Fraude à l’établissement en France et redressement fiscal

Fraude à l’établissement en France : paiement de rappel de taxes sur la TVA éludée

Arrêt n° 17NT01446 du 20 décembre 2018 de la Cour administrative d’appel de Nantes

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Présentation
Une société de droit bulgare se livrait en France a une activité de location de main d’œuvre bulgare (sic) auprès d’exploitants agricoles français. Dans le cadre d’une vérification de comptabilité, les services fiscaux ont considéré que cette société disposait en France d’un établissement stable, et non pas qu’elle exerçait son activité économique dans le cadre d’une prestation de services, au sens des textes communautaires et de la convention fiscale franco bulgare du 17 mars 1987.
A ce titre, elle devenait redevable personnellement du paiement de la TVA due, aux lieu et place des preneurs c’est-à-dire de ses clients, sur les sommes facturées aux exploitants agricoles, dont le montant à régulariser s’élevait à 565 551 euros, portant sur deux années d’activité.

La société bulgare avait saisi le tribunal administratif compétent pour contester ce redressement, considérant qu’elle n’avait pas en France d’établissement stable, dès lors qu’elle déclarait disposer en Bulgarie de l’ensemble des moyens matériels, juridiques et humains pour contrôler depuis cet Etat l’ensemble de ses activités en France.
Le tribunal administratif avait rejeté sa demande ; saisie d’un recours, la cour administrative d’appel a confirmé le jugement du tribunal administratif, faisant droit à la mise en recouvrement des services fiscaux.

Le juge administratif constate en premier lieu que les clients de la société bulgare, c’est-à-dire les exploitants agricoles, sont assujettis à la TVA et que le siège de leurs activités économiques se situe en France. Il constate que la totalité de l’activité de la société est opérée en France auprès de 134 clients sur la période de deux ans redressée et que l’un de ses deux responsables se livrait à de la prospection en France à partir d’un bureau situé dans le département du Loir-et-Cher, avec un numéro de téléphone français. Il recensait les besoins des exploitants agricoles, négociait les contrats commerciaux et fixait les tarifs ; il rédigeait les contrats, les conservait, organisait le planning de travail des salariés. Il adressait les factures aux exploitants agricoles. Le tout avec un matériel informatique installé dans ce bureau où il disposait d’un tampon humide au nom de la société.
Le juge administratif note que ces éléments attestent que ce responsable assurait depuis son domicile ou de ce bureau l’intégralité de la gestion de l’activité de la société à destination des clients français, à partir d’un établissement permanent apte à rendre, de façon autonome, les services proposés par sa société.

Commentaire
La décision de la cour administrative d’appel de Nantes du 20 décembre 2018 rappelle avec opportunité que la lutte contre le travail illégal et le dumping social est susceptible de faire l’objet d’un traitement fiscal en régularisation du paiement d’impôts, de taxes et de droits éludés, notamment au regard de l’impôt sur les sociétés et au regard de la TVA.
Le traitement fiscal, moins souvent mobilisé et connu, n’est pas anodin puisqu’il peut porter sur des sommes conséquentes, et donc dissuasives (voir quelques autres décisions de justice sur le même sujet). S’agissant d’une entreprise étrangère qui se prévaut indûment du régime fiscal attaché à la prestation de services, il s’appuie essentiellement sur la technique de la requalification visant à démontrer que l’opérateur économique de droit étranger dispose d’un établissement stable en France, encore appelé installation fixe d’affaires.

Les services fiscaux, à l’identique des organismes de recouvrement de la sphère sociale, disposent d’outils spécifiques, telle la saisie conservatoire auprès des clients de l’entreprise étrangère qui fraude à l’établissement, leur permettant de garantir le paiement de leurs créances, et notamment de la TVA (voir la décision de la Cour de cassation).

Le traitement fiscal de la fraude à l’établissement s’ajoute au traitement pénal lié à l’infraction de travail dissimulé par dissimulation d’activité et souvent par dissimulation d’emploi salarié ; dans le cas présent, le traitement pénal pouvait également s’étendre aux infractions de marchandage et de prêt illicite de personnel. Le traitement fiscal s’ajoute également au traitement civil de cette fraude lorsque les cotisations sociales ne sont pas versées en France et que le salarié affecté à l’activité économique déployée en France sous couvert de cette fraude est indûment considéré comme un salarié détaché.
Il est à noter que dans la présente affaire, l’inspection du travail a verbalisé l’entreprise pour fraude à l’établissement en constatant l’infraction de travail dissimulé par dissimulation d’activité.

Même si chaque traitement contentieux obéit à ses propres règles et à ses propres définitions, on peut penser que, dans la majorité des situations, la reconnaissance d’une fraude à l’établissement par un de ces quatre contentieux vaut pour les autres, ce qui conforte la nécessité d’une bonne coordination interministérielle locale à l’égard de cette délinquance économico-financière.
Pour reconnaître l’existence d’un établissement stable en France, il n’est pas nécessaire que l’opérateur économique dispose d’une infrastructure et de moyens conséquents. L’activité économique considérée comme un établissement stable peut être exercée à partir d’un domicile privé, avec de légers moyens bureautiques et téléphoniques, dès lors que cette infrastructure réduite permet de développer et faire prospérer cette activité économique (voir notamment l’arrêt de la Cour de cassation du 16 avril 2008).