Cumul qualités gérant sarl et salarié oui

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 22 janvier 2020

N° de pourvoi : 17-13498

ECLI:FR:CCASS:2020:SO00078

Non publié au bulletin

Rejet

Mme Leprieur (conseiller doyen faisant fonction de président), président

SCP Waquet, Farge et Hazan, SCP Zribi et Texier, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

SOC.

JL

COUR DE CASSATION


Audience publique du 22 janvier 2020

Rejet

Mme LEPRIEUR, conseiller doyen

faisant fonction de président

Arrêt n° 78 F-D

Pourvoi n° Y 17-13.498

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 22 JANVIER 2020

la société Wissner-Bosserhoff France, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° Y 17-13.498 contre l’arrêt rendu le 20 décembre 2016 par la cour d’appel d’Orléans (chambre sociale), dans le litige l’opposant à Mme L... P... , domiciliée [...] , défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Pietton, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Wissner-Bosserhoff France, de la SCP Zribi et Texier, avocat de Mme P... , après débats en l’audience publique du 10 décembre 2019 où étaient présents Mme Leprieur, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Pietton, conseiller rapporteur, M. Maron, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Orléans, 20 décembre 2016), rendu sur contredit, que Mme P... a été désignée le 27 août 2007 gérante de la société Wissner-Bosserhoff France (la société WIBO France), ayant pour associé unique la société Wissner-Bosserhoff holding (la société WIBO Holding) ; qu’elle a conclu le 18 septembre 2007, un contrat de travail avec la société WIBO France représentée par M. O..., président de la société WIBO Holding, pour occuper un poste de directrice administrative et commerciale ; que le 6 mai 2014, elle a été révoquée de son mandat de gérante ; que par lettre du 28 mai 2014, la société WIBO France lui a notifié son licenciement tout en indiquant qu’elle contestait expressément son statut de salariée et l’existence réelle du contrat de travail signé le 18 septembre 2007 ; que l’intéressée a saisi la juridiction prud’homale pour contester le bien-fondé de son licenciement et obtenir le paiement de diverses indemnités liées à la rupture du contrat de travail ;

Attendu que la société WIBO France fait grief à l’arrêt de dire que Mme P... était liée à elle par un contrat de travail, de juger que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et de la condamner à lui payer certaines sommes alors, selon le moyen :

1°/ que les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation ; qu’il résulte de l’article L. 223-18 du code de commerce que la société à responsabilité limitée est représentée par son seul gérant ; que sauf délégation de pouvoirs consentie au profit du signataire, la société à responsabilité limitée n’est pas engagée par les actes signés pour son compte par le représentant légal de son associé unique ; qu’en jugeant que la conclusion du contrat de travail par le président de la société WIBO Holding, actionnaire unique de la SARL Wibo France, était régulier et opposable à cette dernière sans constater l’existence d’une délégation de pouvoirs à cet effet, la cour d’appel a violé les articles 1842 du code civil, 1165 du même code dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 et L. 223-18 du code de commerce ;

2°/ que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction et ne peut fonder sa décision sur les moyens qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; que pour dire que Mme P... était liée à la société Wibo France par un contrat de travail, l’arrêt retient que le président de la société WIBO Holding actionnaire unique de la SARL Wibo France avait, du fait de sa position, un mandat apparent pour engager cette dernière vis-à-vis de son gérant pour la conclusion d’un contrat de travail ; qu’en soulevant d’office, sans avoir invité les parties à présenter leurs observations, le moyen tiré de l’existence d’un mandat apparent qui n’a été invoqué ni par Mme P... , ni par la société Wibo France dans leurs conclusions reprises oralement à l’audience, la cour d’appel a violé l’article 16 du code de procédure civile ;

3°/ que si une personne peut être engagée sur le fondement d’un mandat apparent, c’est à la condition que la croyance du tiers aux pouvoirs du prétendu mandataire soit légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient le tiers à ne pas vérifier lesdits pouvoirs ; qu’en statuant par des motifs impropres à établir que Mme P... , gérante de la société Wibo France, avait pu légitimement croire que M. O..., en sa qualité de président de la société WIBO Holding, avait le pouvoir de procéder à son embauche pour le compte de la société Wibo France, la cour d’appel a privé son arrêt de base légale au regard de l’article 1998 du code civil ;

