Restaurant - accident du travail mortel - entraide amicale non

Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 26 mars 2008, 07-86.507, Inédit
Cour de cassation - Chambre criminelle

N° de pourvoi : 07-86.507
Non publié au bulletin
Solution : Rejet

Audience publique du mercredi 26 mars 2008
Décision attaquée : Cour d’appel d’Aix-en-Provence, du 19 juillet 2007

Président
M. Cotte (président)
Avocat(s)
SCP Waquet, Farge et Hazan
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :

 
X... Eric,

contre l’arrêt de la cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE, 7e chambre, en date du 19 juillet 2007, qui, pour homicide involontaire, infraction à la réglementation sur la sécurité des travailleurs et travail dissimulé, l’a condamné à huit mois d’emprisonnement avec sursis, deux amendes de 1 500 euros chacune, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 121-3 et 221-6 du code pénal, 388 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, violation des droits de la défense ;

"en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Eric X... coupable d’homicide involontaire ;

"aux motifs qu’en s’abstenant de rappeler des consignes qui auraient permis d’éviter l’accident, le prévenu n’a pas accompli les diligences normales lui incombant compte tenu de ses fonctions et des pouvoirs dont il disposait ; qu’il a ainsi contribué à créer la situation ayant permis la réalisation du dommage et commis non une violation manifestement délibérée d’une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement comme visée à la prévention mais une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer ;

"alors que, d’une part, le juge ne peut ajouter aux faits de la prévention par laquelle il a été saisi, et ne peut juger le prévenu sur des faits extérieurs à cette prévention, sans s’assurer de son accord pour comparaître volontairement sur ces faits nouveaux ; qu’en déclarant Eric X... coupable d’homicide involontaire, non pour violation d’une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi (visée par la prévention), mais pour la commission d’une faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer, faute distincte par ses éléments constitutifs et donc extérieurs aux faits de la prévention, la cour d’appel a excédé les limites de sa saisine et violé les droits de la défense ;

"alors que, d’autre part, et en toute hypothèse, à supposer que les juges aient restitué, à la faute mentionnée dans la prévention sa véritable qualification, ils ne pouvaient le faire sans que le prévenu ait été en mesure de se défendre sur la nouvelle qualification envisagée ; qu’en l’espèce, il ne résulte d’aucune mention de l’arrêt attaqué, ni des pièces de la procédure, qu’Eric X... ait été informé de ce que la faute visée dans la prévention comme étant une violation manifestement délibérée d’une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement allait être requalifiée en faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité que son auteur ne pouvait ignorer ; qu’en conséquence, la cour d’appel a méconnu le principe et les textes précités" ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-3 et 221-6 du code pénal, L. 231-3-1 du code du travail, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Eric X... coupable d’homicide involontaire ;

