Projet de loi Mobilités - statut des travailleurs des plateformes de mobilité en ligne

Projet de loi d’orientation des mobilités : statut des travailleurs indépendants des plateformes numériques de mise en relation

Article 20 du projet de loi

Voir l’article 20 du projet de loi et son exposé des motifs
Voir l’étude d’impact du dossier législatif relatif à l’article 20 du projet de loi

Présentation
L’article 20 du projet de loi complète et modifie les dispositions déjà inscrites dans le code du travail depuis la loi du 8 août 2016 relatives aux travailleurs utilisant une plateforme de mise en relation par voie électronique pour exercer leur activité professionnelle.
L’article 20 propose d’introduire dans le code du travail trois mesures, insérées aux articles L.7342-1, L.7342-3 et L.7342-4 de ce code, dont l’objectif principal est de sécuriser d’un point de vue juridique les relations contractuelles entre une plateforme en ligne et un travailleur indépendant qui intervient pour accomplir la prestation qu’elle propose à un client (l’expression sécuriser, sécurisation ou sécurisante est employée dix fois dans l’étude d’impact). Plus concrètement, il s’agit ainsi d’éviter ou de limiter ou de contenir d’une part les requalifications en salariat prononcées par le juge à la demande du prétendu travailleur indépendant opérant par le biais d’une plateforme ou à la demande des organismes de recouvrement des cotisations sociales et d’autre part les condamnations pénales pour travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié prononcées à l’encontre des entreprises gérant ces plateformes.

Pour atteindre cet objectif, l’article 20 offre la possibilité à la plateforme de mise en relation d’établir une charte déterminant les conditions et les modalités de sa responsabilité sociale, définissant ses droits et obligations ainsi que ceux des travailleurs avec lesquels elle est en relation. Cette charte, qui est donc facultative, précise notamment :
1° Les conditions d’exercice de l’activité professionnelle des travailleurs avec lesquels la plateforme est en relation, en particulier les règles selon lesquelles ils sont mis en relation avec ses utilisateurs. Ces règles garantissent le caractère non-exclusif de la relation entre les travailleurs et la plateforme et la liberté pour les travailleurs d’avoir recours à la plateforme ;
2° Les modalités visant à permettre aux travailleurs d’obtenir un prix décent pour leur prestation de services ;
3° Les modalités de développement des compétences professionnelles et de sécurisation des parcours professionnels ;
4° Les mesures visant notamment :
a) améliorer les conditions de travail ;
b) à prévenir les risques professionnels auxquels les travailleurs peuvent être exposés en raison de leur activité ainsi que les dommages causés à des tiers ;
5° Les modalités de partage d’informations et de dialogue entre la plateforme et les travailleurs sur les conditions d’exercice de leur activité professionnelle ;
6° Les modalités selon lesquelles les travailleurs sont informés de tout changement relatif aux conditions d’exercice de leur activité professionnelle ;
7° La qualité de service attendue sur chaque plateforme et les circonstances qui peuvent conduire à une rupture des relations commerciales entre la plateforme et le travailleur ainsi que les garanties dont ce dernier bénéficie dans ce cas ;
8° Les garanties de protection sociale complémentaire négociées par la plateforme et dont les travailleurs peuvent bénéficier, notamment pour la couverture du risque décès, des risques portant atteinte à l’intégrité physique de la personne ou liés à la maternité, des risques d’incapacité de travail ou d’invalidité, des risques d’inaptitude, ainsi que la constitution d’avantages sous forme de pensions de retraite, d’indemnités ou de primes de départ en retraite ou de fin de carrière.

La charte est publiée sur le site internet de la plateforme et annexée aux contrats ou aux conditions générales d’utilisation qui la lient aux travailleurs.
L’entreprise, qui gère la plateforme, peut demander, si elle le souhaite, à l’autorité administrative de se prononcer sur la conformité du contenu de la charte aux dispositions précitées du code du travail relatives aux plateformes de mise en relation par voie électronique, dans des conditions fixées par décret.
L’article 20 du projet de loi ajoute que l’établissement de la charte et le respect des engagements pris par la plateforme dans les matières énumérées aux 1° à 8° ne peuvent caractériser l’existence d’un lien de subordination juridique entre la plateforme et les travailleurs.

