Faux auto entrepreneurs - formateurs

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 26 novembre 2019

N° de pourvoi : 19-80516

ECLI:FR:CCASS:2019:CR02332

Non publié au bulletin

Rejet

M. Soulard (président), président

SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

N° K 19-80.516 F-D

N° 2332

CG10

26 NOVEMBRE 2019

REJET

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l’arrêt suivant :

M. J... U... et les sociétés Institut européen de la communication et des médias et Learning management development ont formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris, chambre 5-13, en date du 21 décembre 2018, qui, pour travail dissimulé, a condamné, le premier, à cent jours-amende à 250 euros, la seconde, à 45 000 euros d’amende et, la troisième, à 25 000 euros d’amende.

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 15 octobre 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Parlos, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Guichard ;

Sur le rapport de M. le conseiller PARLOS, les observations de la société civile professionnelle LYON-CAEN et THIRIEZ, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général LAGAUCHE ;

Un mémoire a été produit.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Lors d’un contrôle dans les locaux des écoles dénommées European communication school et Institut européen du journalisme, gérées par la société Institut européen de la communication et des médias, présidée par la société Learning management development, elle-même présidée par M. U..., les services chargés de l’inspection du travail ont constaté que des salariés, embauchés avec un contrat de formateur occasionnel et après avoir antérieurement fait l’objet d’une déclaration préalable à l’embauche, intervenaient, pour la plupart, depuis le 30 juin 2009, en qualité d’auto-entrepreneur.

3. A l’issue de ce contrôle et après une enquête, M. U... et les sociétés Institut européen de la communication et des médias et Learning management development ont été poursuivis du chef de travail dissimulé, pour avoir omis de procéder à la déclaration préalable à l’embauche de vingt-cinq salariés, devant le tribunal correctionnel, qui les a déclarés coupables.

4. Les prévenus ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

5. Il n’est pas de nature à permettre l’admission du pourvoi, en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur les deuxième et troisième moyens

Enoncé des moyens

6. Le deuxième moyen est pris de la violation des articles L. 8221-1, L. 8221-3, L. 8221-4, L. 8221-5, L. 8221-6, L. 8222-1, et L. 8224-1 du code du travail, 122-3 du code pénal, 459, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale.

7. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a condamné les sociétés LMD et IECM et M. U... pour travail dissimulé par dissimulation de salariés, commis entre le 1er octobre 2009 et le 30 juin 2010, en omettant intentionnellement de remettre les bulletins de paie et de procéder à la déclaration préalable à l’embauche, en qualité d’employeur, de 25 personnes, la première à une amende de 25 000 euros, la deuxième à une amende de 45 000 euros et le dernier à une peine de cent jours amende d’un montant de 250 euros :

1°/ alors que « le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; qu’en se fondant sur le constat du changement de statut en autoentrepreneur de personnes précédemment sous contrat de travail, et sur le fait que les tarifs des cours étaient fixé par la société IECM, ce qui ne caractérise pas l’existence d’un lien de subordinations, la création du statut d’autoentrepreneur pouvant conduire à réviser le type de contrat pouvant être mis en place, et les tarifs n’étant qu’une proposition que tout contractant éventuel peut refuser, l’arrêt ne constatant pas au surplus que les enseignants visés dans l’acte de prévention se seraient vus imposer ce statut et ces tarifs, en déduisant la relation de subordination du fait que les professeurs travaillaient au sein d’un service organisé, ce qui n’était qu’un indice de la subordination, contredit par le fait que, si la société organisait un cadre pédagogique pour les élèves et les matières des cursus, les professeurs qui se voyaient confier un enseignement à l’avance, et disposaient d’une totale liberté dans leur enseignement, l’arrêt admettant à cet égard, la latitude reconnue aux enseignants pour concevoir leurs cours ou mettre en oeuvre le contrôle des connaissances, pour la prestation semestrielle ou annuelle pour laquelle la société avait recours à leurs service et sans que soit relevé le moindre pouvoir de sanction à leur encontre, pendant cette période, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision, au regard des articles L. 8221-5 et L. 8221-6 du code du travail ; »

2°/ alors que « par ailleurs, l’article L. 8221-6 du code du travail établit une présomption d’absence de contrat de travail dès lors que l’entreprise de l’auto-entrepreneur est régulièrement immatriculée ; que, s’agissant d’une présomption simple, l’existence d’un contrat de travail peut être établie lorsque les prestations fournies à un donneur d’ordre le sont, par des personnes, dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanent à l’égard de celui-ci ; que, dans les conclusions pour les prévenus, il était soutenu que les professeurs visés à la prévention intervenaient dans les deux écoles en vertu d’un contrat de prestation de service, en qualité d’auto-entrepreneurs, qu’après accord avec l’école sur l’objet de leur enseignement et leurs heures de cours, soit semestriel soit annuel, ils disposaient d’une totale liberté dans l’organisation de leur enseignement, pouvant ou non utiliser le matériel proposé par l’école, qu’il s’agissait de professionnels en activité dans les médias et le journalisme, recrutés en raison de cette expérience actuelle, leur cours pour l’école ne représentant que 5 % de leur activité, ce qui excluait toute activité exclusive au profit de la société IECM et qu’ils n’étaient soumis à aucun contrôle dans leur enseignement, ni, par voie de conséquence, à un quelconque pouvoir disciplinaire de la société IECM, ce qui excluait tout lien de subordination permanent, permettant de caractériser un travail salarié, renversant la présomption de non salariat ; que faute d’avoir répondu à ce chef péremptoire de conclusions, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision ; »