4°/ qu’il incombe au gérant social d’une société à responsabilité limitée, qui invoque l’existence d’un contrat de travail conclu pendant l’exercice de son mandat, d’établir qu’il exerçait des fonctions techniques distinctes de son mandat social dans un lien de subordination à l’égard de la société ; qu’en se déterminant par des motifs impropres à établir que Mme P... a effectivement exercé, en qualité de directrice administrative et commerciale, des fonctions techniques distinctes de celles de son mandat de gérante dans un lien de subordination juridique à l’égard de la société Wibo France, personne morale distincte de la société WIBO Holding, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision et a violé l’article L. 1221-1 du code du travail, ensemble l’article 1842 du code civil et le principe d’autonomie de la personne morale ;

5°/ que si la juridiction prud’homale règle les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail entre un employeur et le salarié qui l’emploie, l’existence d’un contrat de travail suppose que soit caractérisée, en fait, une subordination par rapport à l’entreprise recherchée ; qu’en se bornant à relever que Mme P... , aux termes du protocole de subordination joint en annexe du document intitulé contrat de travail, avait besoin du consentement préalable du conseil de direction de la société WIBO Holding pour certaines actions et qu’elle rendait compte de son activité au président de la société WIBO Holding pour déduire l’existence d’un lien de subordination à l’égard de sa filiale, la société Wibo France, la cour d’appel a privé son arrêt de base légale au regard de l’article L. 1221-1 du code du travail, ensemble de l’article 1842 du code civil et du principe d’autonomie de la personne morale ;

Mais attendu que la cour d’appel, qui a constaté que l’intéressée assurait le suivi des commerciaux et avait un secteur commercial dédié, qu’elle rendait compte de son activité au représentant de l’associé unique de la société WIBO France et devait obtenir son autorisation avant de prendre certaines décisions, a pu en déduire qu’elle avait exercé des fonctions techniques de directrice administrative et commerciale distinctes de son mandat de gérante, dans un lien de subordination à l’égard de la société WIBO France ; qu’ayant ainsi caractérisé l’existence d’un contrat de travail, elle a, par ces seuls motifs, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la deuxième branche, légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Wissner-Bosserhoff France aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la société Wissner-Bosserhoff France à payer à Mme P... la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux janvier deux mille vingt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour la société Wissner-Bosserhoff France

IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt infirmatif attaqué D’AVOIR dit que Mme P... était liée à la SARL Wibo France par un contrat de travail, D’AVOIR dit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse D’AVOIR condamné la SARL Wibo France à payer à Mme P... les sommes de 4.773,27 euros à titre de rappel de salaire du mois de mai 2014, 477,32 euros au titre des congés payés afférents, 15.250 euros au titre des commissions sur l’exercice fiscal 2014-2015, 4.667 euros au titre des commissions sur les lits vendus en 2014, 18.102 euros au titre de l’indemnité de préavis, 1.810,20 euros au titre des congés payés afférents, 23.862,50 euros à titre d’indemnité de licenciement, 13.289 euros à titre d’indemnité de congés payés, 85.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 5.000 euros de dommages et intérêts pour remise tardive de l’attestation Pôle emploi, D’AVOIR ordonné le remboursement par la SARL Wibo France à Pôle emploi des indemnités de chômage payées à Mme P... à la suite de son licenciement, dans la limite de 6 mois et D’AVOIR ordonné à la SARL Wibo France de remettre à Mme P... dans un délai de 30 jours à compter de la notification du présent arrêt un bulletin de salaire, un certificat de travail et une attestation destinée à Pôle emploi conformes à la présente décision ;

