Ordonnance Travail de transposition de la directive du 28 juin 2018 sur le détachement du salarié

Ordonnance Travail du 20 février 2019 portant transposition de la directive du 28 juin 2018 modifiant la directive du 16 décembre 1996 relative au détachement du salarié dans le cadre d’une prestation de services

Voir le rapport au Président de la République
Voir l’ordonnance du 20 février 2019

Le ministère du travail vient de rédiger l’ordonnance, ainsi que son rapport de présentation au Président de la République, destinée à assurer la transposition de la directive du 28 juin 2018, qui modifie la directive originelle 96/71/CE du 16 décembre 1996 relative au détachement du salarié dans un autre Etat de l’Union européenne dans le cadre d’une prestation de services internationale (voir la directive).
Le rapport au Président de la République et l’ordonnance sont publiés au Journal officiel du 21 février 2019.
Lors de son adoption, la directive du 28 juin 2018 a été présentée, notamment par la ministre du travail, comme un texte important, améliorant de façon significative les droits sociaux du salarié détaché, dans le but de mieux lutter contre le dumping social.
Dans un précédent commentaire de la directive du 28 juin 2018 (voir le commentaire), il avait été indiqué et expliqué que cette directive, à plus d’un titre, n’avait pas vocation à améliorer les droit sociaux du salarié détaché sur le territoire français, compte tenu de ses dispositions minimalistes.
La lecture de l’ordonnance du 20 février 2019 confirme ce constat.
L’ordonnance du 20 février 2019 comprend deux séries de dispositions, qui se mêlent entre elles ; d’une part des dispositions qui sont la transposition directe de la directive du 28 juin 2018 et d’autre part des dispositions qui sont sans lien avec la transposition de la directive et qui sont des modifications rédactionnelles de circonstance du code du travail. On peut donc dire que l’ordonnance du 20 février 2019 va au-delà de la transposition de la directive.
Dès lors, l’ordonnance aurait pu inclure des mesures améliorant de façon effective et sensible les droits sociaux du salarié détaché.

Article 1er de l’ordonnance
Présentation

L’article 1er reformule l’article L.1262-2 du code du travail relatif à l’entreprise de travail temporaire qui détache un salarié intérimaire sur le territoire français.
A l’occasion de cette reformulation, l’ordonnance précise que l’entreprise de travail temporaire peut détacher un salarié intérimaire auprès d’un utilisateur établi en France ou auprès d’un utilisateur non établi en France mais qui preste sur le territoire français.

Commentaire
Ce toilettage rédactionnel est sans relation avec la transposition de la directive du 28 juin 2018. Il n’apporte aucune amélioration aux droits sociaux du salarié détaché.
Préciser que le salarié intérimaire détaché peut être mis à la disposition d’une entreprise établie en France ou non n’est qu’une coquetterie rédactionnelle qui ne modifie pas l’état du droit existant depuis la loi quinquennale sur l’emploi du 20 décembre 1993 (voir la loi) et le décret du 11 juillet 1994 (voir le décret).

Article 2
Présentation

L’article 2 fait peser une obligation d’information sur l’entreprise utilisatrice qui recourt à une entreprise de travail de travail temporaire établie hors de France.
Lorsque l’entreprise utilisatrice est elle-même établie hors de France, elle informe préalablement au détachement cette entreprise de travail temporaire des règles applicables au salarié intérimaire que celle-ci s’apprête à détacher sur le territoire français. Un arrêté du ministre chargé du travail va préciser la liste des informations qui sont communiquées par l’entreprise utilisatrice (dont les modalités- par écrit ?- ne sont pas indiquées).
En cas ce contrôle, l’entreprise utilisatrice est tenue de justifier auprès de l’inspection du travail du respect de cette obligation d’information.
Cette obligation d’information fait disparaître la déclaration spécifique effectuée par l’entreprise utilisatrice à l’inspection du travail, qui résultait de l’article 112 de la loi du 8 août 2016 (voir la loi).
Lorsque l’entreprise utilisatrice est établie en France, elle informe préalablement au détachement cette entreprise de travail temporaire des règles applicables en matière de rémunération au salarié intérimaire que celle-ci s’apprête à détacher sur le territoire français.

