Certificat de détachement frauduleux - CJUE - conclusions avocat général 11 juillet 2019

Certificat de détachement frauduleux - opposabilité - CJUE – affaire Vueling - conclusions du 11 juillet 2019 de l’avocat général

Affaires jointes C-370/17 et C-37/18

Voir les conclusions de l’avocat général

Présentation
.1 La cour de justice de l’Union européenne (CJUE) est saisie, dans le cadre d’un contentieux français, d’une double question préjudicielle portant sur l’opposabilité au civil du certificat de détachement dans une affaire où la compagnie aérienne de droit espagnol Vueling a été définitivement condamnée au pénal pour travail dissimulé par défaut de déclarations sociales (voir le commentaire de la décision de la Cour de cassation.).
La première question préjudicielle est posée par le tribunal de grande instance de Bobigny dans une instance engagée par la caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l’aéronautique civile (CRPNAC) ; celle-ci demande des dommages et intérêts à la compagnie Vueling, à la suite de sa condamnation pénale, en réparation du préjudice qu’elle a subi du fait du non versement par celle-ci des cotisations sociales dues en raison de l’emploi en France de personnel navigant muni de certificat de détachement et présenté à tort comme salariés détachés (voir la question préjudicielle).
La seconde question préjudicielle est posée par la chambre sociale de la Cour de cassation dans une instance prud’homale engagée par un salarié navigant de la compagnie Vueling qui demande notamment des dommages et intérêts en réparation du préjudice qu’il a subi du fait de sa non affiliation au régime français de sécurité sociale, sans versement de cotisations sociales (voir la question préjudicielle).

.2 Les conclusions de l’avocat général dans ces deux affaires ont été rendues le 11 juillet 2019.
Dans ses conclusions, l’avocat général demande à la CJUE de juger que le juge national de l’Etat d’accueil et d’emploi du salarié détaché est compétent pour écarter un certificat de détachement dès lors qu’il dispose d’éléments établissant que ce certificat a été obtenu ou invoqué frauduleusement, indépendamment du déroulement du dialogue entre les institutions compétentes des Etats membres concernés. Il précise que de cette solution dépend l’efficacité de la lutte contre le dumping social.
Il tempère cependant ses conclusions en proposant, mais à titre subsidiaire, que le principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil soit relativisé lorsque la condamnation pénale s’oppose au droit de l’Union européenne.
La CJUE rend, en principe, sa décision pour la fin de l’année.

Commentaire
.1 Les conclusions de l’avocat général ne peuvent être accueillies qu’avec beaucoup de satisfaction par tous ceux qui sont engagés dans la lutte contre le travail illégal et le dumping social ou qui en sont victimes.
Ces conclusions remettent en cause l’opposabilité quasi dogmatique du certificat de détachement et invitent la CJUE à reconnaître au juge national de l’Etat d’accueil et d’emploi du salarié détaché le droit (évident) de constater et de sanctionner un abus ou une fraude à la loi commis sur son territoire, sans être lié par des procédures administratives qu’il ne maîtrise pas.
Elles s’affranchissent de la jurisprudence Altun de la CJUE qui interdit au juge national de l’Etat d’accueil et d’emploi d’apprécier d’office et d’initiative la validité du certificat de détachement, et d’en tirer toutes les conséquences au plan pénal et civil.

.2 Si l’efficacité de la lutte contre le dumping social est mise avant par l’avocat général pour étayer ses conclusions, il invoque également l’effectivité du respect des droits sociaux du prétendu salarié détaché qui, en conséquence de la jurisprudence Altun, se trouve dans une quasi impossibilité de fait de contester le certificat de détachement frauduleux puisqu’il ne peut engager lui même la procédure de dialogue entre les institutions de sécurité sociale des deux Etats membres ; il ne peut pas se faire rétablir dans ses propres droits sociaux. Cet aspect des conséquences de l’arrêt Altun a été souligné à plusieurs reprises par l’auteur.

Reste à savoir ce que va décider la CJUE. Dans l’affaire Altun, ce même avocat général avait déjà invité la CJUE à rendre compétent le juge national de l’Etat d’accueil et d’emploi en cas de fraude, ce que la CJUE avait refusé, sacralisant un peu plus le certificat de détachement.
La décision de la CJUE est d’autant plus attendue que la proposition de modification des textes communautaires de sécurité sociale n’envisage pas, de façon très étonnante, de donner cette compétence au juge national en cas d’abus ou de fraude ; la France n’a d’ailleurs pas fait de proposition dans ce sens lors des discussions qui ont duré deux ans et demi, pour contourner la jurisprudence Altun de la CJUE.