Certificat de détachement - procédure de retrait - CJUE affaire Alpenrind

Certificat de détachement frauduleux : la CJUE limite le pouvoir de la Commission administrative et laisse toute liberté à l’Etat d’envoi du salarié qui l’a délivré
Affaire C-527/16 Alpenrind du 6 septembre 2018

Voir l’arrêt Alpenrind de la CJUE

Présentation
Depuis l’arrêt C- 202/97 du 10 février 2000 Fitzwilliam, la CJUE rappelle que :
.- le certificat de détachement reste opposable dans l’Etat d’accueil et d’emploi du salarié détaché, tant qu’il n’a pas été retiré ou invalidé par l’institution de sécurité sociale de l’Etat d’envoi qui l’a émis ;
.- le certificat de détachement crée une présomption de régularité de l’affiliation du salarié au régime de protection sociale de l’institution émettrice ;
.- les autorités administratives ou le juge de l’Etat d’accueil et d’emploi ne sont pas habilités à se prononcer d’initiative sur la validité du certificat de détachement ; ils sont tenus de respecter la procédure de conciliation, prévue par les textes communautaires. Cette procédure implique que l’institution de sécurité sociale de l’Etat d’accueil et d’emploi demande le retrait ou l’invalidation du certificat de détachement à l’institution émettrice ; en cas de refus de celle-ci d’accéder à cette demande, l’institution de l’Etat d’accueil et d’emploi a la faculté de saisir la Commission administrative pour la coordination des régimes de sécurité sociale, prévue par les articles 71 et suivants du règlement 883/2004 du 29 avril 2004.
.- la CJUE fait du respect de cette procédure préalable de conciliation loyale une condition substantielle, y compris lorsque l’Etat d’accueil et d’emploi considère que le certificat de détachement est utilisé de façon frauduleuse sur son territoire pour ne pas lui verser de cotisations sociales.
Dans l’arrêt Alpenrind, la CJUE précise que les conclusions de la Commission administrative, saisie d’un recours contre le refus de retrait d’un certificat de détachement, n’ont valeur que d’un simple avis et ne s’imposent pas à l’institution émettrice ; celle-ci peut maintenir son refus de retirer le certificat de détachement, même si la Commission administrative juge fondé de le retirer et de donner suite à la demande de l’Etat d’accueil et d’emploi.
La CJUE ajoute deux autres précisions en relation avec le statut de salarié détaché et le certificat de détachement :
.- elle confirme sa jurisprudence Barry Banks (affaire C-178/97 du 30 mars 2000) relative à l’effet rétroactif du certificat de détachement, y compris lorsque l’Etat d’accueil et d’emploi a déjà affilé le salarié à son régime de protection sociale ;
.- elle considère qu’un salarié en mobilité internationale, qui remplace un salarié détaché sur le même poste de travail, n’a pas la qualité de détaché au sens de la sécurité sociale et ne peut être mis en possession d’un certificat de détachement.

Conséquences de l’arrêt Alpenrind
Il est surprenant que la CJUE accorde depuis l’arrêt Fitzwilliam, soit depuis 18 ans, une telle importance à la procédure de conciliation communautaire, pour réduire finalement celle-ci à une procédure non contraignante à l’égard de l’Etat de délivrance du certificat de détachement.
De surcroît, la décision prétorienne de la CJUE ne résulte pas de la lecture des textes communautaires ; la CJUE aurait pu statuer en sens inverse et considérer que les conclusions de la Commission administrative s’imposent à l’institution qui a émis le certificat de détachement. Tout comme, elle aurait pu considérer dans l’affaire Altun C-359/16 du 6 févier 2018, ainsi que le préconisait l’avocat général, que la fraude permettait au juge de l’Etat d’accueil et d’emploi d’apprécier la validité du certificat de détachement.
L’Etat d’accueil et d’emploi du salarié détaché qui souhaite récupérer les cotisations sociales et le salarié détaché lui-même qui souhaite bénéficier du régime de sécurité sociale en relation avec son véritable statut sont liés de façon irréversible par la décision d’une institution de sécurité sociale établie à l’étranger, qui, de fait, est à la fois juge et partie.
L’institution de sécurité sociale émettrice du certificat de détachement n’a aucun intérêt financier à retirer ce formulaire ; elle va perdre des cotisations sociales, voire être tenues de les rembourser. Retirer un certificat de détachement peut aussi signifier reconnaître un manque de vigilance, une négligence, une erreur, voire une faute.
A cet égard, l’intérêt financier de l’arrêt Alpenrind n’a pas dû échapper à plusieurs Etats membres de l’Union européenne dont les entreprises sont régulièrement mises en cause en France pour utiliser à tort des certificats de détachement.
La jurisprudence verrouillée de la CJUE, qui a ainsi au fil du temps sacralisé le certificat de détachement, est une mauvaise nouvelle supplémentaire pour l’efficacité de la lutte contre le travail illégal et le dumping social en France.
Ainsi, le strict respect par la France du mode d’emploi du retrait du certificat de détachement et de la procédure de conciliation imposés par la CJUE, réaffirmé récemment dans les affaires C-620/15 A-Rosa du 27 avril 2017 et C-359/16 Altun du 6 février 2018, n’est pas une garantie d’obtention du retrait de ce formulaire, puisque l’Etat qui l’a émis garde entièrement la main sur sa validité et, donc, sur le lieu de paiement des cotisations sociales.
Enfin, la confirmation de l’effet rétroactif de la délivrance d’un certificat de détachement favorise objectivement la fraude, puisqu’une régularisation par l’Etat d’envoi est possible, après un contrôle dans l’Etat d’accueil et d’emploi.