Commentaire
L’article 2 est la transposition de la directive du 28 juin 2018.
Cette obligation d’information est très formelle et n’ajoute rien au droit existant. En effet depuis la loi du 3 janvier 1972 sur le travail temporaire, une entreprise utilisatrice ne peut contracter qu’avec une entreprise de travail temporaire qui respecte les règles relatives au travail temporaire. Si l’utilisateur constate des non conformités dans le contrat de mise à disposition qu’il va signer, il en informe l’entreprise de travail de travail temporaire pour ne pas contracter dans l’illégalité. A défaut, sa responsabilité pénale peut être engagée pour marchandage et prêt illicite de main-d’œuvre.
L’ordonnance du 20 février 2019 introduit une différence, assez peu logique et non expliquée dans le rapport au Président de la République, dans le niveau de l’obligation d’information à communiquer, selon que l’entreprise utilisatrice est établie en France ou pas.
S’agissant du niveau de rémunération, cette obligation d’information n’est que de façade puisque le contrat de mise à disposition prévoit déjà cette mention, en application du 6° de l’article L.1251-43 du code du travail. Cette mention implique en effet que l’entreprise utilisatrice ne doit pas signer un contrat de mise à disposition faisant état d’une rémunération inférieure à celle que doit percevoir un salarié intérimaire, détaché ou non, en application de cette disposition du code du travail. Un dialogue s’engage alors nécessairement entre les deux entreprises.
Il est à espérer que la communication de ces informations à l’entreprise de travail temporaire soit profitable au salarié détaché, et surtout qu’elles soient pertinentes et non pas erronées. L’information la plus fiable reste, en principe, l’information officielle.
A titre d’exemple, les informations, nécessairement détaillées, qui seront données sur la garantie financière seront déterminantes, même si l’utilisateur devait déjà également s’assurer de l’existence de cette garantie et de sa qualité, avant de contracter.
L’article 2 limite formellement la justification auprès de l’inspection du travail du respect de l’obligation d’information à l’entreprise utilisatrice non établie en France ; cette limitation est assez peu compréhensible, mais sans effet puisque l’alinéa 3 de l’article L.8112-1 du code du travail lui donne compétence de veiller à l’application de toutes les dispositions du code du travail.
L’ordonnance ne dit pas si l’entreprise utilisatrice qui fournit des informations fausses ou erronées est répréhensible.
L’article 2 de l’ordonnance aurait pu saisir cette occasion pour étendre cette obligation d’information à tous les donneurs d’ordre qui recourent à des entreprises étrangères, sans la limiter aux entreprises de travail temporaire, ou, à tout le moins, l’étendre aux agences de mannequins qui fonctionnent à l’identique d’une entreprise de travail temporaire.

Article 3
Présentation

L’article 3 procède à la réécriture de l’article L.1262-4 du code du travail relatif au noyau dur de la législation du travail applicable à l’entreprise étrangère et au salarié détaché.
En matière de rémunération due au salarié détaché, le 8° de l’article 3 se réfère explicitement à la définition de la rémunération au sens de l’article L.3221-3 du code du travail dont le salarié détaché doit percevoir tous les éléments.
L’article 3 introduit l’obligation pour l’entreprise étrangère de faire bénéficier le salarié détaché, dans le cadre de la loi ou de la convention collective applicable, du remboursement de ses frais professionnels correspondant à des charges de caractère spécial inhérentes à sa fonction ou à son emploi, lors de l’accomplissement de sa mission, en matière de transport, de repas et d’hébergement.
L’article 3 prévoit, conformément à la directive, que le salarié détaché plus de douze mois, bénéficie, dès le treizième mois, de l’intégralité des dispositions du code du travail, l’exception de celles qu’il énumère (notamment formation du contrat de travail, transfert du contrat de travail, rupture du contrat de travail à durée indéterminée, contrat de travail à durée déterminée et chèques et titres simplifiés de travail).
Cependant, l’application de ces règles de droit commun, au-delà du seul noyau dur, peut être écartée par l’entreprise étrangère, lorsque l’exécution de la prestation le justifie, en adressant une déclaration motivée à l’autorité administrative avant la fin de l’expiration du délai de douze mois, et pour une durée maximale de six mois, soi au total dix huit mois.
Enfin, l’article 3 précise qu’en cas de remplacement d’un salarié détaché par un autre salarié détaché sur le même poste de travail, la durée de détachement de douze mois est atteinte lorsque la durée cumulée des deux détachements atteint douze mois.

