Réunion du 8 juillet 2019 de la CNLTI

Réunion du 8 juillet 2019 de la Commission nationale de lutte contre le travail illégal (CNLTI)

La Commission nationale de lutte contre le travail illégal (CNLTI), instance prévue par l’article 7 du décret du 18 avril 2008 (voir le décret), s’est réunie le 8 juillet sous la présidence de la ministre chargée du travail.
A l’occasion de cette réunion, cinq documents ont été élaborés par le ministère du travail :
.- une analyse de la verbalisation du travail illégal en 2017 (voir le document),
.- un bilan du plan national d’action (PNA) de lutte contre le travail illégal portant sur les années 2016-2018 (voir le document),
.- un rapport des contrôles effectués en 2017 dans les secteurs prioritaires identifiés par le plan d’action national de lutte contre le travail illégal (voir le document),
.- une analyse des déclarations de détachement des entreprises prestataires de services en France en 2017 (voir le document),
.- les propositions d’actions du plan national pour les années 2019- 2022 (voir le document).

Ces documents appellent les quelques remarques suivantes, non exhaustives, et qui n’épuisent pas le sujet.

.1. Tout d’abord, on peut s’étonner que ces documents, au contenu et à vocation interministériels, ne soient pas préparés et rédigés par la Délégation interministérielle à la lutte contre la fraude (DNLF). Rien dans le décret du 18 avril 2018 relatif à la coordination de la lutte contre la fraude ne permet de confier cette mission au ministère du travail, exception faite du bilan des déclarations de détachement puisque leur traitement automatisé est confié à ce ministère ; le décret ne confie pas non plus à ce ministère un rôle prééminent, ou permet à la DNLF de lui sous-traiter cette mission essentielle de la coordination interministérielle.
Il en résulte une forte connotation inspection du travail de ces documents, au détriment de tous les autres ministères et institutions impliquées, dont l’activité est sous évaluée, peu restituée et valorisée, voire ignorée.
Avant 2008, l’élaboration de ces documents, et donc la préparation de la CNLTI, relevaient du ressort des instances interministérielles, antérieures à la DNLF, dédiées à la lutte contre le travail illégal, c’est-à-dire de la MILUTMO, puis de la DILTI.
Ce désengagement de la DNLF sur l’élaboration de documents de référence aussi symboliques atteste, malgré les apparences, d’une absence d’animation et coordination interministérielle dans la lutte contre le travail illégal.

.2. Trois de ces documents, et non des moindres, portent sur l’année 2017, et non sur l’année 2018 : le bilan de la verbalisation, le bilan des déclarations de détachement et le bilan des actions conduites dans les secteurs d’activité prioritaires à contrôler. Sans remettre en cause l’intérêt de ces documents, leur utilité, compte tenu de leur ancienneté, pour l’action publique et pour les parlementaires est très sensiblement amoindrie.
Aucune explication n’est donnée sur ce décalage qui rend aveugle l’année 2018. Est-ce à dire les outils informatiques de traitement de ces informations sont absents, défaillants ou obsolètes ?

.3. Le bilan de la verbalisation 2017 fait apparaître une chute impressionnante du nombre des procédures à 5 913 procès-verbaux établis par les services de contrôle. Cette baisse significative et continue de la verbalisation date de l’année 2014. Faute de disposer de ce bilan sur l’année 2018, malgré l’existence de l’outil informatique TADEES, on ignore si cette baisse préoccupante s’est poursuivie ou s’est stabilisée.
Replacé dans son contexte et dans son évolution historique, ce niveau de verbalisation est celui constaté en 1992, année pendant laquelle la verbalisation s’élevait à 5 200 procès-verbaux.
Le ministère du travail précise dans le bilan 2017 que la baisse de la verbalisation s’explique principalement par la complexité des dossiers et par l’insuffisance des compétences des agents de contrôle pour contrôler les entreprises étrangères, ce que le ministère du travail dénomme pudiquement la montée en compétence des agents.
Ces explications ne valent pas.
La complexité des dossiers de travail illégal est intrinsèque à la matière ; elle est ancienne, récurrente et constante depuis fort longtemps, c’est-à-dire depuis le début des années 1980, lorsque l’inspection du travail s’est engagée dans le contrôle des opérations de fausse sous-traitance dans le secteur industriel.
L’insuffisance actuelle des compétences des agents de contrôle pour contrôler les entreprises étrangères est très regrettable quand on sait que les fraudes constatées aujourd’hui sont exactement les mêmes que celles commises par les entreprises étrangères depuis 1986, date de l’entrée de l’Espagne et du Portugal dans l’Union européenne. Il est donc urgent de professionnaliser les agents de contrôle.
Mais un lourd passif est à combler, au bénéfice des agents de contrôle, et des autres acteurs impliqués dans la lutte contre le travail illégal que sont les services de recouvrement et les magistrats :
.- il n’existe aucun guide interministériel de contrôle à jour sur ces sujets ; certains guides n’ont pas été mis à jour depuis près de 20 ans ;
.- il n’existe aucun lieu de ressources juridiques interministériel sur ces sujets, aucune veille juridique interministérielle ou sur les événements en relation avec cette matière, aucune mutualisation interministérielle des ressources et des expériences, aucun partage.
.- les nouveaux textes juridiques (règlement, directive, loi, décret, arrêté etc) ne font l’objet d’aucune information, présentation et explication interministérielles ; il en est de même pour la jurisprudence significative qui n’est pas diffusée, connue et valorisée.
.- les formations interministérielles bénéficient à un nombre très limité de personnes ; 311 personnes ont été formées en 2016 et 293 en 2018. ; ces formations ne sont pas suffisamment pointues.
Enfin, s’agissant plus particulièrement du contrôle des entreprises étrangères, aucune politique, aucune stratégie interministérielle de contrôle n’a été décidée à l’égard de l’impact de la jurisprudence de la CJUE sur les certificats de détachement. Par ailleurs, les modifications répétées depuis 2014 du cadre juridique de l’intervention des entreprises étrangères et du détachement (cinq textes législatifs, dix décrets et autant d’arrêtés) dissuadent les agents de contrôle et les organismes de recouvrement (et peut être les magistrats) de s’impliquer et de s’approprier une législation mouvante que personne ne leur explique. Les contrôles et les vérifications restent dès lors formels et superficiels, sans verbalisation.

