Club de plongée - dissimulation d’emploi salarié

CAA de MARSEILLE, 7ème chambre, 30/05/2022, 20MA03755, Inédit au recueil Lebon

N° 20MA03755
Inédit au recueil Lebon

Lecture du lundi 30 mai 2022
Président
M. POCHERON
Rapporteur
M. Gilles PRIETO
Rapporteur public
M. ROUX
Avocat(s)
DUNAC
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SASU " Côte Bleue Plongée " a demandé au tribunal administratif de Marseille d’annuler l’arrêté du 8 juin 2018 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a prononcé la fermeture administrative de son établissement pour une durée d’un mois.

Par un jugement n° 1805574 du 3 août 2020, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 1er octobre 2020, la SASU " Côte Bleue Plongée ", représentée par Me Dunac, demande à la Cour :

1°) d’annuler ce jugement du 3 août 2020 du tribunal administratif de Marseille ;

2°) d’annuler l’arrêté du 8 juin 2018 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a prononcé la fermeture administrative de son établissement pour une durée d’un mois ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

La SASU " Côte Bleue Plongée " soutient que :
 l’arrêté attaqué est entaché d’un défaut de motivation ;
 la procédure contradictoire et les droits de la défense tels que garantis par les dispositions de l’article L. 122-1 du code des relations entre le public et l’administration ainsi que par les stipulations de l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ont été méconnus ;
 l’administration a fait une interprétation erronée des articles L. 212-1, L. 212-2 et R. 212-7 du code du sport, dès lors qu’il résulte de ces dispositions que les titulaires de diplômes autres que les diplômes d’Etat de plongée subaquatique peuvent enseigner bénévolement cette activité ;
 l’arrêté attaqué est entaché d’erreurs de droit et de fait en ce qu’il a constaté l’existence d’une relation de travail unissant MM. B..., A... et E... à la société " Côte Bleue Plongée ", alors même que les deux premiers étaient bénévoles et que le dernier était stagiaire, et qu’elle a ainsi caractérisé l’infraction de travail dissimulé.

Par un mémoire en défense enregistré le 19 janvier 2022, la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir qu’aucun des moyens de la requête n’est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
 la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
 le code de la sécurité sociale ;
 le code du sport ;
 le code du travail ;
 le code des relations entre le public et l’administration ;
 le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
 le rapport de M. D...,
 les conclusions de M. Roux, rapporteur public,
 et les observations de M. C..., contrôleur du travail à la direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités des Bouches-du-Rhône.

Considérant ce qui suit :

1. A la suite d’un contrôle effectué le 10 août 2017 par l’inspecteur du travail de la DIRECCTE (direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi) de Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) de la sortie en mer organisée à bord du navire " Le Mérou ", les services de l’Etat ont dressé, le 29 janvier 2018, un procès-verbal constatant que la SASU " Côte Bleue Plongée " avait commis l’infraction de travail dissimulé. Par un arrêté du 8 juin 2018, le préfet des Bouches-du-Rhône a ordonné la fermeture de l’établissement exploité par la SASU " Côte Bleue Plongée " pour une durée d’un mois.

2. Par la présente requête, la SASU " Côte Bleue Plongée " relève appel du jugement en date du 3 août 2020 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté son recours dirigé contre cette décision du 8 juin 2018.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la légalité externe de l’arrêté du 8 juin 2018 :

3. En premier lieu, le moyen tiré de l’insuffisance de motivation dirigé contre l’arrêté du 8 juin 2018 doit être écarté par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges au point 3 du jugement attaqué.

4. En deuxième lieu, aux termes de l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d’être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) / - infligent une sanction (...) ". Aux termes de l’article L. 121-1 du code des relations entre le public et l’administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l’article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d’une procédure contradictoire préalable. ". Aux termes de l’article L. 122-2 du même code : " Les mesures mentionnées à l’article L. 121-1 à caractère de sanction ne peuvent intervenir qu’après que la personne en cause a été informée des griefs formulés à son encontre et a été mise à même de demander la communication du dossier la concernant. ".

5. La SASU " Côte Bleue Plongée " soutient que le principe du contradictoire et le respect des droits de la défense ont été méconnus par le préfet des Bouches-du-Rhône, dès lors qu’elle considère ne pas avoir été informée de la possibilité de se faire assister par un avocat et de prendre connaissance du dossier fondant la sanction.