AUX MOTIFS QUE le cumul d’un contrat de travail avec un mandat social suppose l’exercice de fonctions techniques réelles distinctes des fonctions relevant du mandat et l’existence d’un lien de subordination juridique avec l’employeur ; qu’en l’espèce Madame P... produit un contrat de travail signé pour la société WIBO France par Monsieur S... O... agissant au nom et pour le compte de ladite société aux termes duquel elle a été engagée par la société WIBO France en qualité de directrice administrative et commerciale niveau X échelon 1 de la convention collective du commerce de gros, statut cadre ; qu’il est justifié par la production des statuts de la SARL WIBO France qu’elle avait pour unique actionnaire la société WIBO Holding dont le président était Monsieur S... O..., signataire des statuts aux termes desquels Madame P... a été désignée en qualité de gérante ; que dans ces conditions, le président de la société WIBO Holding actionnaire unique de la SARL WIBO France avait, du fait de sa position, un mandat apparent pour engager la société vis à vis de son gérant pour la conclusion d’un contrat de travail qui, par conséquent, est régulier et opposable à la société ; que le contrat de travail stipule en son article 2 que Madame P... exercera : “sous l’autorité de la direction de la société WIBO Holding les fonctions suivantes : - définition et mise en place du business plan de W180 France, - définition et application de la politique commerciale et marketing de la société, - définition et organisation de la stratégie et des moyens pour la vente et l’après-vente des produits de la société WIBO sur le marché français, embauche formation, et contrôle des responsables régionaux pour les ventes, négociation des accords-cadres conclus avec les grands comptes de la société, et qu’elle devra tenir informée, de façon continue la direction de WIBO Holding de son activité sous toutes ses formes ainsi que respecter le protocole de subordination joint en annexe” ; que le protocole de subordination joint en annexe prévoit que Madame P... a besoin du consentement préalable du conseil de direction présidé par Monsieur O... de la société WIBO Holding pour les actions suivantes : politique commerciale, investissements, financement, personnel, contrats, litiges, actions diverses ; que le contrat de travail mentionne, s’agissant de la rémunération que Madame P... percevra un salaire fixe annuel brut forfaitaire de 68.004 euros outre un complément de rémunération de 0,15 % du chiffre d’affaires facturé pendant l’exercice précédent et un bonus de 2,5 % du bénéfice réalisé avant impôt, ces rémunérations étant payées déduction faites des charges sociales incombant légalement au salarié ; qu’il est en outre justifié par la production d’un courriel du 17 juin 2010 que la rémunération de Madame P... a été modifiée par Monsieur O... a effet du 1er avril 2010, son salaire fixe ayant été porté à la somme de 70.000 euros, les taux de commissionnement ayant été révisés et un pourcentage lui ayant été attribué sur la vente des lits ; qu’aux termes de la fiche de poste de Madame P... , il lui était demandé la maîtrise de l’anglais, des compétences organisationnelles, une expérience dans le même secteur d’au moins 10 ans, et des compétences managériales ; qu’il est établi par les cartes des secteurs commerciaux que Madame P... avait un secteur commercial qui lui était dédié ; qu’il est également communiqué des courriels établissant que Madame P... rendait compte de son activité à Monsieur U..., successeur de Monsieur O... qui, entre autres, approuvait les plans de ventes, déterminait le nombre de salariés du service commercial, le budget marketing ; qu’il se déduit de l’ensemble de ces éléments : que Madame P... a exercé des fonctions spécifiques de directrice administrative et commerciale distinctes de son mandat de gérante, qui impliquait des compétences techniques particulières en matière commerciale, et qu’elle avait en charge outre le suivi des commerciaux un secteur géographique dédié ; qu’elle a exercé ces fonctions sous la subordination de l’unique actionnaire de la société et donc sous la subordination de l’entreprise WIBO France, ce lien de subordination se distinguant en effet de la relation existant par ailleurs entre la société holding et sa filiale, puisque Madame P... devait rendre compte à l’actionnaire unique et donc à la société WIBO France de son action de directrice commerciale et devait solliciter et obtenir son autorisation avant de prendre certaines décisions comme le prévoyait le contrat de travail, alors qu’elle disposait par ailleurs de pouvoirs étendus dans l’exercice de son mandat social ; qu’elle a été rémunérée au titre de ces fonctions dans des conditions fixées au contrat de travail et par l’avenant établi par l’actionnaire unique de la société sur lesquelles des charges sociales ont été acquittées conformément au contrat, et qu’aucune rémunération autre que celle prévue au contrat ne lui a été versée au titre du mandat social ; qu’ainsi, l’existence d’un contrat de travail entre Madame P... et la SARL WIBO France qui ne faisait pas obstacle à sa révocation de son mandat de gérant se trouve suffisamment démontrée ;

