Marchandage - prêt illicite de salarié

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 30 octobre 1995

N° de pourvoi : 94-84807

Non publié au bulletin

Rejet

Président : M. Le GUNEHEC, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le trente octobre mil neuf cent quatre-vingt-quinze, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire BATUT, les observations de la société civile professionnelle VIER et BARTHELEMY et de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général GALAND ;

Statuant sur les pourvois formés par : - Z... Mario,

"-" A... Jean, contre l’arrêt de la cour d’appel de RENNES, 3ème chambre, du 8 septembre 1994 qui, pour participation à une opération de prêt de main-d’oeuvre illicite, a condamné le premier à une amende de 20 000 francs et le second à une amende de 50 000 francs ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires ampliatifs et complémentaire produits ;

Sur le premier moyen de cassation proposé en faveur de Jean A... et pris de la violation des articles 460, 513 et 593 du Code de procédure pénale, 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ensemble manque de base légale et violation des droits de la défense ;

”en ce que l’arrêt attaqué précise que les débats se sont déroulés comme suit :

”la Cour, après avoir entendu :

. “M. Le Corre conseiller, en son rapport de l’affaire ;

”les prévenus en leur interrogatoire ;

”Me X..., en sa plaidoirie pour Jean A... ;

”Me Y..., en sa plaidoirie pour Mario Z... ;

”l’avocat général en ses réquisitions ;

”les prévenus qui ont eu la parole en dernier ;

”alors qu’aux termes du troisième alinéa de l’article 513 du Code de procédure pénale, en sa rédaction issue de la loi du 4 janvier 1993, entrée en vigueur en application de l’article 49-1 de la loi du 24 août 1993, les parties en cause ont la parole dans l’ordre prévu par l’article 460 ;

qu’il en résulte que la défense du prévenu doit être présentée après la demande de la partie civile et les réquisitions du ministère pubic ;

qu’en l’espèce, les mentions de l’arrêt établissent que l’avocat du prévenu a présenté sa défense avant les réquisitions du ministère public ;

que le fait que la parole ait été donnée en dernier au conseil du prévenu ne suffisant pas à réparer l’atteinte portée aux intérêts du prévenu résultant de l’obligation qui lui a été imposée en l’espèce de présenter sa défense le premier, les textes et principes susvisés ont été méconnus” ;

Sur le second moyen de cassation proposé en faveur de Mario Z... et pris de la violation des articles 460, 513 et 593 du Code de procédure pénale, 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ensemble manque de base légale et violation des droits de la défense ;

”en ce que l’arrêt attaqué précise que les débats se sont déroulés comme suit :

”la Cour, après avoir entendu :

”M. Le Corre conseiller, en son rapport de l’affaire ;

”les prévenus en leur interrogatoire ;

”Me X..., en sa plaidoirie pour Jean A... ;

”Me Y..., en sa plaidoirie pour Mario Z... ;

”l’avocat général en ses réquisitions ;

”les prévenus qui ont eu la parole en dernier ;

”alors qu’aux termes du troisième alinéa de l’article 513 du Code de procédure pénale, en sa rédaction issue de la loi du 4 janvier 1993, entrée en vigueur en application de l’article 49-1 de la loi du 24 août 1993, les parties en cause ont la parole dans l’ordre prévu par l’article 460 ;

qu’il en résulte que la défense du prévenu doit être présentée après la demande de la partie civile et les mentions de l’arrêt établissent que l’avocat du prévenu a présenté sa défense avant les réquisitions du ministère public ;

que le fait que la parole ait été donnée en dernier au conseil du prévenu ne sufisant pas à réparer l’atteinte portée aux intérêts du prévenu résultant de l’obligation qui lui a été imposée en l’espèce de présenter sa défense le premier, les textes et principes susvisés ont été méconnus” ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que si l’arrêt mentionne que les avocats de Jean A... et de Mario Z... ont présenté la défense de ceux-ci avant le ministère public, en violation des dispositions de l’article 513 du Code de procédure pénale, issues de la loi du 4 janvier 1993, il précise que les prévenus ont eu la parole en dernier ;

Qu’en cet état, et dès lors que l’article 513 précité a été rétabli en sa rédaction initiale par la loi du 8 février 1995, l’irrégularité commise n’a pas été de nature à porter atteinte aux intérêts des demandeurs ;

