tout état de cause que l’« audition libre » à laquelle la gendarmerie de Rambouillet, territorialement incompétente, avait procédé à la demande exprimée par le parquet un an auparavant, et sans la moindre garantie des droits de la défense de la personne ; que le soit-transmis du parquet regardait cependant déjà comme « suspecte », heurte frontalement les exigences de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme” ;

Sur le moyen, pris en ses deux première branches :

Attendu que, pour rejeter les exceptions de nullité présentées par les prévenus et prises notamment, de l’absence de neutralité des actes réalisés au cours de l’enquête et de l’insuffisance du contrôle exercé sur celle-ci par l’autorité judiciaire, l’arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu’en cet état, le grief allégué n’est pas fondé ;

Sur le moyen, pris en sa troisième branche :

Attendu que, contrairement à ce qui est soutenu, les dispositions conventionnelles et légales invoquées n’ont pas été méconnues dès lors qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué que la déclaration de culpabilité des prévenus n’est fondée ni exclusivement ni même essentiellement sur l’audition du 9 avril 2009, à laquelle M. X... s’est rendu librement, sans qu’il ait été nécessaire de le placer en garde à vue ;

D’où il suit que le moyen ne saurait être admis ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, L. 4141-1, L. 4141-2, alinéa 1er, R. 4141-1 du code du travail, articles 121-2, 121-3 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

”en ce que la cour a retenu la responsabilité de la société Even et de M. X... pour les infractions prévues et réprimées aux articles L. 231-3-2 et L. 231-3-1 anciens, devenus L. 4141-1 et L. 4142-2 du code du travail, en n’informant pas Mamadou Y..., salarié intérimaire, des risques pour la santé et la sécurité générés par son activité professionnelle, et en ne lui dispensant pas une formation pratique et appropriée ;

”aux motifs que, du fait de sa responsabilité générale en matière de sécurité et de santé des salariés, la société par actions simplifiées Even est responsable de la formation de ses intérimaires ; qu’en effet, selon les dispositions de l’article L. 1251-21 du code du travail, « pendant la durée de la mission, l’entreprise utilisatrice est responsable des conditions d’exécution du travail » ; que le même article prévoit que les conditions d’exécution du travail comprennent, entre autres, ce qui a trait à la santé et à la sécurité des travailleurs ; que les articles L. 4141-1 et L. 4141-2 du même code prescrivent que l’employeur organise et dispense une information des travailleurs sur les risques pour la santé et la sécurité et les mesures prises pour y remédier ; qu’il incombe à l’employeur d’organiser une formation pratique et appropriée à la sécurité au bénéfice des travailleurs embauchés mais aussi des salariés temporaires ; que selon les termes de l’article R. 4141-3, la formation à la sécurité a pour objet d’instruire le travailleur sur les précautions à prendre pour assurer sa propre sécurité ; que l’article R. 4141 -13 édicte que la formation à la sécurité relative aux conditions d’exercice du travail a pour objet d’enseigner au travailleur les comportements et gestes les plus sûrs et les modes opératoires retenus s’ils ont une incidence sur sa sécurité ; qu’à ce titre, la société devait assurer la formation à la sécurité de Mamadou Y... ;

que cette formation devait porter sur les gestes et postures nécessaires à sa propre sécurité au regard des situations de travail, en particulier à l’occasion d’abattage d’arbres ; qu’il est établi qu’avant d’être affecté à l’emploi qu’il occupait depuis plusieurs semaines, Mamadou Y... n’avait reçu aucune formation spécifique ni même d’information et qu’il n’avait aucune expérience ni compétence en matière d’abattage d’arbres alors que, comme souligné plus haut, cette opération nécessite une compétence professionnelle spécifique supposant une maîtrise technique et un acquis en matière de gestes et postures de sécurité ; que M. Z... a déclaré : « il n’y avait pas à la société Even au moment des faits de notices explicatives sur le rôle précis de l’homme de pied », ajoutant : « M. A..., l’élagueur, était titulaire d’un certificat de spécialisation d’élagage, à ce titre, il était tout à fait capable de transmettre des consignes de sécurité liées à ce métier¿ il s’agit de consignes orales » ; qu’il est apparu que la pratique, au sein de la société Even, selon laquelle l’homme de pied participait effectivement à la coupe et l’abattage d’arbres, n’avait fait l’objet d’aucune évaluation des risques ni donné lieu à des mesures de prévention ; que, pourtant, le plan de prévention établi par la société mentionne que, s’agissant de ces opérations, seul « du personnel qualifié » doit être amené à les accomplir ; qu’étant observé que la société Even avait, lors des faits, deux salariés intérimaires, employés en qualité d’hommes de pied, dont Mamadou Y..., l’infraction reprochée est constituée à l’encontre de la société Even et, en l’absence de délégation de pouvoirs, de son président, M. X... ; que le jugement entrepris sera infirmé de ce chef ;