Commentaire
L’article 3 pouvait être considéré comme la disposition centrale, très attendue, de la transposition de la directive du 28 juin 2018 concernant la rémunération du salarié détaché et ses remboursements de frais.
Lors de l’adoption de la directive, la France avait salué la reconnaissance du principe « A travail égal, salaire égal », ainsi que la prise en charge obligatoire par l’employeur des frais professionnels du salarié détaché. Or, la directive ne prévoit pas de tels avantages, pas plus que l’article 3 de l’ordonnance qui en fait sa transposition littérale.
Sur ces deux points cruciaux, l’état de la législation française ne change pas et les droits du salarié détaché ne sont pas modifiés et améliorés.
En effet, la référence à l’article L.3221-3 du code du travail au 8° de l’article 3 est purement formelle ; l’obligation de faire bénéficier le salarié détaché de la rémunération au sens de l’article L.3221-3 date du décret du 11 juillet 1994, et notamment de l’alinéa 2 de l’article D.341-5-1 inséré à cette occasion dans le code du travail.
La rémunération reste celle prévue par la convention collective ; il ne s’agit donc pas désormais de verser au salarié la même rémunération effective et réelle que celle que perçoit un salarié en emploi direct, au nom du principe « A travail égal, salaire égal ». On n’est pas dans une rédaction équivalente à celle du 5° de l’article R.5221-20 du code du travail, qui a une toute autre portée. Or, dans de nombreuses branches, le salaire effectif est bien supérieur au mini conventionnel.
S’agissant de l’obligation de rembourser les frais professionnels, l’article 3 est neutre et sans effet utile supplémentaire pour le salarié détaché ; l’article 3 ne fait que confirmer le droit existant depuis le décret du 11 juillet 1994 et l’alinéa 2 de l’article D.341-5-1 du code du travail.
L’article 3 n’oblige pas l’employeur du salarié détaché à lui rembourser ses frais professionnels liés au transport, à la nourriture et au logement. Il prévoit uniquement que le salarié détaché bénéficie des dispositions légales et conventionnelles qui régissent les remboursements de frais professionnels.
Le code du travail est muet sur ce sujet ; restent les dispositions éventuelles de la convention collective applicable. Or, le salarié détaché bénéficie des dispositions de la convention collective applicable depuis le décret du 11 juillet 1994. Par ailleurs, très peu de conventions collectives prévoient le remboursement des frais professionnels ; elles optent, de façon générale et notamment dans les secteurs dans lesquels les entreprises étrangères détachent principalement des salariés, pour le versement de primes ou d’indemnités forfaitaires (prime de panier, indemnité de grand déplacement…), ce qui constitue des compléments et accessoires de salaire dont le salarié détaché bénéficie depuis le décret précité.

Par ailleurs, l’article 3 accepte le double détachement successif sur le même poste de travail, contrairement à ce que vient de juger la CJUE dans l’affaire Alpenrind en matière de sécurité sociale (voir la décision). Cette contrariété entre le droit du travail et le droit de la sécurité sociale aurait pu être évitée, en n’insérant pas cette possibilité dans l’article 3 de l’ordonnance. Pourquoi ne pas avoir harmonisé ?
D’autre part, et contrairement à ce que laissaient penser les déclarations faites au moment de l’adoption de la directive, le détachement du salarié n’est pas limité à douze mois ; il est porté de plein droit à dix huit mois, dès lors que l’entreprise étrangère adresse une déclaration dans ce sens à l’autorité administrative.
On peut s’interroger sur cette mesure contraire aux déclarations politiques faites lors de la négociation et de l’adoption de la directive qui souhaitait limiter le détachement à douze mois, d’autant que la durée moyenne du détachement en France ne dépasse pas les soixante jours.
Est-ce pour favoriser, ou ne pas contrarier, le détachement du salarié au sein des grands groupes, dans le cadre de la mobilité internationale intragroupe, dont la durée dépasse sensiblement ces soixante jours ? Alors même que les conditions de cette mobilité ne sont pas toujours respectées.
Enfin, il est à noter que l’article 3, qui énumère les matières relevant du noyau dur du code du travail, oublie , une fois de plus , de mentionner les conditions de mise à disposition et garanties dues aux mannequins par les entreprises exerçant une activité d’agence de mannequins. Cet oubli est systématique depuis l’article 89 de la loi du 2 aout 2005 (voir la loi).
Au final, l’article 3 de l’ordonnance n’apporte aucune amélioration aux droits du salarié détaché qui restent les mêmes depuis le décret du 11 juillet 1994, notamment en matière de rémunération et de remboursement de frais professionnels.

