Accord communautaire modifiant les règles de coordination de sécurité sociale

Accord communautaire du 19 mars 2019 relatif aux règles de sécurité sociale applicables aux travailleurs en mobilité au sein de l’Union européenne

Voir le communiqué de presse de la Commission européenne
Voir le communiqué de presse du Parlement européen

Présentation
L’accord obtenu le 19 mars 2019 entre la Commission européenne, le Conseil européen et le Parlement européen complète et modifie les règles de coordination applicables à la protection sociale des travailleurs en mobilité au sein de l’Union européenne, de l’Espace économique européen et en Suisse. Il modifie les règlements européens fixant ces règles, et notamment le règlement du 29 avril 2004 (voir le règlement), le règlement du 16 septembre 2009 (voir le règlement) et le règlement du 22 mai 2012 (voir le règlement).

L’accord du 19 mars 2019, qui doit être définitivement validé courant avril par le Conseil et le Parlement, traite principalement les sujets suivants :
.- l’amélioration de l’exportation des prestations de chômage,
.- l’amélioration du versement des prestations familiales,
.- la consolidation des droits en matière de prestations pour des soins de longue durée,
.- l’allongement du délai d’antériorité d’assujettissement dans l’Etat d’envoi, fixé à 3 mois, du salarié détaché ou du travailleur indépendant prestataire qui travaille dans un autre Etat couvert par l’accord (UE, EEE et Suisse).
Cette dernière mesure est présentée comme un moyen de mieux lutter contre les fraudes au détachement et la pratique des sociétés à boîtes aux lettres, en exigeant la justification d’une activité professionnelle préalable et consistante dans l’Etat d’origine. L’accord prévoit également un renforcement de la coopération entre les Etats pour s’assurer du respect de la condition d’antériorité d’assuré social de 3 mois dans l’Etat d’origine, avant le détachement.

Commentaire
.1) L’accord du 19 mars 2019 est le résultat de deux ans et demi de négociation, au cours desquels les différentes institutions européennes ont plusieurs fois souligné l’impact positif qu’il aurait sur les fraudes au détachement du salarié ou du travailleur indépendant prestataire en matière de sécurité sociale.
Force est de constater que cet accord n’atteint pas cet objectif puisqu’il ne contient aucune disposition permettant de contourner la jurisprudence de la CJUE qui, d’une part, a sacralisé le certificat de détachement et qui, d’autre part, a considérablement confiné le rôle de la commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale.

.2) En affichage, l’introduction, dans un règlement de coordination de sécurité sociale, d’une antériorité d’assujettissement de 3 mois avant détachement, est une bonne mesure qui devrait permettre, en principe, d’éviter une partie des abus et des fraudes constatés, notamment la délocalisation ou le rattachement fictif d’un salarié dans un pays dans lequel il n’ a jamais travaillé. Tel peut être le cas d’un salarié en mobilité intragroupe internationale rattaché fictivement au régime de sécurité sociale suisse ou d’un salarié intérimaire français détaché en France par une entreprise de travail temporaire basée au Luxembourg.
Par ailleurs, l’insertion dans un texte contraignant de cette durée minimale de 3 mois d’assujettissement préalable met fin, à tout le moins, à une insécurité juridique, voire à un vide juridique, puisque aucun délai de cette nature n’était mentionné dans les règlements de coordination de sécurité sociale existants. Seule une décision du 12 juin 2009 de la commission administrative de coordination de sécurité sociale, sans portée normative pour le juge l’Etat d’accueil et d’emploi, prévoyait une antériorité d’affiliation d’un mois (voir la décision).
Cependant, l’effet utile de l’insertion de ce délai de 3 mois dans le droit communautaire pour lutter contre le travail illégal et le dumping social en France est nul. En effet, le juge français restera contraint, en application de la jurisprudence de la CJUE, par un certificat de détachement délivré à tort à un salarié détaché ou un travailleur indépendant prestataire justifiant de moins de 3 mois d’assujettissement au régime de protection sociale émetteur de ce formulaire. Par ailleurs, la possession indue d’un certificat de détachement par un salarié détaché ou par un travailleur indépendant prestataire assujetti depuis moins de 3 mois ne constitue, en l’état du droit actuel, aucune infraction à la législation du travail en France.

.3) L’accord du 19 mars 2019 a totalement fait l’impasse sur la jurisprudence de la CJUE qui sacralise le certificat de détachement (A-Rosa) et (Altun) et qui réduit considérablement le rôle de la commission administrative (Alpenrind). Cette impasse, non expliquée, est peu compréhensible pour tous ceux qui sont investis dans la lutte contre le travail illégal et le dumping social.
Pourtant, la renégociation des textes de coordination de sécurité sociale était l’occasion idéale pour s’affranchir de cette jurisprudence et pour introduire dans le droit communautaire une disposition autorisant le juge de l’Etat d’accueil et d’emploi à écarter d’initiative et d’office le certificat de détachement en cas d’abus ou de fraude. Il n’est même pas certain que la France, malgré les effets très pénalisants de cette jurisprudence sur la lutte contre le travail illégal et le dumping social, sur les droits du salarié victime et sur les ressources de la sécurité sociale, ait présenté et défendu une telle évolution des textes communautaires lors de ces deux ans et demi de négociation.

.4) Objectivement, tant la directive du 28 juin 2018 sur le détachement (voir la directive), transposée par l’ordonnance Travail du 20 février 2019 (voir l’ordonnance), que l’accord du 19 mars 2019 modifiant les règlements de coordination de sécurité sociale, ne sont pas de nature à améliorer les outils juridiques dont disposent les agents de contrôle, les organismes de recouvrement, le salarié et le juge pour mieux appréhender et mieux traiter les situations de fraude au détachement sur le territoire français.