”alors que la contravention prévue à l’article L. 4142-2 du code du travail n’exige aucun formalisme particulier en ce qui concerne l’information et la formation d’un salarié intérimaire ; qu’en se fondant exclusivement sur l’absence de trace écrite de réalisation de ces obligations, délaissant ainsi l’expérience précédemment acquise par l’intéressé en qualité d’homme de pied auprès du même instructeur qui l’assistait également dans sa mission limitée au moment des faits, la cour a sanctionné le non-respect d’un formalisme qui n’était lui-même prévu ni par la loi, ni par le règlement, violant ainsi le principe de légalité” ;

Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, L. 4154-2, L. 4141-2, alinéa 1er, L. 4141-1 du code du travail, 121-2, 121-3 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

”en ce que la cour a déclaré la société Even et M. X... coupables des infractions prévues et réprimées aux articles L. 263-3-1, alinéa 6, et L. 231-3-1 anciens, devenus L. 4154-2 et L. 4142-2 du code du travail, en n’établissant pas au sein de l’entreprise de listes des postes de travail pour les intérimaires présentant des risques particuliers pour la santé ou la sécurité et en ne dispensant pas à Mamadou Y... une formation renforcée à la sécurité ;

”aux motifs qu’aux termes de l’article L. 4154-2 du code du travail, “les salariés titulaires d’un contrat de travail à durée déterminée, les salariés temporaires et les stagiaires en entreprise affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité bénéficient d’une formation renforcée à la sécurité ainsi que d’un accueil et d’une information adaptés dans l’entreprise dans laquelle ils sont employés ; que la liste de ces postes de travail est établie par l’employeur, après avis du médecin du travail et du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou, à défaut, des délégués du personnel, s’il en existe, elle est tenue à la disposition de l’inspecteur du travail” ; que, si les postes de travail devant figurer sur cette liste ne sont pas définis, il incombe à l’employeur, dans le cadre de son obligation d’évaluer les risques, d’adapter les mesures de prévention adaptées à chaque situation particulière de travail ; que la circulaire (DRT n° 90/18) du 30 octobre 1990, applicable au moment des faits, a prévu que, sur les listes des postes de travail présentant des risques particuliers, doivent figurer les travaux habituellement reconnus dangereux, qui nécessitent une certaine qualification ou exposent à certains risques ; qu’en l’espèce, le travail auquel avait été affecté Mamadou Y..., qualifié d’homme de pied, consistant à assister l’élagueur, notamment dans une tâche d’abattage d’arbre, constitue, à l’évidence, compte tenu du risque que l’opération présente et de l’utilisation d’outillage spécifique, tel que tronçonneuse, une situation de travail présentant des risques particuliers pour la santé et la sécurité ; qu’en effet, la profession d’élagueur nécessite une formation et une qualification spécifique ; qu’elle suppose également des aptitudes physiques et une connaissance de l’environnement naturel propre à l’activité ; qu’assister un élagueur ou bûcheron, en particulier dans une opération d’abattage d’arbre, requiert les mêmes aptitudes ; que le poste de travail d’homme de pied, tel qu’exercé dans l’entreprise utilisatrice, la société Even, allant jusqu’à des actes de coupe et d’abattage d’arbres, étant particulièrement exposé aux risques professionnels ; que cette société, comprenant près de cent employés, n’avait pas établi de liste ni déterminé un état de postes de travail à risques pour les intérimaires ; que c’est donc à juste titre que le tribunal a estimé qu’en l’espèce, l’infraction prévue à l’article précitée était constituée à l’encontre de la société et de son président, M. X... ; que cette décision sera confirmée ;

