Droit d’audition dans le cadre d’une affaire de travail dissimulé

Condition de validité d’une audition par un organisme de recouvrement dans une affaire de travail dissimulé

Arrêt de la Cour de cassation n° 18-19847 du 19 septembre 2019

Arrêt de la Cour de cassation n° 18-19929 du 19 septembre 2019

Présentation

Dans deux arrêts de cassation rendus le 19 septembre 2019, la 2ème chambre civile de la Cour de cassation précise et rappelle les conditions de mise en œuvre de l’article L.8271-6-1 du code du travail, qui mentionne notamment que les agents de contrôle, dans le cadre de la recherche et de la constatation du travail dissimulé, sont habilités à entendre, en quel que lieu que ce soit et avec son consentement, tout employeur ou son représentant et toute personne rémunérée, ayant été rémunérée ou avoir été rémunérée par l’employeur ou par un travailleur indépendant, afin de connaître la nature des activités de cette personne, ses conditions d’emploi et le montant des rémunérations s’y rapportant, y compris les avantages en nature.
Les deux arrêts du 19 septembre 2019 concernent l’incidence du non respect de cette disposition du code du travail sur la régularité de la procédure de recouvrement des cotisations et contributions sociales engagée par un organisme de protection sociale, en l’espèce l’URSSAF, lorsqu’une situation de travail dissimulé est établie.

L’arrêt n° 18-19847 casse une décision de cour d’appel qui avait annulé une procédure de recouvrement des cotisations et contributions sociales au motif qu’une audition supplémentaire d’une personne avait été effectuée après réception de la réponse de l’employeur à la lettre d’observations de l’URSSAF, c’est-à-dire après le contrôle, sans que l’URSSAF ait mentionné dans les écritures de la procédure de recouvrement engagée que cette audition avait été consentie ; la cour d’appel y voyait par ailleurs une atteinte au principe du contradictoire.

La Cour de cassation considère que l’obligation de l’audition consentie de l’article L.8271-6-1 du code du travail ne s’applique qu’au cours des opérations de contrôle destinées à la recherche et à la constatation du travail dissimulé. En conséquence, lorsque l’URSSAF a procédé à cette audition supplémentaire, après le contrôle, puisque la lettre d’observations avait été envoyée à l’employeur, les dispositions de l’article L.8271-6-1 du code du travail n’ont pas vocation à s’appliquer, la recherche et le constat du travail dissimulé étant terminés. Dans le cas d’espèce, la Cour de cassation a donc validé la procédure de recouvrement des cotisations et contributions sociales et a renvoyé l’affaire pour être jugée autrement.

L’arrêt n° 18-1929 casse une décision de cour d’appel qui avait refusé d’annuler une procédure de recouvrement des cotisations et contributions sociales estimant que l’URSSAF n’avait pas violé les dispositions de l’article L.8271-6-1 du code du travail. La cour d’appel avait considéré que l’audition non consentie par l’URSSAF d’une personne aux fins de fournir des explications à cet organisme sur des documents comptables examinés lors d’un contrôle pour rechercher et constater du travail dissimulé n’était pas contraire à cette disposition du code du travail, dès lors que le redressement de l’URSSAF ne se fondait pas exclusivement sur les déclarations de la personne entendue et que ce redressement s’appuyait principalement sur la lecture des documents comptables.

La Cour de cassation censure cette décision en rappelant que les textes qui confèrent des pouvoirs d’investigation aux agents de contrôle sont d’application stricte. Dès lors que l’audition de la personne s’effectuait dans le cadre de la recherche et de la constatation du travail dissimulé, avant l’envoi de la lettre d’observations finalisant les constats et les analyses de l’inspecteur du recouvrement, elle devait être acceptée et consentie par la personne entendue.

Commentaire

Les deux arrêts rendus le 19 septembre 2019 par la 2ème chambre civile de la Cour de cassation portent sur le même sujet, mais statuent dans des sens opposés par une lecture très formelle du code du travail. Dans les deux cas, il s’agissait d’apprécier la régularité de l’audition d’une personne dans une affaire de travail dissimulé par un agent de contrôle d’un organisme de recouvrement, qui engage par la suite un redressement de cotisations et de contributions sociales à l’encontre de l’auteur du travail dissimulé.

.1 La Cour de cassation considère que l’audition consentie n’est obligatoire que lors des opérations de recherche et de constatation de l’infraction de travail dissimulé, par référence, et par renvoi textuel, à l’article L.8271-1 du code du travail qui fixe la mission des agents de contrôle habilités.
Cette mission de recherche et de constatation, dans le cadre de laquelle l’audition consentie est obligatoire, s’apprécie au cas par cas, selon la qualité et le statut de l’agent de contrôle, étant rappelé que l’article L.8271-1-2 du code du travail habilite huit catégories différentes d’agents de contrôle.

