Plateforme de mise en relation en ligne et faux auto entrepreneurs - portage et livraison à domicile

La Cour de cassation censure un arrêt de cour d’appel qui a refusé de reconnaître le statut de salarié à des livreurs à domicile auto entrepreneurs inscrits sur une plateforme numérique de mise en relation

Arrêt de la Cour de cassation n° 17-20079 du 28 novembre 2018 David X... ; et autres

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Présentation
Dans un arrêt du 28 novembre 2018, la chambre sociale de la Cour de cassation casse une décision de la cour d’appel de Paris qui a refusé de reconnaître le statut de salarié à des livreurs à domicile de plats cuisinés, qui exerçaient officiellement sous un statut de travailleurs indépendants auto-entrepreneurs.
Ces travailleurs effectuaient des livraisons à domicile de plats préparés par des restaurateurs partenaires, dont les commandes par les clients s’effectuaient en ligne par l’intermédiaire d’une plateforme numérique dédiée à cet effet.
La cour d’appel avait reconnu l’existence de pénalités et d’un système de bonus et de points applicables à l’activité et au comportement du coursier. Mais elle avait considéré que ce système ne suffisait pas à caractériser l’existence d’une subordination juridique avec l’entreprise gérant la plateforme en ligne, qui propose et organise la livraison à domicile.
En effet, la cour d’appel notait par ailleurs que le coursier disposait de la liberté de choisir ses horaires de travail, de choisir de travailler ou pas pendant la période qu’il souhaitait, et donc de choisir ses périodes de travail, sa durée de travail ainsi que ses jours de repos et de congés, ce qui, pour la cour d’appel, était incompatible avec une relation salariale.

La Cour de cassation censure cette analyse.
Elle rappelle, en premier lieu, que l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté des parties, ni de la dénomination donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles s’exerce l’activité des travailleurs.
Elle confirme ensuite la définition du lien de subordination qui caractérise la qualité de salarié.
En troisième lieu, elle considère d’une part que le système de géolocalisation mis en place par l’entreprise gestionnaire de la plateforme qui permet de suive en temps réel l’activité du coursier et de comptabiliser les kilomètres, et d’autre part que l’existence d’un système de pénalités et de sanctions à l’égard du coursier auraient dû conduire la cour d’appel à constater l’existence d’un lien de subordination avec cette entreprise.

Commentaire
.1) La décision de la chambre sociale mérite une attention toute particulière dans la mesure où elle se prononce pour la première fois sur l’organisation d’un modèle économique qui connaît un essor remarquable ces dernières années par le recours à des plateformes numériques de mise en relation, associé à l’emploi de travailleurs sous un statut d’auto entrepreneur.
La Cour de cassation s’est déjà prononcée à plusieurs reprises sur le bien fondé du statut d’auto entrepreneur (voir la jurisprudence). Mais elle n’avait pas eu à connaître de ce contentieux dans le cadre du fonctionnement d’une plateforme numérique de mise en relation en ligne dans lequel le service proposé aux clients de la plateforme est assuré par des travailleurs indépendants auto entrepreneurs.

.2) En première lecture, il pourrait être écrit que la décision de la Cour de cassation est classique et sans surprise, puisqu’elle fait application de principes anciens et d’une grille d’analyse désormais bien connue.
Elle se réfère en effet à la jurisprudence Barrat (voir la décision) et Guégan (voir la décision) relative au caractère déterminant des conditions de travail réelles du travailleur, qui l’emportent sur les documents commerciaux et la volonté des protagonistes (théorie de la réalité versus théorie de l’apparence).
Elle mentionne la définition unifiée et unique (travail et sécurité sociale) du lien de subordination et du salariat, actée par la jurisprudence Société Générale (voir la décision.).
Elle fait application au cas d’espèce de ces principes et cette grille d’analyse.

.3) Pourtant la décision de la chambre sociale de la Cour de cassation est loi d’être anodine ; en témoigne d’ailleurs la publicité donnée immédiatement par la Haute Assemblée sur son site.
Il s’agit d’un arrêt de cassation d’une décision de cour d’appel qui avait dénié le statut de salarié aux requérants, et non pas d’une décision de confirmation de la reconnaissance du statut de salarié.

Plusieurs modèles économiques de plateformes numériques de mise en relation sont construits sur le recours au travail indépendant, souvent associé au statut d’auto entrepreneur. L’analyse de la Cour de cassation a donc vocation à s’appliquer à ces modèles économiques au fonctionnement identique, qui emploie un nombre non négligeable de personnes au statut socialement précaire et juridiquement discutable .
Dans cette affaire, la Cour de cassation retient l’existence de deux éléments pour caractériser le lien de subordination juridique :
.- la géolocalisation du travailleur, avec toutes les conséquences qu’emporte ce dispositif sur le contrôle de son activité. Il est évident qu’un vrai travailleur indépendant n’est pas assujetti à un dispositif de géolocalisation par son client et par celui qui organise son activité. Il s’agit d’un critère nouveau et original, parce que spécifique à ce modèle économique.
.- des pénalités ou des sanctions, dès lors que le travailleur ne respecte pas les règles de fonctionnement de son activité de coursier livreur, unilatéralement fixées par le responsable de la plateforme de mise en relation.
La Cour de cassation écarte donc le critère qui avait été considéré comme déterminant par la cour d’appel, relatif à la libre détermination par le coursier livreur de ses jours de travail, de ses jours de repos et de congés et du nombre d’heures de travail qu’il souhaite. Il est vrai que ce critère est d’une valeur relative, dès que, pendant le temps de sa prestation de travail à la date choisie, il est subordonné.

Nul doute que cette décision de la Cour de cassation a des conséquences très fortes sur les modèles économiques des plateformes de mise en relation, sur les droits sociaux des travailleurs et sur les cotisations et contributions sociales dues aux organismes de protection sociale.
L’arrêt du 28 novembre 2018 montre sans doute les limites de l’optimisation sociale.