”alors que l’employeur n’est dans l’obligation de fournir au salarié intérimaire une formation renforcée au sens de l’article L. 4154-2 du code de travail ; que si ce dernier est exposé à des risques de danger normalement prévisibles dans l’exécution de sa mission ; qu’en confondant le travail d’un élagueur confirmé avec celui d’un simple homme de pied, dont la mission accessoire exclut tout travail dangereux, la cour n’a pas caractérisé l’existence préalable d’un risque normalement prévisible, seul de nature à entrer dans les prévisions de la contravention prévue par les textes susvisés” ;

Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, L. 4154-2, L. 4141-2, alinéa 1er, du code du travail, articles 121-2, 121-3, 221-6 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

”en ce que la cour a déclaré la société Even et son dirigeant M. X... coupables d’homicide involontaire sur la personne de Mamadou Y... ;

”aux motifs qu’il résulte des circonstances de l’accident que, si M. A..., élagueur, chef d’équipe, a pu faire face de manière adaptée à la situation de chute accidentelle de l’arbre en adoptant la bonne posture, en restant au pied de l’arbre en en tournant autour pour éviter l’axe de chute, Mamadou Y... n’a pas adopté la posture de sécurité adaptée du fait de la méconnaissance totale des gestes et attitudes préconisées, en l’absence de formation ; que, compte tenu des nombreux dangers et risques auxquels un homme de pied, assistant de l’élagueur, est exposé, en particulier lors de l’abattage d’un arbre, ainsi que, compte tenu de l’absence de formation et d’expérience professionnelle, le défaut de dispositifs organisés d’information, de formation et de consignes de sécurité a favorisé la survenance de l’accident et ses conséquences ; qu’étant rappelé que l’évaluation des risques, s’agissant du poste d’homme de pied, n’avait pas été menée convenablement, le déroulement des faits dont Mamadou Y... a été victime traduit une certaine improvisation ; qu’en effet, à la différence de M. A..., l’intérimaire Mamadou Y... a eu une réaction non professionnelle, révélatrice de sa peur ou son affolement lui ôtant tout sang-froid, qu’il n’aurait pas eue s’il avait reçu une formation adaptée à cette circonstance ; que l’affectation de Mamadou Y..., employé intérimaire, à un poste d’homme de pied, emploi présentant des risques particuliers pour sa santé et sa sécurité, aurait dû être précédée d’une formation renforcée et adaptée aux tâches qu’il allait devoir accomplir ;

que, compte tenu de ces risques, ainsi que démontré par la commission des infractions relatives à la sécurité relevées à son encontre, en sa qualité de président de l’entreprise, M. X... n’a pas pris les mesures pour l’en préserver ; que cette responsabilité pénale entraîne aussi celle de la personne morale qu’il dirigeait ; que le jugement entrepris sera donc infirmé, les prévenus étant reconnus coupables d’homicide involontaire ;

”1°) alors que, l’engagement de la responsabilité pénale d’une personne physique exige que soit rapportée la preuve que sa faute a directement ou indirectement causé le dommage subi par la victime et exige en conséquence la démonstration de l’existence d’un lien de causalité certain ; qu’à défaut d’avoir établi in concreto un lien de causalité certain entre la panique du salarié et le prétendu défaut d’information ou de formation de l’intéressé, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

”2°) alors qu’en matière non intentionnelle, les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, ne peuvent engager leur responsabilité pénale qu’autant qu’il est démontré qu’elles ont notamment commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer ; que pareille faute ne procédant pas nécessairement des deux contraventions reprochées à l’employeur en matière de formation, la cour n’a pas établi l’existence d’une faute délictuelle caractérisée qui eut exposé autrui à un risque d’une particulière gravité que l’employeur connaissait nécessairement ; qu’en se déterminant comme elle l’a fait, la cour a privé sa décision de toute base légale ;

”3°) alors que la responsabilité pénale d’une personne morale ne saurait être déduite de l’infraction imputée à son organe ou son représentant ; qu’en considérant que la responsabilité pénale du président de la société Even devait « entraîner » celle de la personne morale, sans établir si et en quoi l’infraction reprochée à la personne physique eut été commise « pour le compte » de la société, au sens de l’article 121-2 du code pénal, la cour d’appel a derechef privé sa décision de base légale” ;

Sur le cinquième moyen de cassation, pris de la violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, L. 1251-5 et L. 1254-3 du code du travail, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

”en ce que la cour a déclaré la société Even et son dirigeant M. X... coupables de recours abusif aux contrats de travail temporaire ;

