Discrimination raciale systémique - emploi de salariés étrangers sans titre

Discrimination raciale systémique reconnue dans une affaire de travail illégal, en relation avec des accidents du travail

Voir l’une des 25 décisions du 17 décembre 2019 du conseil de prud’hommes de Paris

Présentation

Le conseil de prud’hommes de Paris a rendu le 17 décembre des décisions reconnaissant notamment l’existence d’une discrimination raciale systémique à l’égard de 25 salariés maliens, dissimulés et sans titre de travail, employés sur un chantier de démolition à Paris courant 2016 ; le conseil de prud’hommes leur a accordé, à ce titre, des dommages et intérêts conséquents.
Le conseil de prud’hommes note page 17 de sa décision : « Chaque groupe (de salariés) est ainsi prédestiné à certaines tâches et cela, non en fonction de ses compétences réelles, mais semble-t-il uniquement en fonction de son origine, origine qui lui attribue une compétence supposée, l’empêchant ainsi de pouvoir occuper un autre positionnement au sein de ce système organisé de domination raciste.  ».

Le conseil de prud’hommes leur a également reconnu de nombreux droits sociaux, dont la réparation de leurs conditions de travail indignes et le droit à l’indemnité forfaitaire équivalente à six mois de salaire pour la dissimulation de leur emploi salarié.

Le Défenseur des droits est intervenu dans le cadre de cette instance judiciaire et a formulé des conclusions, comme son statut l’autorise, au titre de l’article 4 et dans le cadre de l’article 23 de la loi n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits.
Les décisions du conseil de prud’hommes sont non définitives et susceptibles de faire l’objet d’un appel.

L’inspection du travail de Paris a transmis pour sa part une procédure au procureur de la République faisant état de plusieurs manquements à la législation du travail ; le volet pénal de cette affaire n’a pas encore été jugé.

Commentaire

Il s’agit sans doute de la première décision judiciaire rendue en France reconnaissant l’existence d’une discrimination raciale systémique dans une entreprise et condamnant l’employeur à verser à ce titre des dommages et intérêts aux salariés étrangers discriminés.
La décision mérite d’autant d’être soulignée qu’elle concerne des salariés étrangers sans titre de travail et de séjour et qui sont appelés des sans-papiers. Le conseil de prud’hommes reconnaît ainsi que la législation française qui interdit les discriminations s’applique aussi aux salariés étrangers travaillant et séjournant de façon irrégulière sur le territoire français, ce qui n’est pas rien, et qu’un employeur ne peut, pour cette raison les discriminer, les faire travailler dans des conditions indignes et les priver de leurs droits sociaux élémentaires.

Pour asseoir sa décision, le conseil de prud’hommes s’est largement référé aux constats faits sur le chantier par l’inspection du travail, dans une procédure transmise au parquet, remarquablement explicite et documentée.

Au-delà de cette première judiciaire, il convient de noter les nombreux droits sociaux qui ont été reconnus à ces salariés, et en particulier la requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse de la prise d’acte par les salariés de la rupture de leur contrat de travail pour non paiement de salaire et pour des conditions de travail en infraction avec les normes d’hygiène et de sécurité prévues par la législation du travail.
Le conseil de prud’hommes a considéré que la prise d’acte de la rupture des contrats de travail aux torts de l’employeur était intervenue dans les conditions fixées par la Cour de cassation, ce qui l’a rendait légitime pour être qualifiée de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il est à noter aussi l’intervention judiciaire, peu fréquente, du Défenseur des droits venu appuyer les demandes des salariés sans-papiers sur la discrimination et leurs conditions indignes de travail.

Mais, plus que de longs commentaires, il convient de se reporter à la lecture édifiante du jugement du conseil de prud’hommes de Paris pour saisir tout son intérêt et son importance, dans une affaire de travail illégal où la reconnaissance et la reconstitution des droits des victimes (salariés et organismes de protection sociale) restent un incontournable pour une action publique efficace et crédible.