Wwoofing : le juge administratif considère qu’il s’agit d’un salariat

La cour administrative d’appel de Paris valide la mise en recouvrement de la contribution spéciale pour l’emploi de ressortissants étrangers sans titre de travail dans le cadre du wwoofing

Arrêt du 4 mai 2021 de la cour administrative d’appel de Paris

Voir la décision

Présentation
.1. La cour administrative d’appel de Paris était saisie par une association d’une contestation relative au bien fondé du recouvrement de la contribution spéciale engagé à son encontre par l’OFII pour l’emploi salarié de six ressortissants étrangers sans tire de travail.
L’association mise en cause propose à ses adhérents des activités multisports de plein air. Lors d’un contrôle de l’inspection du travail, celle-ci avait constaté l’activité de ces six personnes au sein de l’association et avait établi un procès-verbal à l’encontre de l’association pour l’emploi de salariés étrangers sans titre de travail. Conformément au code du travail, ce procès-verbal avait été transmis à l’OFII qui avait mis en recouvrement la contribution spéciale à l’égard de l’association pour un montant de 106 200 euros.

Voir le Mode d’emploi pour le contrôle de l’emploi illégal du salarié étranger sans titre de travail p. 87.

L’association contestait cette infraction et la mise en recouvrement de la contribution spéciale, au motif que ces personnes en activité en son sein n’étaient pas des salariés, mais des helpers bénévoles, dans le cadre d’une situation de wwoofing. Elle déniait l’existence de tout lien de subordination à l’égard de ces personnes, qui avaient renoncé à tout salaire, et déclarait que le logement et la nourriture dont elles bénéficiaient ne pouvaient pas être considérés comme une rémunération.

.2. Le juge administratif, confirmant le décision du tribunal administratif, rejette cette présentation de l’activité et du statut de ces personnes faite par l’association ; elle valide la mise en recouvrement de la contribution spéciale par l’OFII.

Le juge administratif constate que l’association propose des activités hôtelières, de restauration et d’animation. Il note que ces personnes assurent des tâches d’entretien, de nettoyage, de cuisine et de service à table et que ces tâches sont effectuées sous le contrôle étroit et les directives du dirigeant de l’association. Le juge administratif ajoute que le bénéfice des avantages offerts aux helpers, c’est-à-dire la nourriture et l’hébergement, est subordonné à l’accomplissement des services ancillaires qu’ils sont requis d’accomplir dans une situation de subordination.

Le juge administratif précise que les activités de l’association, alors même qu’elle indique être à but non-lucratif, étant de nature quasi-commerciale, et la contribution des helpers à ses activités étant essentiellement motivée par la recherche d’un hébergement et de repas gratuits, le travail qu’ils fournissent et les facilités dont ils bénéficient en contrepartie de ce travail sont dépourvues de part et d’autre de caractère désintéressé et ne sauraient en aucune manière relever du bénévolat.

Après avoir mentionné que l’activité de wwoofing est dépourvue de statut légal en France, le juge administratif conclut dès lors que l’activité de ces six personnes présente le caractère d’un emploi de main-d’œuvre étrangère rémunérée en nature, et non pas celui d’une participation à des activités bénévoles désintéressées qui ne relèveraient pas du champ d’application des dispositions précitées du code du travail.

La procédure ne mentionne pas la suite pénale réservée au procès-verbal de l’inspection du travail.

Commentaire
.1. L’arrêt de la cour administrative d’appel est une des très rares décisions de justice rendues en France relative au statut des personnes déployant une activité au bénéfice d’une structure se réclamant du wwoofing (pour worldwide opportunities on organic farms - vivre et apprendre dans les fermes biologiques).

L’esprit du wwoofing est d’aider, contre le gîte et le couvert, dans le but d’un partage désintéressé de la vie paysanne.

.2. Comme toute activité qui se déclare bénévole, désintéressée, sans but lucratif ou relevant de l’entraide ou du coup de main, celle-ci peut faire l’objet d’une requalification par le juge, selon la nature et l’objet du contentieux : par le juge pénal, par le juge du contrat de travail, par le juge de l’impôt, par le juge de la sécurité sociale et donc par le juge de la contribution spéciale.
Selon le contentieux, il s’agira pour le juge, au cas par cas, et en fonction de la grille d’analyse propre à ce contentieux, de valider ou de rejeter la demande de requalification qui lui est soumise.
Dans le cas présent, il s’agissait de savoir si ces personnes en activité étaient réellement des bénévoles ou des salariés dissimulés, au prisme de l’existence ou non d’un lien de subordination juridique entre les personnes en activité et l’association. Le juge administratif a considéré que le lien de subordination juridique était avéré.
Voir l’article de l’auteur : "La frontière entre activité professionnelle et bénévolat".

.3. Bien entendu, cette décision ne préjuge pas, de façon générale, du statut des helpers en activité dans le cadre d’une structure se réclamant du wwoofing, puisque ce statut dépend exclusivement des conditions concrètes dans lesquelles ces personnes apportent leur contribution à leurs hôtes.
Mais la décision du 4 mai 2021 rappelle un point de droit du travail très important. Le fait qu’une personne ne reçoive pas, en contrepartie de sa contribution, une rémunération en espèces ou par chèque n’interdit pas de la qualifier de salarié. D’une part, le versement d’une rémunération n’est pas une condition pour être qualifié de salarié ; c’est une conséquence. D’autre part, le bénéfice d’avantages en nature n’exclut pas le salariat puisque les avantages en nature sont une rémunération. Enfin, un salarié peut être exclusivement rémunéré en nature.
Voir la jurisprudence.

.4. La décision du 4 mai 2021, qui vise de façon spécifique les pratiques de wwoofing, est à rapprocher de celles rendues dans un domaine très proche, qui est celui du travail au pair, qu’il ne faut pas confondre avec l’apport d’un jeune au pair, encore appelé stagiaire aide familial.

Voir également la mise en garde de la MSA publiée sur son site à la suite de cette décision : https://www.msa.fr/lfp/embauche/wwoofing