Salarié détaché ressortissant Etat tiers - titre de séjour obligatoire

Le Conseil d’Etat confirme l’obligation pour le salarié, ressortissant d’un Etat tiers, détaché en France par une entreprise établie dans un autre Etat de l’Union européenne de posséder un titre de séjour au-delà de trois mois de présence sur le territoire français

Voir la décision du 30 janvier 2019 du Conseil d’Etat
Voir la décision du 19 septembre 2017 de la cour administrative d’appel de Marseille
Voir la décision du 18 février 2016 du tribunal administratif de Nîmes

Présentation
Une entreprise de travail temporaire de droit espagnol avait détaché en France, dans des exploitations agricoles, des salariés dont certains possédaient la nationalité équatorienne.
Lors d’un contrôle opéré par la police aux frontières (PAF), il avait été constaté que plusieurs de ces salariés détachés équatoriens, qui possédaient un titre de travail délivré par les autorités espagnoles, travaillaient et séjournaient en France depuis plus de trois mois, sans avoir sollicité un titre de séjour auprès de la préfecture locale.
Considérant que le défaut de titre de séjour de ces ressortissants contrevenait aux dispositions de l’article L.311-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), le préfet du Gard avait pris à leur encontre des arrêtés de reconduite à la frontière et de remise aux autorités espagnoles, en application de l’article L.531-1 de ce même code.

L’article L.311-1 du CESEDA précise que, sous réserve des engagements internationaux de la France ou de l’article L.121-1, tout étranger âgé de plus de dix-huit ans qui souhaite séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois doit être titulaire d’une carte de séjour.
L’article L.531-1 du CESEDA précise que l’étranger non ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne qui a pénétré ou séjourné en France sans se conformer aux dispositions des articles L.211-1 et L.311-1 peut être remis aux autorités compétentes de l’Etat membre qui l’a admis à entrer ou à séjourner sur son territoire, ou dont il provient directement, en application des dispositions des conventions internationales conclues à cet effet avec les Etats membres de l’Union européenne, en vigueur au 13 janvier 2009.
L’étranger visé au premier alinéa est informé de cette remise par décision écrite et motivée prise par une autorité administrative définie par décret en Conseil d’Etat.
Cette décision peut être exécutée d’office par l’administration après que l’étranger a été mis en mesure de présenter des observations et d’avertir ou de faire avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix.

Les salariés détachés équatoriens visés par ces arrêtés préfectoraux, ainsi que leur employeur, l’entreprise de travail temporaire de droit espagnol, avaient attaqué les décisions préfectorales devant le juge administratif.
Au nombre des moyens développés devant le juge administratif, les intéressés considéraient que l’obligation de solliciter un titre de séjour, pour tout séjour en France supérieur à trois mois, en application de l’article L.311-1 du CESEDA, constituait une demande d’autorisation de détachement et une entrave à libre prestation de services prévue par l’article 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).
Ces arguments n’ont été retenus par le juge du fond.

Saisi d’un pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat a confirmé cette analyse et valide les arrêtés préfectoraux. Le Conseil d’Etat estime que la règle posée par l’article L.311-1 du CESEDA vaut pour tous les étrangers séjournant sur le territoire français ; cette règle ne constitue ni autorisation préalable au détachement, ni une entrave à la libre prestation de services. Le Conseil d’Etat refuse à cette occasion de saisir la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) d’une question préjudicielle sur ce sujet.

Commentaire
.1) L’arrêt du Conseil d’Etat est la première décision rendue sur ce sujet. Si la grande majorité des salariés détachés en France par des entreprises étrangères sont des ressortissants de l’Union européenne, de l’Espace économique européen et de la Suisse, un pourcentage non négligeable (10% ?) de ces salariés est originaire d’Etats tiers.
Dès lors, se pose, pour cette catégorie de travailleurs, la question de la législation applicable en France au regard de leur emploi en qualité de salarié étranger sur le territoire français et de la législation applicable au regard de leur entrée et de leur séjour sur le territoire français.
En matière d’emploi salarié sur le territoire français, la CJUE précise que le salarié ressortissant d’un Etat tiers qui est employé par une entreprise communautaire et qui est détaché dans un autre Etat de l’Union européenne pour permettre à son employeur d’effectuer une prestation de services n’est pas tenu de solliciter une autorisation de travail délivrée par l’Etat d’accueil et d’emploi, dès lors qu’il possède dans l’Etat de domiciliation de son entreprise une autorisation de travail qui lui permet d’exercer cette profession (voir notamment cette décision).
La CJUE considère que l’obligation de demander un titre de travail dans l’Etat d’accueil et d’emploi constituerait une entrave potentielle à la libre prestation de services, dès lors qu’un refus de délivrance d’une autorisation de travail par l’Etat d’accueil et d’emploi pourrait empêcher l’entreprise prestataire de réaliser son travail et d’honorer sa commande, en la privant d’une compétence professionnelle.
A contrario, le salarié ressortissant d’un Etat tiers qui est employé par une entreprise domiciliée dans un Etat tiers et qui est détaché en France est tenu de justifier d’une autorisation de travail délivrée par les autorités françaises.
L’article R.5221-2 1° du code du travail a formalisé la jurisprudence de la CJUE.