L’article 20 apporte par ailleurs deux autres précisions concernant les droits sociaux du travailleur indépendant opérant pour le compte de la plateforme.
Il améliore les droits du travailleur indépendant en matière de formation professionnelle et validation des acquis de l’expérience ; il permet l’abondement du compte personnel de formation de l’intéressé.
Il modifie les conditions du bénéfice de l’assurance volontaire à laquelle il souscrit pour couvrir le risque d’accident du travail.

Commentaire
L’article 20 du projet de loi est une proposition de réintroduction dans le code du travail des dispositions censurées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 4 septembre 2018. Le Conseil constitutionnel a considéré que ces dispositions, introduites par voie d’amendement lors des débats parlementaires relatifs à la loi Avenir professionnel du 5 septembre 2018, étaient sans relation avec l’objet de la loi et constituaient un cavalier législatif.
Sur le fond, l’article 20 du projet loi appelle les remarques suivantes.

.- la légitimation d’un modèle économique fondé sur l’optimisation sociale
La plupart des sociétés qui gèrent des plateformes de mise en relation par voie électronique ont fait le choix de développer leur activité par le recours à des travailleurs indépendants, dont la grande majorité exerce sous le statut d’auto entrepreneur. Ces entreprises auraient pu recruter des salariés sous contrat de travail à durée indéterminée ou à durée déterminée, à temps plein, à temps partiel ou sous contrat de travail intermittent. Elles pouvaient également se constituer en groupement d’employeurs.
Sous-traiter toute l’activité économique à un réseau de travailleurs indépendants, y compris sous un statut d’auto entrepreneur, n’est pas en soi critiquable, dès lors que le travailleur indépendant a fait le choix, voulu et assumé, d’opter pour ce statut, pour en faire un vrai métier, avec une vraie qualification et un savoir-faire, pendant de longues années.
Or tel n’est pas le cas ; les personnes qui travaillent pour ces plateformes se sont vu imposer le statut de travailleur indépendant pour travailler et pour accéder à cet emploi ; ces personnes n’étaient sans doute pas travailleurs indépendants auparavant et abandonneront très rapidement ce statut de circonstance et sans avenir pour elles. Les travailleurs indépendants ne fixent pas les prix de leur prestation ; c’est, dans ce modèle économique, le client, c’est à dire la plateforme, qui fixe les prix ; il s’agit d’une relation commerciale inversée, au seul bénéficie de la plateforme donneur d’ordre.
La charte mentionnée par l’article 20 du projet de loi sera sans doute préparée et rédigée de façon méticuleuse par des juristes spécialisés en droit social, notamment pour éviter la requalification contractuelle ; ce document de plusieurs pages, truffé de subtilités juridiques incompréhensibles pour le commun des mortels, devra être signée « les yeux fermés » par le travailleur indépendant. Il est à craindre que cette charte ne conduise qu’à formaliser les conditions objectives actuelles de la précarité de ce type de travailleur indépendant « malgré lui ». Cette charte sociale risque d’être un simple succédané de contrat commercial déguisé.
Il aurait été sans doute plus légitime pour les pouvoirs publics et pour le législateur de rendre cette branche d’activité plus attractive, en proposant des emplois salariés pérennes, assortis d’une couverture conventionnelle avec des avantages sociaux et des parcours professionnels engageants.

