Emploi de faux auto entrepreneurs VTC par le biais d’une plateforme en ligne

La cour d’appel de Paris reconnaît l’existence d’un contrat de travail entre la société Uber et un chauffeur de VTC exerçant pour son compte sous un statut d’auto entrepreneur

Arrêt de la cour d’appel de Paris n° RG 18/08357 du 10 janvier 2019

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Présentation
Un chauffeur de VTC exerçait en qualité de travailleur indépendant, sous un statut d’auto entrepreneur, pour le compte de la société Uber. Celle-ci avait mis fin à sa relation commerciale avec l’intéressé, en désactivant son compte, sans lui fournir d’explication.
Estimant avoir été employé en qualité de salarié par la société Uber et victime d’un licenciement abusif, il avait saisi le conseil de prud’hommes de Paris pour demander la requalification de sa relation contractuelle en salariat et obtenir la reconnaissance de ses droits sociaux en cette qualité, dans le cadre de la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport.

Le conseil de prud’hommes s’était déclaré incompétent, considérant que la relation de travail entre ce chauffeur et la société Uber était de nature commerciale, relevant de la compétence du tribunal de commerce.
Saisi par le chauffeur VTC sur contredit, la cour d’appel infirme la décision du conseil de prud’hommes et déclare qu’un contrat de travail unit l’intéressé à la société Uber ; l’affaire est renvoyée devant le conseil de prud’hommes de Paris déclaré compétent par la cour d’appel pour juger les prétentions de ce chauffeur à l’égard de la société Uber.

Pour renverser la présomption de non salariat de l’article L.8221-6 du code du travail résultant de l’inscription de ce chauffeur au répertoire des métiers, la cour d’appel recourt à la technique du faisceau d’indices qui fait ressortir une relation de travail subordonnée et salariée avec la société Uber.
Elle constate tout d’abord que la société Uber n’est pas un simple intermédiaire, mais le donneur d’ordre du chauffeur. Par ailleurs, elle note que :
.- l’intéressé n’a pas choisi d’exercer sous le statut de travailleur indépendant, mais que ce statut lui a été imposé par la société Uber,
.- il n’a pas la liberté de s’organiser, de choisir sa clientèle et ses fournisseurs,
.- il ne fixe pas lui-même les tarifs demandés aux clients,
.- la société Uber lui adresse des directives pour la gestion de ses courses,
.- il fait l’objet d’un contrôle via un système de géolocalisation,
.- il peut faire l’objet de sanctions, en relation avec un taux d’annulation de commandes ou de signalements de clients mécontents.
.- la société Uber dispose du pouvoir discrétionnaire de déconnecter le chauffeur de la plateforme, ce qui limite son activité depuis la plateforme.
Enfin, si la cour d’appel reconnaît que le chauffeur a le libre choix de ses horaires, il intègre, dès qu’il se connecte pour travailler, un service organisé par la société Uber qui lui donne des directives, en contrôle l’exécution et exerce un pouvoir de sanction à son endroit.

La société Uber se pourvoit en cassation contre la décision de la cour d’appel de Paris.

Commentaire
L’arrêt de requalification rendu le 10 janvier 2019 par la cour d’appel de Paris intervient un mois et demi après la décision de requalification du 28 novembre 2018 de la chambre sociale de la Cour de cassation (voir la décision, sa présentation et son commentaire) qui se rapporte également au statut d’un travailleur utilisant les services d’une plateforme de mise en relation en ligne pour exercer son activité professionnelle.

Ces deux décisions rapprochées sont d’un intérêt majeur à plus d’un titre. Elles concernent un modèle économique très médiatisé, voire valorisé, parce que original et créateur d’emplois faciles, notamment en faveur de publics précaires.
Elles visent deux secteurs d’activité particulièrement ciblés par les plateformes en ligne que sont le portage et la livraison à domicile et le transport urbain de passagers.
Elles statuent toutes les deux dans le même sens, en considérant que les travailleurs parties aux litiges ne sont pas, malgré les apparences et les précautions prises par les responsables de ces modèles économiques, des travailleurs indépendants, mais des salariés. A cet égard, le critère du service organisé semble revêtir une certaine influence dans la décision de requalification (voir un précédent commentaire sur ce critère).
Elles rappellent que ces modèles économiques ne peuvent pas s’affranchir de la législation sociale ou l’ignorer, puisque leurs responsables sont déclarés employeurs et pas simples tiers intermédiaires dans le cadre d’une relation de travail qui leur serait étrangère.

A cet égard, l’analyse de la cour d’appel de Paris est d’un grand classicisme juridique et s’en tient aux fondamentaux qui caractérisent le pouvoir du juge (voir l’arrêt Guégan et l’arrêt Barrat) et l’existence d’une relation de travail salariée (voir l’arrêt Société Générale) ; l’originalité de la structure d’une relation de travail par le biais de la dématérialisation et de la technologie est sans effet sur cette analyse.

Nul doute que la décision de la cour d’appel sera examinée avec attention par l’URSSAF de la région parisienne qui, dans un autre contentieux mettant en cause la société Uber, lui réclame des cotisations et contributions sociales (3,5 millions d’euros de cotisations et 878 738 euros de pénalités) en raison de l’emploi de chauffeurs VTC, présentés eux aussi comme des travailleurs indépendants.
En première instance, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris (TASS) avait débouté l’URSSAF pour des questions de procédure (voir la décision). L’affaire va être prochainement examinée par la cour d’appel de Paris.