”aux motifs que l’article L. 1251-5 du code du travail dispose que “le contrat de travail temporaire, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice” ; que l’enquête menée par les services de l’inspection du travail a permis d’établir une pratique consistant à avoir durablement et même de manière chronique des emplois intérimaires liés à une activité courante et permanente ; que M. X..., président de la société Even et président du groupe Financière Evariste, réunissant plusieurs sociétés ayant pour activités les travaux publics, les services aux entreprises, dont deux sociétés de travail intérim, et les services aux collectivités, dont le paysage et l’entretien espaces verts, a admis que le recours au travail intérimaire constituait, au sein de l’ensemble du groupe, le moyen de pérenniser l’emploi, compte tenu du caractère saisonnier et cyclique de certaines des activités du groupe ; qu’il a déclaré qu’il « était indispensable d’avoir un effectif fluctuant en fonction des saisons afin d’assurer la survie de l’entreprise ; qu’interrogé sur le nombre et la proportion de contrats d’intérim, M. X... a répliqué en faisant observer que les 1 000 contrats intérim sur l’année 2008 ne représentaient qu’environ vingt contrats par semaine sur un effectif d’environ cent personnes ; que, selon lui, cette pratique a permis à l’entreprise de connaître sur une période une croissance régulière sans que le recours aux intérimaires lui paraisse abusif ; qu’après avoir déclaré « qu’il faut avoir une gestion absolument prudente et raisonnable des embauches », il a conclu en soulignant que la flexibilité du travail temporaire « nous permettait de maintenir cette sécurité de l’emploi » ; que le registre unique du personnel de la société Even mentionnait en juillet 2007, quatre-vingt-quinze salariés dont cinquante-cinq ouvriers paysagistes permanents ; que l’étude de l’inspection du travail menée sur la période du 30 mai 2006 au 22 juin 2007, a révélé neuf cent trente-deux contrats de travail temporaire sur le poste d’ouvrier paysagiste avec pour motif l’accroissement temporaire d’activité ; qu’en période haute, les intérimaires représentaient jusqu’à 65% des effectifs permanents d’ouvriers paysagistes, tandis qu’en période basse, cinq à dix postes, soit 15% de l’effectif, étaient occupés par des emplois d’intérim, avec pour motif du recours à ces emplois, « accroissement d’activité » ; qu’ainsi, le maintien à l’année, même en période basse, d’un pourcentage important, minimum de 15% d’emplois intérimaires, démontre que ce recours correspondait à un besoin permanent d’emplois au sein de l’entreprise ; qu’il en découle que ces emplois, motivés officiellement par un « accroissement temporaire d’activité », n’étaient pas temporaires mais étaient durables et permanents et servaient à pourvoir à l’activité normale de l’entreprise ; que de précédents contrôles pour les mêmes motifs avaient eu lieu en 1993, 2000 et 2001 et avaient donné lieu à des rappels explicites à la réglementation ; qu’il en a été ainsi après un contrôle de 2001 à l’issue duquel l’administration avait enjoint le chef d’entreprise à « prendre des mesures d’assainissement radicales pour mettre un terme à une telle situation » ; qu’en outre, il ne peut qu’être souligné que 97% des contrats intérimaires de la société Even ont été conclus avec la société R2T (Raphaël Travail Temporaire) appartenant au même groupe et ayant le même dirigeant ; que, devenu président de la société et du groupe en 2002, M. X..., qui avait créé la société R2T en 1997, n’a pas mis fin à ces pratiques nonobstant les avertissements dont il ne pouvait ignorer le sens ; qu’il découle de ces données chiffrées et des déclarations de M. X... que le travail temporaire au sein de la société Even, qui doit avoir un caractère exceptionnel ou pour permettre la réalisation de tâches temporaires, était pratiqué, intentionnellement, sur la période de prévention en violation des exigences prescrites par l’article précité ; que le jugement entrepris sera également infirmé de ce chef à l’encontre de la société Even, du fait de la mise en place d’un véritable système en son sein, mais aussi de M. X..., son président à qui cette pratique a, à l’évidence, profité ;