"aux motifs qu’il résulte du rapport de la gendarmerie que Christian Y... se trouvait en cuisine en train de préparer les crèmes brûlées à l’aide d’un chalumeau, que la cartouche de la bouteille de gaz étant vide, il a voulu la changer se trouvant à ce moment à une distance d’un mètre de la cuisinière qui était allumée ; qu’au cours de cette opération une fuite est survenue qui a provoqué une déflagration et un départ de feu ; que l’inspection du travail a relevé que l’accident s’est produit lors du changement de la cartouche de gaz alimentant le chalumeau de cuisine de la marque Camping gaz de type soudogaz X2000 ; que ce type d’appareil est conçu de façon à ce que son utilisation, son réglage, sa maintenance dans des conditions conformes à son utilisation n’exposent pas les personnes à un risque d’atteinte à leur santé ou à leur sécurité ; que l’opération de changement a été effectuée à proximité du piano en chauffe, qu’il a été constaté que si le mode opératoire de changement de la cartouche de gaz figurait sur la cartouche, il était écrit en anglais ; qu’elle a estimé que ces constats démontraient l’absence de prise en compte de toute évaluation des risques résultant de cette opération, que les circonstances de l’accident ne relèvent donc pas d’une cause imprévisible mais bien d’un manquement aux règles de sécurité les plus élémentaires ; qu’il appartient au chef d’entreprise de veiller personnellement à tous moments à la stricte application des dispositions réglementaires destinées à assurer la sécurité de son personnel, à prévoir et éventuellement pallier les risques particuliers auxquels il expose ses salariés ; qu’il ne peut être exonéré de sa responsabilité pénale que s’il apporte la preuve que la victime a commis une faute imprévisible, cause unique et exclusive de l’accident ou s’il est constaté qu’il a délégué de manière certaine et non ambiguë la direction du chantier ; qu’en l’espèce, il est constant que le prévenu n’a pas pris la précaution de rappeler au sein de son établissement et, notamment par voie d’affichage dans la cuisine en langue française, les règles élémentaires de sécurité relatives à l’utilisation et à la manipulation d’appareils alimentés par le gaz, d’autant que ses salariés du fait de l’exiguïté de la cuisine, étaient amenés à se trouver à proximité d’une source de chaleur ; qu’en s’abstenant de rappeler ces consignes qui auraient permis d’éviter l’accident, il n’a pas accompli les diligences normales lui incombant compte tenu de ses fonctions et des pouvoirs dont il disposait ; qu’il a ainsi contribué à créer la situation ayant permis la réalisation du dommage et a commis non une violation manifestement délibérée d’une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement comme visé à la prévention mais une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer ;

"alors que, d’une part, ne constitue pas une faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité que son auteur ne pouvait ignorer le fait pour un restaurateur de ne pas avoir rappelé à son salarié, cuisinier ayant trente ans d’expérience à ce poste, une règle aussi élémentaire que celle consistant à ne pas procéder au remplacement de la cartouche de gaz d’un chalumeau de cuisine à proximité immédiate des flammes d’une cuisinière ; qu’en l’espèce, il résulte des propres constatations de l’arrêt que l’accident n’a pas pour origine la manière dont la manipulation de la cartouche a été effectuée mais la circonstance que cette manipulation a eu lieu à proximité des flammes ; qu’en considérant, dès lors, que le défaut d’information, limité au fait de ne pas avoir rappelé au salarié que l’on ne manipule pas une cartouche de gaz à proximité d’une flamme, était une faute caractérisée et qui exposait autrui à un danger d’une particulière gravité que son auteur ne pouvait ignorer, la cour d’appel a violé les textes précités ;

"alors que, d’autre part, et en toute hypothèse, il résulte des propres motifs de l’arrêt attaqué que la cause de la naissance de l’incendie est une fuite de gaz provenant d’un appareil camping-gaz théoriquement conçu pour être utilisé sans risque ; que la cause exonératoire ne résulte pas exclusivement d’une faute de la victime, mais peut résulter d’un événement extérieur, imprévisible et inévitable ; qu’en s’abstenant totalement de rechercher si la fuite de gaz n’avait pas présenté ce caractère, la cour d’appel a privé sa décision de base légale" ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure, que Christian Y..., employé d’un restaurant dont le demandeur est le gérant, a été grièvement brûlé en changeant la bouteille de gaz d’un chalumeau destiné à brûler les crèmes, et qu’il est décédé des suites de ses blessures ; qu’à la suite de ces faits, Eric X... a été cité par le procureur de la République devant le tribunal correctionnel, notamment, sur le fondement de l’article 221-6, alinéa 1, du code pénal pour avoir involontairement causé la mort de Christian Y... par violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, en l’espèce en s’abstenant d’organiser au profit de ses salariés une formation pratique et appropriée en matière de sécurité ;

Attendu que, pour confirmer le jugement ayant déclaré le prévenu coupable, l’arrêt retient que l’intéressé, en s’abstenant de rappeler les consignes élémentaires de sécurité qui auraient permis d’éviter l’accident, n’a pas accompli les diligences normales lui incombant compte tenu des fonctions et des pouvoirs dont il disposait ; qu’il a ainsi contribué à créer la situation ayant permis la réalisation du dommage et commis non une violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, mais une faute caractérisée qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer ;