6. Il résulte toutefois de l’instruction que, par un courrier du 23 avril 2018, les services de la préfecture des Bouches-du-Rhône ont informé le gérant de la SASU " Côte Bleue Plongée " qu’il était envisagé de prononcer la fermeture administrative de cet établissement pour une durée de deux mois et l’invitait à présenter ses éventuelles observations écrites dans un délai de quinze jours ou, le cas échéant, orales. Dans ledit courrier, les services préfectoraux ont précisé à cette société qu’un procès-verbal d’infraction avait été dressé le 29 janvier 2018 à la suite du contrôle effectué le 10 août 2017 par l’inspecteur du travail, et l’ont donc mise à même de solliciter la communication de ce document. En l’absence de demande présentée en ce sens par la société intéressée, l’autorité administrative n’était pas tenue de lui communiquer spontanément le procès-verbal d’infraction du 29 janvier 2018. Par ailleurs, contrairement à ce que la société requérante soutient, aucune disposition ni aucun principe n’imposait à l’administration de l’informer de son droit d’obtenir une copie du procès-verbal d’infraction, ni davantage de la possibilité de se faire assister par un conseil de son choix. Au surplus, il résulte de l’instruction que le gérant de la SASU " Côte Bleue Plongée " a été reçu, le 3 mai 2018, par les services préfectoraux préalablement à l’intervention de la mesure contestée et a pu ainsi présenter ses observations sur la mesure envisagée. Il suit de là que le moyen tiré de la méconnaissance de la procédure contradictoire et des droits de la défense doit être écarté.

7. En troisième lieu, si les poursuites engagées par l’autorité préfectorale en vue d’infliger la mesure de sanction prévue par l’article L. 8272-2 du code du travail sont des accusations en matière pénale au sens de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, il n’en résulte pas que cette procédure répressive doive respecter les stipulations de cet article, dès lors, d’une part, qu’une telle autorité ne peut être regardée comme un tribunal, au sens de ces stipulations, et, d’autre part, que la décision prononçant une telle sanction peut faire l’objet d’un recours de plein contentieux devant la juridiction administrative, devant laquelle la procédure est en tous points conforme aux exigences de l’article 6. Il suit de là que la société requérante ne saurait utilement invoquer la méconnaissance des stipulations de l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

En ce qui concerne le bien-fondé de la sanction :

8. Aux termes de L. 8211-1 du code du travail : " Sont constitutives de travail illégal, dans les conditions prévues par le présent livre, les infractions suivantes : / 1° Travail dissimulé [...] ". Aux termes de l’article L. 8221-5 du même code : " Est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :/ 1° (...) de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ; (...) ". Aux termes enfin de l’article L. 8272-2 du même code : " Lorsque l’autorité administrative a connaissance d’un procès-verbal relevant une infraction prévue aux 1° à 4° de l’article L. 8211-1 ou d’un rapport établi par l’un des agents de contrôle mentionnés à l’article L. 8271-1-2 constatant un manquement prévu aux mêmes 1° à 4°, elle peut, si la proportion de salariés concernés le justifie, eu égard à la répétition ou à la gravité des faits constatés, ordonner par décision motivée la fermeture de l’établissement ayant servi à commettre l’infraction, à titre temporaire et pour une durée ne pouvant excéder trois mois [...]. ".

9. Aux termes de l’article L. 212-1 du code du sport : " I.- Seuls peuvent, contre rémunération, enseigner, animer ou encadrer une activité physique ou sportive ou entraîner ses pratiquants, à titre d’occupation principale ou secondaire, de façon habituelle, saisonnière ou occasionnelle, sous réserve des dispositions du quatrième alinéa du présent article et de l’article L. 212-2 du présent code, les titulaires d’un diplôme, titre à finalité professionnelle ou certificat de qualification. ". Aux termes de l’article L. 322-5 du même code : " L’autorité administrative peut également prononcer la fermeture temporaire ou définitive d’un établissement employant une personne qui enseigne, anime ou encadre une ou plusieurs activités physiques ou sportives mentionnées à l’article L. 212-1 sans posséder les qualifications requises ".

10. En quatrième lieu, ainsi que l’ont relevé les premiers juges, la fermeture provisoire de l’établissement exploité par la SASU " Côte Bleue Plongée " a été prononcée sur le fondement des dispositions de l’article L. 8272-2 du code du travail au motif que cette société aurait commis l’infraction de travail dissimulé. En conséquence, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article L. 212-1 du code du sport est inopérant et ne peut qu’être écarté.

11. En cinquième lieu, la qualification juridique d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions matérielles et effectives d’exercice des prestations. Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de celui qui n’est pas son prestataire mais son subordonné.