.2) S’agissant du droit d’entrée et du droit au séjour d’un salarié ressortissant d’un Etat tiers employé d’une entreprise communautaire, et détaché sur le territoire d’un autre Etat de l’Union européenne dans le cadre d’une prestation de services, le droit communautaire est muet (règles normatives ou jurisprudence de la CJUE).
Seule existe la directive du 15 mai 2014, dite directive mobilité intragroupe, qui précise les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers dans le cadre d’un transfert temporaire intragroupe (voir la directive).
En l’absence de référence communautaire, chaque Etat de l’Union européenne détermine le régime applicable à cette catégorie de salariés détachés, tant pour l’entrée que pour le séjour.
A défaut de textes particuliers, la France leur applique le droit commun du droit des étrangers, avec notamment l’obligation de détenir une carte de séjour temporaire mention travailleur temporaire au-delà d’un séjour de trois mois, en référence aux articles L.311-1 et L.313-10 2° du CESEDA.
Le Conseil d’Etat valide cette position de la France, sans y voir une difficulté de nature à saisir la CJUE d’une question préjudicielle.

.3) La réponse donnée par le Conseil d’Etat dans sa décision du 30 janvier 2019 emporte des conséquences positives, même si sont d’un effet limité parce que ne visant que des détachements d’une durée supérieure à trois mois, en matière de lutte contre le dumping social du fait des entreprises étrangères qui détachent des salariés sur le territoire français, sans respecter la législation sociale.
En effet, l’obtention de la carte de séjour temporaire mention travailleur temporaire n’est pas acquise de plein droit. Sa délivrance est soumise aux conditions fixées par l’article R.5221-20 du code du travail.
Au titre de ces conditions, l’entreprise étrangère doit justifier qu’elle respecte la législation sociale française, notamment l’égalité de rémunération avec les salariés français, et que l’hébergement du salarié se fait dans des conditions décentes. Certes cette vérification par l’administration du respect de la législation sociale et des conditions d’hébergement se fait tardivement, puisqu’elle n’intervient que trois mois après le début du détachement. Mais elle permet à l’administration, avant de délivrer la carte de séjour temporaire, de prendre toutes les mesures appropriées afin d’obtenir de l’employeur, le cas échéant, le respect et la régularisation des droits sociaux de ces salariés détachés.

.4) A cette occasion, le contrôle opéré par l’administration avant de délivrer la carte de séjour temporaire n’est pas de pure forme. En effet, il est de notoriété que les conditions de travail et d’hébergement des salariés détachés par des entreprises de travail temporaire étrangères dans des exploitations agricoles en France sont souvent très peu respectueuses de la législation sociale ; quelques contentieux prud’homaux sont d’ailleurs en cours.
Le respect de la libre prestation de services invoqué ces entreprises, y compris devant le Conseil d’Etat, pour défendre un modèle économique fondé sur le dumping social par le recours à une population précaire de travailleurs originaires d’Etat tiers (essentiellement Amérique du sud et Maghreb) ne doit pas être un argument pour soustraire les conditions de travail et d’hébergement salariés au contrôle de l’administration.
Le détachement du salarié n’est donc pas préalablement autorisé lorsqu’est sollicitée la délivrance d’une carte de séjour temporaire mention travailleur temporaire ; il fait à cette occasion l’objet d’une vérification et d’un contrôle en cours de son exécution et en cours d’exécution de la prestation de services, ce qui permet de s’assurer que ce détachement ne s’affranchit pas de l’ordre public social. L’entreprise étrangère, et le salarié qu’elle détache, sont traités à l’identique d’une entreprise française dont l’un de ses salariés sollicite une carte de séjour temporaire mention travailleur temporaire ; l’entreprise étrangère ne bénéficie pas d’un régime plus favorable ou bienveillant.

La décision du Conseil d’Etat a le mérite de rappeler que la libre prestation de services n’interdit pas à l’Etat d’accueil et d’emploi du salarié détaché de prendre les mesures adéquates destinées à s’assurer que l’entreprise étrangère preste dans le respect de la législation sociale et assure un hébergement décent des salariés détachés.