Complicité travail dissimulé par fausse PSI

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 30 mars 2016

N° de pourvoi : 14-84644

ECLI:FR:CCASS:2016:CR00964

Non publié au bulletin

Cassation partielle

M. Guérin (président), président

SCP Spinosi et Sureau, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :

"-" M. Olivier X...,

contre l’arrêt de la cour d’appel de BASTIA, chambre correctionnelle, en date du 4 juin 2014, qui, pour complicité de travail dissimulé, l’a condamné à un an d’emprisonnement avec sursis et 10 000 euros d’amende ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 9 février 2016 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Ricard, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Guichard ;
Sur le rapport de M. le conseiller RICARD, les observations de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, avocat en la Cour, et les conclusion de M. l’avocat général LAGAUCHE ;
Vu le mémoire produit ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt et des pièces de procédure que des fonctionnaires de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi ont, à l’issue d’un contrôle de l’exploitation agricole GAEC de l’Astratella et de l’hôtel U Marinaru, constaté que ces entreprises avaient recours aux services d’une entreprise prestataire internationale SCMCO SRL, dont le siège était situé en Roumanie, laquelle avait déclaré cent quarante-deux détachements sur trois années successives ; qu’ils ont estimé que la société SCMCO SRL a exercé illégalement son activité sur le territoire français sous couvert d’une fausse prestation de services ; que selon l’inspection du travail de la Roumanie, les conditions d’intervention de la société SCMCO SRL en France n’ont pas respecté les dispositions réglementaires applicables en matière de prestations de services internationales, l’activité de cette société prenant place exclusivement en France ; que des investigations ont révélé qu’actionnaire de ladite société qu’il avait créée, M. X... a agi pour que son père, dirigeant une entreprise, puisse disposer de personnels motivés et qu’en outre, il a conseillé le choix de cette société aux employeurs à la recherche de collaborateurs ; que poursuivi pour complicité d’exécution de travail dissimulé, il a été condamné par un jugement dont il a, avec le procureur de la République, régulièrement formé appel ;
En cet état :
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, L. 1261-1, L. 1261-3, L. 1262-2, L. 1262-4, L. 8224-1, L. 8221-1, alinéa 1er, L. 8221-3, L. 8221-4, L. 8221-5, L. 8224-3, L. 8224-4 du code du travail, 121-6 et 121-7 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
” en ce que la cour d’appel a confirmé le jugement tant sur la déclaration de culpabilité que sur la peine ;
” aux motifs qu’à l’issue des débats, les faits demeurent tels qu’appréciés par les premiers juges ; qu’il est en effet reproché aux prévenus d’avoir été complices du délit de travail dissimulé commis par la société SCMCO SRL ; qu’il résulte de l’enquête et, notamment, de l’avis du contrôleur du travail en date du 27 janvier 2012 que cette société ne remplissait pas les conditions relatives aux entreprises détachant temporairement des salariés sur le territoire national, conformément aux dispositions de l’article L. 1262-4 du code du travail ; qu’elle n’exerçait aucune activité en Roumanie et ne respectait pas, notamment, les dispositions relatives au salaire minimum applicables en France, ainsi qu’il est ressorti de l’enquête auprès des salariés détachés au GAEC de l’Astratella ou à l’hôtel U San Marinaru ; qu’il est aussi apparu que les salariés ne réalisaient pas de tâches spécifiques prévues en matière de prescription de services internationale ; que, dès lors, il apparaît que les activités de cette société, lesquelles n’entrent pas dans le cadre juridique du détachement transnational, sont des activités de travail dissimulé par dissimulation d’activité et dissimulation d’emploi salarié ; que M. X... soutient qu’il ne peut être poursuivi pour complicité de travail dissimulé faute d’avoir eu une participation active à l’emploi des salariés roumains (accueil, logement, suivi) ; que toutefois, il est comme Mme Claudia Y..., son ex-compagne et soeur du gérant M. Sandu Z..., associé actionnaire de cette société, et a déclaré comment il avait constitué la société pour faciliter le recrutement de la main d’oeuvre pour l’hôtel géré par son père M. Pierre X... ; qu’il a reconnu implicitement s’être impliqué personnellement dans l’activité de cette société, allant même avec un avocat « vérifier la situation de l’entreprise », et Mme Y... a précisé à son sujet qu’il faisait de la publicité pour la société auprès de ses confrères de l’hôtellerie ; qu’il a expliqué, en outre que « Claudie récupérait les salariés au bateau, les portait sur les lieux d’emploi, vérifiait l’accomplissement des prestations et ramenait les salariés au bateau » ; que dès lors, l’élément intentionnel est caractérisé ;