Lorsque l’agent de contrôle n’appartient pas à une entité de recouvrement social, fiscal ou douanier, la mission de recherche et de constatation du travail dissimulé prend fin lors de la transmission au procureur de la République d’un rapport ou d’un procès-verbal qui acte la clôture des investigations de l’agent. Jusqu’à cette clôture, l’audition consentie est obligatoire. La question de la nécessité de cette audition consentie se pose alors lorsque le procureur de la République demande un complément d’enquête à l’agent concerné ou adresse par soit-transmis la procédure d’un autre agent pour complément d’enquête.

Lorsque l’agent de contrôle appartient à une entité de recouvrement social, fiscal et douanier, la mission de recherche et de constatation du travail dissimulé se combine avec celle du recouvrement. Cette double mission entraîne l’application, au titre de l’audition, d’une part l’application de l’article L.8271-6-1 du code du travail et d’autre part l’application des textes particuliers de droit commun qui régissent éventuellement le droit d’audition inhérent au statut de chacun de ces agents.

Pour s’en tenir aux cas d’espèce et aux organismes de recouvrement de la sphère sociale, la Cour de cassation limite strictement l’application de l’audition consentie de l’article L.8271-6-1 du code du travail aux opérations et aux actes de recherche et de constatation de la situation de travail dissimulé. Dès lors que la lettre d’observations mentionnée à l’article R.243-59 du code de la sécurité sociale est adressée à la personne contrôlée dans le cadre de ces opérations, la Cour de cassation considère ces opérations sont closes, que l’article L.8271-6-1 du code du travail ne s’applique plus, au profit des dispositions du code de la sécurité sociale qui régissent, par la suite, le recouvrement des cotisations et contributions sociales.
Cette analyse de la Cour de cassation est confortée par la rédaction de l’article R.243-59 du code de la sécurité sociale dont le point III mentionne explicitement que la lettre d’observations est adressée à l’issue du contrôle ou du constat de travail dissimulé effectué par un agent de contrôle appartenant à une autre administration.

.2 Compte tenu de la rédaction de l’article L.8271-6-1 du code du travail, le droit d’audition consenti ne vaut pas pour toute personne entendue dans le cadre d’une enquête relative à une affaire de travail dissimulé ; il est limité à l’employeur, à son représentant et à toute personne rémunérée par cet employeur.
L’audition de toute autre personne est libre ; ainsi il en va de l’audition d’un donneur d’ordre, d’un maître d’ouvrage ou d’un comptable indépendant extérieur à l’entreprise contrôlée ou de tout autre tiers.

.3 L’obligation pour tous les agents de contrôle d’obtenir, en application de l’article L.8271-6-1 du code du travail, le consentement de la personne auditionnée n’a été été rendue obligatoire qu’en 2004, par une disposition législative discrètement insérée dans un texte législatif qui avait un tout autre objet (voir l’article 71 de la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie). Auparavant, ce droit d’audition était régi par le seul statut applicable à chaque corps de contrôle ; aucune explication n’a été donnée sur l’extension de l’audition consentie lors de la préparation de la loi et de son vote au Parlement.
Pour les agents de contrôle dont les auditions libres sont la règle, cette contrainte procédurale supplémentaire n’est pas anodine. Il en est ainsi des agents de l’inspection du travail, dont toutes les auditions sont libres, y compris pour la recherche et la constatation de délits aussi graves et sensibles que le travail illégal, tels que les discriminations, les entraves, le harcèlement ou pour les investigations menées à l’occasion d’un accident du travail. La question se pose donc de savoir pourquoi a-t-on rendues plus difficiles les enquêtes et les investigations en matière de travail illégal, notamment si la personne sollicitée refuse d’être auditionnée.

A ce titre, l’article L.8271-6-1 du code du travail pourrait être contraire sur ce point à la Convention n°81 de l’OIT qui fixe le statut des agents de l’inspection du travail ; cette Convention reconnaît un droit d’audition libre aux agents de l’inspection du travail, quel soit l’objet du contrôle. Elle reconnaît également le droit de faire des visites sans prévenir l’employeur de la présence de l’agent, lorsque cette information est susceptible de nuire à l’efficacité du contrôle, ce qui est adapté à la recherche et à la constatation du travail dissimulé.
L’article L.8271-6-1 du code du travail pourrait être analysé comme limitant les prérogatives des agents de l’inspection du travail mentionnées dans la Convention n° 81 de l’OIT.

.4 Dans ce contexte, la décision n° 18-19847 du 19 septembre 2019 de la Cour de cassation contient à leur juste mesure les effets pénalisants de l’audition consentie de l’article L.8271-6-1 du code du travail à l’égard des agents de contrôle habilités en matière de travail illégal.