.4. Le bilan du plan d’action national sur les années 2016 -2018 est incomplet, et donc partiel, à plusieurs titres :
.- il très centré sur l’activité et les résultats de l’inspection du travail et du ministère du travail. L’activité des autres agents de contrôle est très peu évoquée ou ignorée ; il en est ainsi des agents des douanes, des finances publiques, des contrôleurs des transports terrestres, des agents des affaires maritimes, de l’ENIM, des caisses de retraite complémentaire, de la DGAC et de Pôle Emploi.
.- en matière de cotisations sociales, le bilan fait état, et pour une partie des organismes de recouvrement, du montant des redressements opérés, mais ne dit mot sur le montant et le taux de recouvrement des cotisations mises en recouvrement qui est pourtant un indicateur important de l’effectivité de l’action publique.
.- le bilan ne communique aucune information sur les demandes de retrait des certificats de détachement (nombre, montants de cotisations éludés, réponses des Etats, suites données…),
.- le bilan ne mentionne aucune information sur le recouvrement des cotisations dues par les entreprises étrangères aux caisses de congés payés,
.- le bilan ne mentionne aucune information sur la mise en œuvre de la solidarité financière à l’égard des donneurs d’ordre ou des maîtres d’ouvrage, ni en matière de travail dissimulé, ni en matière d’emploi de salarié étranger sans titre de travail,
.- le bilan ne mentionne aucune information sur la régularisation des droits sociaux et la reconstitution de carrière des salariés dissimulés,
.- le bilan ne mentionne aucune information sur les droits sociaux des salariés étrangers employés sans titre de travail, via l’intervention de l’OFII.
Etc, etc…
Mais a contrario, ce bilan contient des informations détaillées sur des sujets étrangers au travail illégal, telles que le bilan des amendes administratives, de la suspension d’activité des entreprises étrangères, du non respect du « noyau dur » du code du travail ou de la carte d’identification professionnelle dans le BTP, ce qui conduit à un état des lieux dont le contenu, par manque de rigueur (volontaire ou pas) est à fortement relativiser. Tout manquement à la loi sociale ne relève pas en effet d’un bilan relatif à la lutte contre le travail illégal ; ce mélange des genres sème par ailleurs la confusion dans l’esprit de lecteurs non avertis et ne facilite pas le travail de pédagogie et de formation.
Ce bilan n’est donc pas exhaustif sur des informations et des indicateurs essentiels à l’évaluation pertinente de la politique publique de lutte contre le travail illégal sur les années 2016-2018.