12. En l’espèce, les constatations effectuées par la DIRECCTE le 10 août 2017 à 11h, consignées dans le procès-verbal et qui fondent, après leur qualification juridique, la décision du préfet énoncent que M. B... était seul sur le bateau au mouillage pendant que quatre palanquées étaient en cours de plongée. Il a déclaré qu’il occupait les fonctions de directeur de plongée et assurait la surveillance ce jour et qu’il se trouvait dans la structure de la société sous couvert d’une convention de stage de formation professionnelle en alternance pour préparer un diplôme DEJEPS " perfectionnement sportif mention plongée subaquatique " au sein du CREPS d’Aix-en-Provence. Une fois revenu de leur plongée, M. A... dont le procès-verbal indique qu’il " était en charge de la palanquée n° 4 (...) composée de deux personnes ", a déclaré être en congé et apporter une aide bénévole au club de plongée durant cette semaine. M. E... lui, se trouvait avec la palanquée n° 3 composée de deux personnes et a indiqué qu’il était retraité de la gendarmerie, ami du gérant de la société et qu’il encadrait des plongeurs à titre bénévole pour cette semaine estivale. Tant M. A... que M. E... ont déclaré qu’ils ne payaient pas leur plongée en contrepartie du service qu’ils rendaient. L’analyse de la fiche de sécurité établit que sans la présence de ces trois personnes, quatre des différents clients présents ce jour-là n’aurait pas pu être pris en charge, à moins que le gérant ne ferme sa boutique de vente d’articles liés à la mer et à la plongée. Enfin, le tableau récapitulatif des fiches de sécurité des mois de juillet et août fait apparaître que plusieurs autres personnes sont régulièrement intervenues en tant que directeurs de plongée ou guides de palanquée, également avec le statut de bénévole.

13. Pour prendre la décision attaquée, le préfet des Bouches-du-Rhône a considéré, d’une part, que les trois personnes concernées effectuaient un travail sous un lien de subordination avec le gérant et que la contrepartie constituée par la gratuité de la sortie en mer et de la plongée effectuée assurait leur rémunération, d’autre part que ces trois salariés n’étaient pas déclarés, enfin, que le caractère intentionnel de la dissimulation était constituée par la répétition de l’organisation ainsi décrite.

14. Or, d’une part, il résulte de l’instruction que les trois personnes en cause accomplissaient des tâches précises dans le cadre de la prestation servie par la SASU à ses clients, dont certaines doivent en principe être confiées à un plongeur disposant un diplôme d’Etat et donner lieu à rémunération et se trouvaient donc en situation de travail. D’autre part, aux termes de l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale dont les prestations versées dépendent de la déclaration des salariés auprès de l’URSSAF : " Pour le calcul des cotisations des assurances sociales (...), sont considérées comme rémunérations toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l’occasion du travail, notamment (...) les avantages en nature (...) ". Dès lors, la gratuité de la mise à disposition du matériel, du bateau et de la plongée effectuée en contrepartie de l’aide apportée à la SASU par les trois personnes en cause doit être qualifiée de rémunération dès lors qu’il résulte de l’instruction que les personnes majeures qui effectuent une plongée de manière autonome en fonction de leur niveau d’aptitude paient leur plongée au club. Enfin, s’agissant du lien de subordination, la prestation servie à des fins commerciales par la société appelante a été entièrement confiée aux trois personnes en cause qui en assumaient seules la responsabilité au bénéfice de celle-ci et cette situation a nécessairement impliqué son organisation par son gérant qui avait le pouvoir de donner à ces trois personnes ses directives avant la sortie en mer et de contrôler le travail qu’ils ont effectué à leur retour.

15. Si M. B... était lié à la société par une convention de stage en alternance passée avec le CREPS d’Aix-en-Provence pour sa formation professionnelle d’enseignant de plongée, d’une part, il n’était pas supervisé par son maître de stage pendant l’exécution de cette tâche récurrente, d’autre part, l’article A124-7 de la loi du 10 juillet 2014 tendant au développement, à l’encadrement et à l’amélioration du statut des stagiaires prévoit qu’ " aucune convention de stage ne peut être conclue pour exécuter une tâche régulière correspondant à un poste permanent, pour faire face à un accroissement temporaire de l’activité de l’organisme d’accueil, pour occuper un emploi saisonnier ou pour remplacer un salarié (...) " Or, en l’espèce M. B... était en charge de la tâche de conduire le bateau et d’assurer la direction de la plongée, mission constitutive de l’activité de la SASU correspondant à un poste permanent.

16. Enfin, eu égard au caractère récurrent des pratiques décrites et aux deux précédentes mises en demeure dont la société appelante a fait l’objet en 2014 et 2017, le caractère intentionnel de l’infraction doit être regardé comme constitué.

17. Dans ces conditions, la société requérante n’est pas fondée à soutenir que la sanction en litige est disproportionnée.

18. Il résulte de tout ce qui précède que la SASU " Côte Bleue Plongée " n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué du 3 août 2020, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande d’annulation de l’arrêté du 8 juin 2018 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a prononcé la fermeture administrative de son établissement pour une durée d’un mois. Par suite, la requête de la SASU " Côte Bleue Plongée " doit également être rejetée en ses conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la SASU " Côte Bleue Plongée " est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SASU " Côte Bleue Plongée " et à la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l’audience du 13 mai 2022, où siégeaient :

 M. Pocheron, président de chambre,
 M. Prieto, premier conseiller,
 Mme Marchessaux, première conseillère.