Attendu qu’en l’état de ces énonciations, la cour d’appel qui n’a pas statué sur d’autres faits que ceux relevés par l’acte de saisine et qui n’a pas procédé à une requalification de ceux-ci mais à une analyse de la faute qualifiée reprochée, au sens de l’article 121-3 du code pénal, a justifié sa décision ;

D’où il suit que les moyens ne sauraient être admis ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 263-2 et L. 231-2-1 du code du travail, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l’arrêt attaqué a condamné le prévenu du chef de manquement à l’obligation d’organiser une formation pratique et appropriée en matière de sécurité ;

"aux motifs que le prévenu a déclaré à l’inspection du travail que Christian Y... effectuait pour la première fois dans son établissement le remplacement d’une cartouche de gaz vide, et que, selon lui, cette opération ne nécessite pas de formation ou de consignes particulières ; qu’il appartenait au prévenu de rappeler à ses salariés les règles élémentaires de sécurité concernant l’utilisation d’appareils ou de machines alimentées au gaz, ce qu’il a reconnu ne pas avoir fait ;

"alors que, d’une part, l’étendue de l’obligation de formation en matière de sécurité varie selon la taille de l’établissement, la nature de son activité, le caractère des risques qui y sont constatés et le type d’emploi occupés par les salariés concernés ; que, dans le cadre d’une activité de restauration et pour l’exercice d’un emploi de cuisinier, le remplacement de la cartouche d’un chalumeau de cuisine de la marque camping gaz ne nécessite pas la mise en place d’une formation particulière ; qu’en conséquence, en condamnant Eric X... pour ne pas avoir procédé à une telle formation, la cour d’appel a violé les articles précités ;

"alors que, d’autre part, l’omission de l’employeur de rappeler les règles de sécurité élémentaires s’agissant de l’utilisation d’appareils ou de machines alimentées au gaz ne constitue pas un manquement à l’obligation d’organiser une formation mise à la charge de l’employeur" ;

Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-3 du code pénal, L. 320, L. 324-9, L. 324-10 du code du travail, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que la cour d’appel a condamné Eric X... du chef d’exécution de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié ;

"aux motifs que la déclaration d’embauche ne sera faite que le 9 février 2003, soit postérieurement à l’embauche de Christian Y... ; que l’autre personne présente le jour des faits dans la cuisine ne se considère pas comme salarié de l’établissement mais comme un ami de la famille rendant quelques services ; que toutefois, il est constant qu’il se trouvait le jour des faits en situation de travail aidant au service en salle, qu’il a lui-même reconnu avoir « rendu service » à cinq reprises au prévenu et à sa compagne, qu’il a même ajouté avoir perçu quelques fois « la pièce » de la part du patron et touché des pourboires des clients ; qu’il résulte de ces éléments qu’il était bien le salarié du prévenu ; qu’il est constant qu’il n’a fait l’objet d’aucune déclaration préalable à l’embauche ;

"alors que, d’une part, le délit de travail dissimulé suppose l’intention de recourir à cette dissimulation ; qu’ayant constaté que la déclaration d’embauche de Christian Y... avait eu lieu le 9 février, soit au troisième jour de son embauche, la cour d’appel, en s’abstenant de rechercher, ainsi qu’elle y était invitée (conclusions, p. 2), si ce retard n’était pas dû à une négligence exclusive de toute intention de recourir à une dissimulation d’emploi, n’a pas légalement motivé sa décision ;

"alors que, d’autre part, le délit de travail dissimulé suppose l’existence d’un emploi salarié ; qu’en se bornant à constater que M. Z... avait « rendu service » à cinq reprises et touché « la pièce » et les pourboires des clients sans relever le moindre élément établissant l’existence d’un véritable lien de subordination, la cour d’appel a violé les textes précités" ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous leurs éléments, les délits d’infraction à la réglementation sur la sécurité des travailleurs et de travail dissimulé dont elle a déclaré le prévenu coupable ;

D’où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Cotte président, Mme Palisse conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Randouin ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;