Article 4
Présentation

L’article 4, qui est une conséquence de la transposition de la directive, crée une sanction administrative à l’encontre de l’entreprise étrangère qui :
.- ne fait pas bénéficier le salarié détaché plus de douze mois sur le territoire français des dispositions de droit commun du code du travail,
.- ne procède pas à la déclaration auprès de l’autorité administrative compétente, en cas de prolongation de la durée du détachement au-delà de douze mois.

Commentaire
La sanction administrative est l’amende administrative de 4 000 maximum par salarié détaché prévue par l’article L.1264-3 du code du travail.
On rappelle que la moyenne de la durée du détachement en France n’excède pas soixante jours.

Article 5
Présentation

L’article 5 insère deux modifications dans le code du travail, pour compléter la transposition de la directive :
.- la première modification ajoute l’expression « entreprise utilisatrice » après l’expression « donneur d’ordre » au I de l’article L.1264-2 du code du travail qui prévoit des sanctions administratives à l’encontre du maître d’ouvrage ou du donneur d’ordre qui recourt à une entreprise étrangère.
.- la seconde modification ajoute, dans ce même article du code du travail, une sanction administrative contre l’entreprise utilisatrice établie en France qui n’a pas informé l’entreprise de travail temporaire à laquelle elle recourt, des règles applicables en matière de rémunération au salarié intérimaire détaché qu’elle emploie et dès lors que cette entreprise de travail temporaire ne respecte pas ces règles, c’est à dire qu’il est constaté que le salarié intérimaire détaché perçoit une rémunération inférieure à ce que prévoit le code du travail.
Aucune sanction n’est prévue à l’encontre de l’entreprise utilisatrice non établie en France.

Commentaire
Une entreprise utilisatrice est un donneur d’ordre ; ajouter cette expression n’était pas nécessaire.
Compte tenu de l’oubli de la mention des agences de mannequins dans l’article 2 de l’ordonnance, le donneur d’ordre qui recourt à une agence de mannequins établie dans l’Union européenne ou l’Espace économique européen échappe à cette sanction administrative.
Aucune explication n’est donnée sur la différence de traitement, avec rupture du principe d’égalité devant la loi, entre l’entreprise utilisatrice établie en France qui fait l’objet d’une sanction pour défaut d’information et l’entreprise utilisatrice non étable en France qui, pour le même motif, ne fait pas l’objet de sanction.

Article 6
Présentation

L’article 5 de l’ordonnance ajoute le critère de la bonne foi pour fixer le niveau de l’amende administrative susceptible d’être infligée à l’entreprise étrangère, son donneur d’ordre ou au maître d’ouvrage, en application des articles L.1264-1 et L.1264-2 du code du travail.

Commentaire
Cet ajout, bien éloigné de la valorisation des droits sociaux du salarié détaché et de la lutte contre le dumping social, est purement d’affichage. L’administration du travail compétente, c’est-à-dire le direccte ou le dieccte, prend toujours implicitement en compte ce critère non écrit. Il peut même ne pas prononcer la sanction administrative.

Article 7
Présentation

L’article 7 contient trois mesures :
.- il mentionne que la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance est fixée au 30 juillet 2020.
.- il précise que pour les détachements en cours au 30 juillet 2020, la durée de douze mois s’apprécie en tenant compte des périodes de détachement déjà accomplies à cette date
.- il réserve le cadre juridique, avec maintien du statu quo, applicable aux entreprises de transport routier dans l’attente de l’adoption d’une autre directive spécifique à ce secteur d’activité.

Conclusions
Force est de constater un décalage assez marqué entre toutes les déclarations politiques faites lors des discussions et de l’adoption de la directive du 28 juin 2018 présentée comme étant destinée à mieux lutter contre le dumping social et le contenu très fade et indigent de l’ordonnance du 20 février 2019.
L’ordonnance du 20 février 2019 n’apporte en effet aucune amélioration aux droits sociaux du salarié détaché, tels qu’ils sont prévus par le code du travail depuis le décret du 11 juillet 1994. L’adoption de cette directive n’a donc eu aucun impact sur le niveau des droits sociaux du salarié détaché sur le territoire français.
Les parlementaires apporteront peut être des améliorations à l’ordonnance du 20 février 2019 lors de sa ratification.
Si on ajoute à ce constat, la sacralisation du certificat de détachement par la CJUE, puis par la Cour de cassation, la lutte contre le travail illégal et le dumping social du fait des entreprises étrangères et de leurs donneurs d’ordre reste entravée par des outils juridiques défaillants, inadaptés ou insuffisants.