”1°) alors que, le recours au travail temporaire est justifié par l’article L.1251-6-3e du code du travail au profit des entreprises saisonnières ; qu’en refusant de tenir compte du caractère saisonnier de l’activité de la société par ailleurs soumise aux contraintes du marché, la cour s’est bornée à des considérations générales sans établir si et en quoi le taux de travail temporaire dans l’entreprise, au rythme des saisons, correspondait à une politique tendant à éviter, sans risque économique pour elle, de créer des emplois permanents et durables, privant ainsi son arrêt de base légale ;

”2°) alors en tout état de cause que le contrat de Mamadou Y... pour une mission limitée était lié en l’espèce à un marché précis ; que la cour qui n’a pas autrement recherché au vu des précédents contrats de l’intéressé, d’ailleurs non joints au dossier, si les tâches successivement données au salarié intérimaire eussent pu exiger la création d’un poste permanent et durable ; que de chef encore, l’arrêt est privé de toute base légale” ;

Sur le sixième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, L. 4154-2, L. 4141-2, aliéna 1, L. 4141-1 du code du travail, 121-2, 121-3 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

”en ce que la cour a déclaré l’employeur coupable d’homicide involontaire sur la personne d’un salarié intérimaire ;

”aux motifs qu’aux termes de l’article L. 4154-2 du code du travail, “les salariés titulaires d’un contrat de travail à durée déterminée, les salariés temporaires et les stagiaires en entreprise affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité bénéficient d’une formation renforcée à la sécurité ainsi que d’un accueil et d’une information adaptés dans l’entreprise dans laquelle ils sont employés ; que la liste de ces postes de travail est établie par l’employeur, après avis du médecin du travail et du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou, à défaut, des délégués du personnel, s’il en existe ; elle est tenue à la disposition de l’inspecteur du travail” ; que, si les postes de travail devant figurer sur cette liste ne sont pas définis, il incombe à l’employeur, dans le cadre de son obligation d’évaluer les risques, d’adapter les mesures de prévention adaptées à chaque situation particulière de travail ; que la circulaire (DRT n° 90/18) du 30 octobre 1990, applicable au moment des faits, a prévu que, sur les listes des postes de travail présentant des risques particuliers, doivent figurer les travaux habituellement reconnus dangereux, qui nécessitent une certaine qualification ou exposent à certains risques ; qu’en l’espèce, le travail auquel avait été affecté Mamadou Y..., qualifié d’homme de pied, consistant à assister l’élagueur, notamment dans une tâche d’abattage d’arbre, constitue, à l’évidence, compte tenu du risque que l’opération présente et de l’utilisation d’outillage spécifique, tel que tronçonneuse, une situation de travail présentant des risques particuliers pour la santé et la sécurité ; qu’en effet, la profession d’élagueur nécessite une formation et une qualification spécifique ; qu’elle suppose également des aptitudes physiques et une connaissance de l’environnement naturel propre à l’activité ; qu’assister un élagueur ou bûcheron, en particulier dans une opération d’abattage d’arbre, requiert les mêmes aptitudes ; que le poste de travail d’homme de pied, tel qu’exercé dans l’entreprise utilisatrice, la société Even, allant jusqu’à des actes de coupe et d’abattage d’arbres, étant particulièrement exposé aux risques professionnels ; que cette société, comprenant près de cent employés, n’avait pas établi de liste ni déterminé un état de postes de travail à risques pour les intérimaires ; que c’est donc à juste titre que le tribunal a estimé qu’en l’espèce, l’infraction prévue à l’article précitée était constituée à l’encontre de la société et de son président, M. X... ; que cette décision sera confirmée ;

”alors qu’en retenant la responsabilité directe de l’employeur sans s’interroger comme en elle était cependant requise sur le point de savoir si, au moment des faits, le requérant n’avait pas régulièrement délégué ses pouvoirs en matière de sécurité à une personne responsable jouissant de la compétence, de l’autorité et des pouvoirs nécessaires à cette fin, la cour d’appel n’a pas permis à la cour de cassation d’exercer son contrôle régulateur sur la qualification des faits” ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions régulièrement déposées devant elle, notamment en ce qu’elle a constaté l’absence de réalité de la délégation de pouvoirs invoquée, et caractérisé, en tous leurs éléments, l’homicide involontaire et les infractions à la réglementation du travail dont elle a déclaré les prévenus coupables ;

D’où il suit que les moyens, qui reviennent à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être accueillis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le huit septembre deux mille quinze ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

Décision attaquée : Cour d’appel de Versailles , du 2 avril 2014