.- le paradoxe du périmètre restreint de l’article 20
S’il est considéré légitime par les pouvoirs publics de sécuriser les relations entre un donneur d’ordre et ses sous-traitants lorsqu’est mise en œuvre une plateforme électronique, cette préoccupation, dans un souci d’équité, voir d’égalité de traitement, devrait bénéficier à tous les secteurs d’activité qui recourent de façon préférentielle et systémique à des travailleurs indépendants, notamment sous statut d’auto entrepreneur, avec un risque sérieux de requalification en salarié.
Sans documenter le propos en citant les très nombreuses décisions de requalification rendues par le juge, on peut citer néanmoins le gardiennage, le nettoyage de locaux, la distribution de prospectus et de gratuits, l’édition, les messageries en VL de moins de 3,5 T, les négociateurs immobiliers, les coiffeurs à domicile, les plateformes téléphoniques, les hôtesses d’accueil, les clubs de fitness et de remise en forme…, sans oublier les organismes de formation et le BTP.
On comprend mal l’intérêt soudain et ciblé porté au recours à la sous-traitance dans ce seul secteur d’activité pour en moraliser l’utilisation. La première requalification contractuelle prononcée par la Cour de cassation date en effet de 1913. Est-ce parce que la subordination juridique est latente et les risques de requalification sont plus évidents ?
Dans ce contexte, il est bon de rappeler que les pouvoirs publics n’ont pas actualisé depuis 2001, soit depuis dix sept ans, le seul guide de contrôle de la fausse sous-traitance à la disposition des agents de contrôle, des organismes de recouvrement et des magistrats ; ce guide est obsolète et inutilisable.
N’aurait-il pas été plus judicieux pour les pouvoirs publics d’inviter cette branche d’activité à se structurer et à se doter d’une convention collective, plutôt que de s’installer dans un processus de gestion d’un contentieux sans fin de requalification devant les tribunaux ?

.- Un effet très relatif sur les risques de requalification
L’étude d’impact de l’article 20 reconnaît explicitement, mais paradoxalement, que l’existence de la charte n’aura pas d’effet sur les contentieux en requalification et donc sur la sécurité juridique qu’il recherche.
En effet, si l’article 20 mentionne que l’établissement de la charte et le respect des engagements pris par la plateforme dans les matières énumérées aux 1° à 8° ne peuvent caractériser l’existence d’un lien de subordination juridique entre la plateforme et les travailleurs, l’étude d’impact note in fine point 4.1.2. que cette charte n’obérera pas la capacité du juge à prononcer la requalification pour d’autres motifs que les matières énumérées par la charte, ni ne privera le travailleur du droit au recours effectif, en vue d’une requalification de sa relation de travail. En effet, les dispositions que doit contenir la charte ne conduiront pas la plateforme à établir des règles sur les éléments déterminants de la relation de travail. Ces éléments sont maintenus hors du champ des dispositions de la charte. CQFD.
Effectivement, les éléments déterminants de la subordination juridique et du salariat sont mentionnés dans la décision de principe Société Générale du 13 novembre 1996 de la Cour de cassation (voir la décision ) ; ces critères ne sont pas visés par l’article 20 du projet de loi.

Ainsi, contrairement à ce qu’affirme l’exposé des motifs et la première partie de l’étude d’impact, l’article 20 n’a pas vocation à sécuriser les relations contractuelles. Quelle est alors sa raison d’être ?

Dans l’avis qu’il a émis le 14 novembre 2018 sur l’avant projet de loi, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) s’est dit opposé à exonérer de la requalification en salariat les plateformes de mise en relation qui éditeraient une charte (voir l’avis du CESE p.36-37).

Rappelons que dans un arrêt du 28 novembre 2018, la chambre sociale de la Cour de cassation (voir la décision et son commentaire) a censuré un arrêt de cour d’appel qui avait refusé de reconnaître le statut de salarié des coursiers livreurs portant des repas à domicile pour le compte d’une entreprise gérant une plateforme numérique de mise en relation. La Cour de cassation a considéré le système de géolocalisation des coursiers livreurs et de pénalités sanctions mis en place par l’entreprise caractérisait un lien de subordination juridique, et donc du salariat.

Dès lors, l’article 20 du projet de loi Mobilités ressemble fort aux articles 35, 49 et 50 de la loi du 11 février 1994, dite loi Madelin, dont l’objectif, demeuré vain, était de limiter les requalifications de travailleur indépendant en salarié, en introduisant dans le code du travail une présomption de non salariat fondée sur l’absence d’un lien de subordination juridique permanente