.5. Le bilan des déclarations de détachement, qui ne porte que sur l’année 2017, aurait dû inclure l’année 2018 puisque le ministère du travail dispose depuis le mois d’octobre 2016 d’un outil informatique, appelé SIPSI, qui reçoit et gère ces déclarations en temps réel.
Le bilan comptable des déclarations de détachement, tel qu’il est présenté à la CNLTI, pour intéressant qu’il soit, devrait être complété par une étude socio économique sur les causes et les conséquences de la libre prestation de services et du détachement sur le territoire français (motivation des donneurs d’ordre, effets de substitution sur le marché du travail, effet de substitution sur l’immigration professionnelle traditionnelle…).
Le bilan 2017 fait état d’une nouvelle augmentation des déclarations de détachement effactuées par les entreprises étrangères. En clair, cette augmentation signifie que les entreprises françaises donneurs d’ordre continuent de recourir davantage à des entreprises sous-traitantes ou prestataires (ETT) établies à l’étranger. Ce constat et cette préférence commerciale mériteraient une explication qui n’est pas donnée.
Le bilan confirme le détachement toujours consistant du nombre (7 930 salariés) de français détachés en France, ce qui semble peu admissible au regard des critères du détachement ; aucune explication n’est donnée sur ce flux.
Le bilan fait apparaître des flux anormalement importants de salariés détachés de petits Etats, tels que le Luxembourg (26 797 salariés) et Monaco (12 016 salariés), dont la majorité se fait dans le secteur du BTP en France. On peut s’interroger sur la licéité de ces détachements, ces deux Etats n’étant pas connus pour faire travailler et domicilier des ouvriers du BTP, puisque l’essentiel de ces salariés détachés n’ont pas la nationalité de ces deux Etats et travaillent en France dans ce secteur d’activité ; aucune explication n’est donnée sur ces flux.
Le bilan fait ressortir une augmentation considérable du nombre de salariés détachés dans le cadre de la mobilité internationale intragroupe (514 salariés en 2008 et 47 860 salariés en 2017) ; aucune explication n’est donnée, alors que cette forme de détachement est largement dévoyée dans les secteurs du BTP et de l’industrie, puisqu’il s’agit de faux détachements .
Enfin, le bilan fait ressortir un quasi doublement du nombre de salariés intérimaires détachés de 2016 (75 558 salariés) à 2017 (142 963 salariés) ; aucune explication n’est donnée, alors qu’il existe des milliers d’agences d’intérim en France.
Ainsi donc, le bilan des déclarations de détachement effectuées en 2017, tout en contenant des indications intéressantes, mais brutes et mécaniques, sur ces mobilités internationales, ne livre aucune explication, aucune analyse socio économique sur ces flux dont on sait qu’une partie non négligeable est frauduleuse et tombe sous le coup de la loi car correspondant à des pratiques d’entreprises étrangères et de donneurs d’ordre français relevant du travail illégal.
On notera par ailleurs la confirmation de la courte durée moyenne du détachement qui est de trois mois, ce qui relativise très sensiblement l’intérêt de la limitation de la durée du détachement à douze mois par la directive du 29 juin 2018, saluée par le gouvernement français et reprise dans l’ordonnance Travail du 20 février 2019.

.6. Le programme du plan national d’action pour les années 2019-2021, outre qu’il inclut des objectifs étrangers à la lutte contre le travail illégal, ne propose aucune action ou initiative concrète pour améliorer les droits des victimes du travail illégal.
S’agissant des droits des salariés, on sait que tous les dispositifs mis en place depuis 1991 pour leur permettre de faire valoir leurs droits auprès du donneur d’ordre ou du maître d’ouvrage ne fonctionnent pas car les salariés ne disposent pas des informations nécessaires pour agir devant le conseil de prud’hommes ou devant le TASS (devenu la section sociale du tribunal de grande instance). Ces informations décisives sont détenues par les agents de contrôle et les services de recouvrement, qui refusent de les transmettre au nom du secret professionnel. Celui-ci doit être levé, mais le programme ne le prévoit pas.
La reconstitution de carrière des salariés dissimulés, prévue cependant de longue date par les textes, est enterrée par la décision de constituer un groupe d’experts qui rendra ses conclusions à la fin de l’année 2020…
Le programme fait l’impasse sur l’effectivité des droits sociaux des salariés étrangers employés sans titre de travail, alors qu’on sait que l’article L.8252-4 du code du travail qui fait intervenir l’OFII ne fonctionne pas.
Le programme valorise la pénalité civile prévue par le code de la sécurité sociale pour non présentation du certificat de détachement, alors que ce formulaire dispense de verser des cotisations sociales en France ; on comprend assez mal l’objectif recherché, au regard des ressources de la sécurité sociale.
Il ne prévoit toujours pas un suivi et un état des lieux des demandes de retrait des certificats de détachement.
Le programme confirme les actions prioritaires de lutte contre le travail illégal dans les secteurs sensibles tels que les spectacles, les manifestations sportives et l’événementiel, ce qui est tout à fait justifié car très exposés au travail dissimulé, mais alors que la loi Avenir professionnel du 5 septembre 2018 considèrent ces secteurs comme « non fraudogènes » (sic) et dispense, pour cette raison, les entreprises étrangères y intervenant de procéder à la déclaration de détachement et à la désignation de leur représentant en France.
De façon plus générale, le programme ne reprend aucune des quarante propositions destinées à améliorer le dispositif juridique et opérationnel de lutte contre le travail illégal (voir les propositions).