D’où il suit que les moyens doivent être écartés ;

Sur le premier moyen de cassation proposé en faveur de Mario Z... et pris de la violation des articles L. 125-3 et L. 152-3, alinéa 1, du Code du travail, 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable du délit de prêt de main-d’oeuvre à des fins lucratives hors du cadre légal du travail temporaire ;

”aux motifs que la société “Collet distribution” fait partie du “groupe A...” où elle assure la transformation de la viande, abattue et transportée par deux autres sociétés du même groupe ;

que ses clients sont des entreprises de grande distribution ; que l’activité de la société dirigée par Jean A... peut connaître des variations rapides auxquelles une main-d’oeuvre flexible permet de s’adapter ;

qu’en ce qui concerne le mode de rémunération des sous-traitants, celui-ci est bien fondé sur un tarif, préalablement déterminé, basé sur un prix au kg de viande traité, chaque morceau étant affecté d’un poids forfaitairement convenu ;

que cependant, aucun tonnage minimum n’étant garanti aux sous-traitants, ceux-ci se trouvent placés dans une dépendance économique accrue ;

”qu’en ce qui concerne la spécificité des tâches confiées aux sous-traitants, par rapport à celles réalisées par l’entreprise utilisatrice, il est établie que la société “Collet-distribution” ne comptait pas de “désosseurs” parmi son personnel ;

”que cependant l’approvisonnement des lignes de production en viande découpée se faisait sans tenir compte de l’appartenance du personnel y travaillant ;

que le personnel était interchangeable quelle que soit la société dont il relevait ;

”que le fait pour le sous-traitant d’avoir à fournir les instruments de travail (couteaux, fusil) et une partie des vêtements de travail et de protection (les bourgerons portant le sigle de la Société A..., les coiffes et les gants étant fourni par celle-ci) est sans incidence compte tenu de la simplicité de ce matériel, couramment utilisé en boucherie ;

qu’il est ainsi établi qu’à l’exception du désossage, les tâches confiées au personnel des entreprises sous-traitantes, dont la SAD, ne se distinguaient pas de celles auxquelles la SARL “A... Distribution” employait la majorité de son personnel ;

qu’en ce qui concerne le maintien de l’autorité du sous-traitant sur son personnel détaché, selon les déclarations de Mario Z..., ses employés étaient sous la responsabilité de leur collègue :

Yannick B..., ouvrier-désosseur ;

qu’il apparaît cependant que cette autorité était toute théorique ;

qu’en effet, à l’époque de la constatation des faits, les employés de la SAD n’étaient que quatre dans cet atelier dirigé par M.

Gadbois (cadre de la société A...), où travaillaient environ 70 personnes appartenant aussi pour un certain nombre (35) à un autre sous-traitant (Jude) et pour le reste à la société A... elle-même ;

que, dès lors, l’autorité déléguée à M. B..., simple ouvrier-désosseur, ne trouvait guère de domaine où s’exercer, étant ajouté qu’aux termes mêmes du contrat de sous-traitance (article 2), le respect des mesures concernant l’hygiène, essentielle dans cette branche, étaient également de la responsabilité des cadres de la société A... ;

que la société “SAD” n’exerçait donc, en réalité, aucun contrôle sur son personnel déplacé ;

que le préjudice en résultant pour le personnel des deux sociétés, qu’au moment des faits le nombre des salariés employés par la Société “Collet-Distribution” était de 49, donc très légèrement inférieur au seuil (50 salariés) à partir duquel l’employeur est tenu des obligations relatives à l’exercice du droit syndical et à l’institution d’un comité d’entreprise et d’un CHSCT ;

qu’en conséquence, l’utilisation du personnel de la société SAD par la société A... distribution tombe sous le coup de la prohibition de l’article L. 125-3 du Code du travail ;

”alors que, d’une part, le prêt de main-d’oeuvre est licite lorsque l’entreprise fournisseur de main-d’oeuvre doit accomplir du travail déterminé qui implique pour sa réalisation le prêt de personnel ;

qu’il appartient aux juges du fond saisis de poursuites contre un employeur, du chef d’opération à but exclusivement lucratif de fourniture de main-d’oeuvre, en violation des dispositions du Code du travail, de rechercher, par l’analyse des éléments de la cause, la véritable nature de la convention intervenue entre les parties ;

que, dans un chef péremptoire de ses conclusions d’appel, Mario Z... soulignait que la société SAD ne travaille que dans le cadre de contrats de sous-traitance et de manière spécifique ;

qu’elle est appelée, non pour fournir du personnel, mais pour exécuter un travail technique de désossage, parage et piéçage ;

que le personnel employé est composé d’anciens bouchers ou de personnes ayant un CAP de boucherie ;

que le travail exécuté suppose des compétences particulières dans les activités susvisées ; que la cour d’appel ne pouvait omettre de s’expliquer sur le contenu de ces conclusions propres à établir un prêt de main-d’oeuvre licite ;