1°) ALORS QUE les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation ; qu’il résulte de l’article L. 223-18 du code de commerce que la société à responsabilité limitée est représentée par son seul gérant ; que sauf délégation de pouvoirs consentie au profit du signataire, la société à responsabilité limitée n’est pas engagée par les actes signés pour son compte par le représentant légal de son associé unique ; qu’en jugeant que la conclusion du contrat de travail par le président de la société WIBO Holding, actionnaire unique de la SARL Wibo France, était régulier et opposable à cette dernière sans constater l’existence d’une délégation de pouvoirs à cet effet, la cour d’appel a violé les articles 1842 du code civil, 1165 du même code dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 et L. 223-18 du code de commerce ;

2°) ALORS QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction et ne peut fonder sa décision sur les moyens qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; que pour dire que Mme P... était liée à la société Wibo France par un contrat de travail, l’arrêt retient que le président de la société WIBO Holding actionnaire unique de la SARL Wibo France avait, du fait de sa position, un mandat apparent pour engager cette dernière vis-à-vis de son gérant pour la conclusion d’un contrat de travail ; qu’en soulevant d’office, sans avoir invité les parties à présenter leurs observations, le moyen tiré de l’existence d’un mandat apparent qui n’a été invoqué ni par Mme P... , ni par la société Wibo France dans leurs conclusions reprises oralement à l’audience, la cour d’appel a violé l’article 16 du code de procédure civile ;

3°) ALORS QUE si une personne peut être engagée sur le fondement d’un mandat apparent, c’est à la condition que la croyance du tiers aux pouvoirs du prétendu mandataire soit légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient le tiers à ne pas vérifier lesdits pouvoirs ; qu’en statuant par des motifs impropres à établir que Mme P... , gérante de la société Wibo France, avait pu légitimement croire que M. O..., en sa qualité de président de la société WIBO Holding, avait le pouvoir de procéder à son embauche pour le compte de la société Wibo France, la cour d’appel a privé son arrêt de base légale au regard de l’article 1998 du code civil ;

4°) ALORS QUE il incombe au gérant social d’une société à responsabilité limitée, qui invoque l’existence d’un contrat de travail conclu pendant l’exercice de son mandat, d’établir qu’il exerçait des fonctions techniques distinctes de son mandat social dans un lien de subordination à l’égard de la société ; qu’en se déterminant par des motifs impropres à établir que Mme P... a effectivement exercé, en qualité de directrice administrative et commerciale, des fonctions techniques distinctes de celles de son mandat de gérante dans un lien de subordination juridique à l’égard de la société Wibo France, personne morale distincte de la société WIBO Holding, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision et a violé l’article L.1221-1 du code du travail, ensemble l’article 1842 du code civil et le principe d’autonomie de la personne morale ;

5°) ALORS QUE si la juridiction prud’homale règle les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail entre un employeur et le salarié qui l’emploie, l’existence d’un contrat de travail suppose que soit caractérisée, en fait, une subordination par rapport à l’entreprise recherchée ; qu’en se bornant à relever que Mme P... , aux termes du protocole de subordination joint en annexe du document intitulé contrat de travail, avait besoin du consentement préalable du conseil de direction de la société WIBO Holding pour certaines actions et qu’elle rendait compte de son activité au président de la société WIBO Holding pour déduire l’existence d’un lien de subordination à l’égard de sa filiale, la société Wibo France, la cour d’appel a privé son arrêt de base légale au regard de l’article L. 1221-1 du code du travail, ensemble de l’article 1842 du code civil et du principe d’autonomie de la personne morale.

Décision attaquée : Cour d’appel d’Orléans , du 20 décembre 2016