3°/ alors qu’ « est constitutif de travail dissimulé, le fait de se soustraire intentionnellement aux dispositions protectrices des salariés que sont la déclaration préalable à l’embauche et la remise de bulletins de salaire ; qu’il appartient aux juges de caractériser cette intention d’éluder ces protections légales des salariés ; qu’en déduisant cette intention du fait que M. U... était un professionnel, qu’il aurait recherché un bénéfice, sinon dans la baisse des cotisations sociales, du moins dans des économies de gestion du personnel, la cour d’appel qui n’a pas constaté que le prévenu savait que la société IECM avait recours à des enseignants qui, de fait, étaient sous la subordination juridique permanente de la société IECM, ne lui permettant pas d’exiger de ces intervenants qu’ils soient des autoentrepreneurs, n’a pas justifié sa décision ; »

4°/ alors que « l’erreur de droit est un fait justificatif ; que pour rejeter le moyen de défense tiré de l’erreur de droit résultant du fait qu’au moment de l’adoption de la loi sur le statut d’autoentrepreneur, il avait été expliqué, par les pouvoirs publics, les mérites de ce type de contrat, notamment pour des prestations de service réalisées en complément d’une autre activité ; que la défense produisait l’interview de M. Novelli, secrétaire d’Etat à l’origine de ladite loi, qui indiquait que ce statut était adapté pour des prestations intellectuelles n’exigeant de matière très couteux ; que les conclusions pour les prévenus soutenaient qu’en cet état, ils avaient commis au plus une erreur de droit exclusive de toute responsabilité ; qu’en se contentant de répondre que les prévenus ne peuvent se prévaloir de la communication des pouvoirs publics, sans expliquer pourquoi, s’agissant d’autorités particulièrement bien placées pour analyser les implications de la loi, et quand il résulte de la jurisprudence que les positions de l’URSSAF ou de l’inspection du travail ou des juges n’ont pas été, dès l’origine claires sur les conditions de recours au statut d’autoentrepreneur, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision ».

8. Le troisième moyen est pris de la violation des articles L. 3243-2, L. 8221-1, L. 8221-3, L. 8221-4, L. 8221-5, L. 8221-6, L. 8222-1, et L. 8224-1, R. 1221-2 du code du travail, 121-4 du code pénal, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale.

9. Le moyen critique l’arrêt attaqué « en ce qu’il a condamné les sociétés LMD et IECM et M. U... pour travail dissimulé par dissimulation de salariés, commis entre le 1er octobre 2009 et le 30 juin 2010, en omettant intentionnellement de remettre les bulletins de paie et de procéder à la déclaration préalable à l’embauche, en qualité d’employeur, de 25 personnes, la première à une amende de 25 000 euros, la deuxième à une amende de 45 000 euros et le dernier à une peine de cent jours amende d’un montant de 250 euros, alors que le délit de travail dissimulé n’est imputable qu’à l’employeur ; qu’il résulte des termes mêmes de l’arrêt que les personnes dont le travail aurait été dissimulées avaient contractées avec la société IECM, laquelle était dirigée par la société Learning Management Développement ; qu’en retenant la culpabilité en qualité d’auteur des infractions de M. U..., aux motifs qu’il était lui-même le dirigeant de la société Learning Management Développement, quand celui-ci n’était pas le dirigeant de la société qui aurait employé des salariés sans les déclarer, la cour d’appel a méconnu les articles précités ».

Réponse de la Cour

10. Les moyens sont réunis.

11. Pour déclarer les prévenus coupable du délit de travail dissimulé, l’arrêt énonce, en substance, par motifs propres et adoptés, que les vingt-cinq personnes devenues auto-entrepreneurs, citées par la prévention, ont poursuivi leurs activités au sein d’un service, dont l’organisation et le fonctionnement n’ont pas changé entre le moment où elles étaient salariés et la période où elles sont devenues auto-entrepreneurs, en continuant à accomplir un travail effectif sous l’autorité et le contrôle des prévenus.

12. Les juges relèvent qu’il incombait, par voie de conséquence, à l’employeur de procéder à l’accomplissement des formalités relatives à la déclaration préalable à l’embauche.

13. Ils ajoutent que M. U... a reconnu avoir personnellement initié le projet consistant à faire ainsi passer ces salariés au statut d’auto-entrepreneur et que, ne pouvant invoquer son ignorance de la réglementation applicable, en raison de sa qualité de professionnel et de son expérience, il lui appartenait, s’il nourrissait des doutes sur la régularité de ce projet, de s’assurer auprès de l’inspection du travail ou de l’Urssaf de la légalité du changement ainsi intervenu, le prévenu n’étant pas fondé à se prévaloir d’une prise de position des pouvoirs publics pour prétendre s’exonérer de la responsabilité pénale encourue.

14. En l’état de ces énonciations et constatations, procédant de son appréciation souveraine des éléments de preuve contradictoirement débattus devant elle, la cour d’appel, répondant aux conclusions, a caractérisé, en ses éléments matériel et intentionnel, le délit de travail dissimulé dont elle a déclaré les prévenus coupables.

15. Ainsi, les moyens doivent-ils être écartés.

16. Par ailleurs l’arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-six novembre deux mille dix-neuf ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

Décision attaquée : Cour d’appel de Paris , du 21 décembre 2018