”alors, d’autre part, qu’en ce qui concerne le mode de rémunération de l’entreprise prestataire de service, l’opération est licite toutes les fois que la rémunération de la prestation de service est faite de manière forfaitaire ;

qu’en l’espèce, il résulte des propres constatations de l’arrêt attaqué que le mode de rémunération des sous-traitants est bien fondé sur un tarif, préalablement déterminé, basé sur un prix au kilo de viande traitée, chaque morceau étant affecté d’un poids forfaitairement convenu ;

que ces constatations établissent l’existence d’un contrat de sous-traitance licite ;

que, pour en avoir autrement décidé, la cour d’appel n’a pas tiré de ses propres énonciations, les conséquences légales qui en découlaient nécessairement ;

”alors, en outre, que le contrat de sous-traitance licite suppose le maintien de l’autorité du sous-traitant sur son personnel détaché ;

qu’en l’espèce, le prévenu soulignait dans ses conclusions d’appel délaissées que lorsque la Société SAD n’avait qu’un ou deux employés au sein des établissements A..., l’étroite coordination dans l’exécution du travail pourrait éventuellement établir une subordination ;

qu’en revanche, dès lors que la Société SAD exerçait son activité en “tapis” complet, qu’elle disposait de son propre matériel, et d’un chef d’équipe s’occupant du “tapis” ou travaillent les salariés de la Société SAD, sous la responsabilité de Yannick B..., ouvrier désosseur, elle maintenait son autorité sur son personnel, de telle sorte qu’il n’y avait pas de prêt de main-d’oeuvre illicite ;

que c’est à tort et en violation des textes susvisés que la cour d’appel n’a pas répondu à ce chef péremptoire des conclusions du prévenu ;

”alors, enfin, que le délit visé à la prévention n’implique pas le préjudice causé au salarié ; qu’en tout état de cause, le demandeur précisait dans ses conclusions d’appel auxquelles la cour d’appel a omis de répondre, que le salaire perçu par les tacherons désosseurs au mois de juillet 1973, s’est élevé à 8 395 francs, somme largement au-dessus du salaire minimum ; que les contrats passés avec la société SAD sont pour la quasi totalité des contrats de travail à durée indéterminée, avec application d’une convention collective ;

que les salariés bénéficient d’une situation juridique et sociale qui est celle de tout salarié de l’entreprise utilisatrice” ;

Sur le deuxième moyen de cassation proposé en faveur de Jean A... et pris de la violation des articles L. 125-1, L. 1253, L. 152-2 et L. 152-3 du Code du travail et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Jean A... coupable de marchandage ;

”alors, d’une part, que le délit de prêt de main-d’oeuvre dans un but lucratif suppose la mise à disposition de moyens en personnel pour exécuter des travaux dépourvus de caractère spécifique ;

qu’il résulte des propres énonciations de l’arrêt attaqué que l’entreprise dirigée par Jean A... avait recours, dans le cadre de contrats de sous-traitance, à certaines entreprises pour exécuter la mission bien spécifique, et contractuellement définie, consistant à procéder au désossage, au carage et au conditionnement de carcasses de bovins prédécoupées par les salariées de la société Collet Distribution ;

qu’une telle tâche interdisait de considérer que les salariés qui s’y trouvaient affectés, auraient ainsi été placés dans le chantier au même titre que les propres salariés de l’entreprise de Jean A... dans le cadre d’une convention prohibée de fourniture de main-d’oeuvre, quand bien même des salariés de l’entreprise utilisatrice auraient également effectué certains des travaux confiés à l’entreprise sous-traitante ;

qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés ;

”alors, d’autre part, que l’entreprise sous-traitante n’était pas rémunérée en fonction du nombre d’heures de travail de ses salariés, mais en tenant compte du tonnage de viande traitée ;

que même si aucun tonnage minimum n’était garanti aux sous-traitants, une telle rémunération forfaitaire était exclusive du délit de marchandage retenu par l’arrêt attaqué ;

”alors, enfin, que le prêt de main-d’oeuvre à but lucratif, que seules peuvent légalement pratiquer les entreprises de travail temporaire, est réalisé par la mise à dispositon de l’entreprise utilisatrice, pour une durée déterminée, de salariés placés sous la seule autorité et responsabilité de l’entreprise utilisatrice ; que le fait, relevé par l’arrêt attaqué, que la société Collet Distribution ait décidé de l’affectation, des horaires de travail et des règles d’hygiène à respecter par les salariés de l’entreprise sous-traitante n’établit pas l’existence d’un lien de subordination caractérisant un prêt de main-d’oeuvre prohibé, la cour d’appel ayant par ailleurs constaté que les salariés de la Société SAD étaient placés sous la responsabilité de l’un de leurs collègues ;

qu’ainsi, la décision de condamnation n’est pas légalement justifié” ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que les moyens ne tendent qu’à remettre en discussion l’appréciation souveraine par les juges du fond des éléments de fait soumis au débat contradictoire, dont ils ont déduit que, sous le couvert de prétendus contrats de sous-traitance, Mario Z... se bornait à fournir à la société dirigée par Jean A..., en dehors des règles du travail temporaire, des salariés destinés à effectuer, en principe une tâche particulière, mais qui exécutaient en réalité, dans des conditions de travail identiques, les mêmes fonctions que les employés de l’entreprise utilisatrice, sous l’autorité de préposés de cette dernière, qui donnait son aval à l’embauchage du personnel prêté et assurait pour partie la formation de celui-ci ;

Que de tels moyens ne peuvent être accueillis ;

Sur le troisième moyen de cassation proposé en faveur de Jean A... et pris de la violation des articles des articles 112-1 nouveau du Code pénal, L.

125-3 et L. 152-3 du Code du travail, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a condamné Jean A... à une peine d’amende de 50 000 francs pour prêt de main-d’oeuvre à but lucratif hors du cadre légal du travail temporaire ;

”alors que l’infraction de prêt de main-d’oeuvre illicite définie par l’article L. 125-3 du Code du travail est une infraction instantanée indépendamment de la permanence de ses effets qui s’accomplit dès la conclusion de l’opération ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’oeuvre ;

que n’est pas applicable à une telle infraction, la loi nouvelle plus sévère promulguée après la réunion des éléments constitutifs du délit, même si les conséquences de l’acte se perpétuent dans le temps après son entrée en vigueur ; que, dès lors, les faits de prêt de main-d’oeuvre illicite visés par la prévention qui auraient été commis du 1er octobre 1989 au 1er octobre 1992 ne pouvaient être sanctionnés sur le fondement de l’article L. 1523 du Code du travail en sa rédaction issue de la loi du 31 décembre 1991 prévoyant une peine d’amende maximum de 200 000 francs, cette loi étant inapplicable à une infraction consommée avant son entrée en vigueur, et ne pouvaient donc être poursuivis que sur le fondement des dispositions de l’article L. 152-2 ancien du Code du travail, en sa rédaction issue de l’ordonnance du 5 février 1982, qui prévoyaient une peine maximale de 20 000 francs d’amende ;

qu’en raison de l’indivisibilité existant entre la déclaration de culpabilité de la peine, l’annulation doit s’étendre à toutes les dispositions de l’arrêt” ;

Attendu que le demandeur fait vainement grief à la cour d’appel de l’avoir condamné à une amende de 50 000 francs, en application de l’article L. 152-3 du Code du travail, dans sa rédaction issue de la loi du 31 décembre 1991, dès lors que la peine prononcée est justifiée par la déclaration de culpabilité relative à ceux des faits visés à la prévention commis après l’entrée en vigueur de la loi précitée ;

Que, dès lors, le moyen ne saurait être admis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Où étaient présents : M. Le Gunehec président, Mme Batut conseiller rapporteur, MM. Milleville, Guerder, Pinsseau, Joly, Pibouleau, Mme Simon conseillers de la chambre, Mme Fossaert-Sabatier conseiller référendaire, M. Galand avocat général, Mme Ely greffier de chambre ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : cour d’appel de Rennes, 3ème chambre du 8 septembre 1994