” 1°) alors que la cour d’appel s’est abstenue de motiver sa décision au regard de l’articulation essentielle des conclusions qui faisaient valoir que les travailleurs détachés dans le cadre d’une prestation de service entrent dans le champ l’article 56 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne qui consacre le principe de liberté de prestations de services au sein de l’Union européenne, de sorte qu’ils ne sont pas soumis aux dispositions nationales de l’Etat membre dans lequel ils sont détachés ; qu’en s’abstenant d’examiner les faits reprochés à M. X... à la lumière du droit de l’Union européenne, ainsi qu’elle y était invitée, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision ;
” 2°) alors qu’une entreprise établie hors du territoire national peut régulièrement détacher des salariés auprès d’une entreprise utilisatrice établie sur le territoire national à la double condition qu’il existe un contrat de travail entre l’entreprise étrangère et le salarié et que leur relation de travail subsiste pendant la période de détachement ; que dans ces conditions, cette entreprise n’est pas soumise aux différentes déclarations visées à l’article L. 8221-5 du code du travail qui incrimine le travail dissimulé, mais se voit soumise à certaines obligations limitativement énumérées à l’article L. 1262-4 du même code ; qu’en l’espèce, la cour d’appel ne pouvait entrer en voie de condamnation du chef de travail dissimulé en se bornant à constater que la société SCMCO SRL ne respectait pas les prévisions de l’article L. 1262-4 ; qu’en cet état, elle n’a pas caractérisé l’infraction principale pour laquelle M. X... a été condamné en qualité de complice ;
” 3°) alors que, ne peut se rendre complice d’une infraction que celui qui a, par aide ou assistance, facilité sa préparation ou sa consommation ; que les juges du fond sont tenus de caractériser ces actes pour entrer en voie de condamnation ; que la complicité de travail dissimulé commis par une société ne saurait se déduire de la seule qualité d’actionnaire et des actes réalisés en cette qualité ; qu’en relevant, pour caractériser l’élément matériel de l’infraction, que le demandeur est un actionnaire de la société SCMCO SRL, qu’il a vérifié la situation de l’entreprise et qu’il a fait de la publicité pour cette société, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision “ ;
Attendu que, pour confirmer le jugement entrepris sur la déclaration de culpabilité, l’arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu’en l’état de ces énonciations, et dès lors qu’elle a relevé que les activités de la société SCMCO SRL n’entrent pas dans le cadre juridique du détachement de travailleurs au sein de l’Union européenne, répondant ainsi, implicitement mais nécessairement, aux conclusions du demandeur, la cour d’appel a justifié sa décision sans méconnaître aucune des dispositions de droit interne et européen invoquées ;
D’où il suit que, revenant, en sa troisième branche, à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, le moyen ne saurait être accueilli ;
Mais sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 485, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
” en ce qu’il résulte du dispositif de l’arrêt confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré ; que vu l’article 132-31, alinéa 1, du code pénal, dit qu’il sera sursis totalement à l’exécution de cette peine dans les conditions prévues par ces articles ;
” alors que la contradiction entre les termes du dispositif d’un arrêt équivaut à un défaut de motif ; qu’en l’espèce, en première instance, M. X... a été condamné à une peine d’emprisonnement d’un an assorti du sursis ainsi qu’à une peine d’amende de 10 000 euros ; que la cour d’appel ne pouvait, dès lors, dans son dispositif, confirmer le jugement sur la peine tout en indiquant « qu’il sera sursis totalement à l’exécution de cette peine dans les conditions prévues par ces articles », ce qui laisse entendre que la peine d’amende est également assortie du sursis “ ;
Vu l’article 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que doivent être déclarés nuls les jugements ou arrêts dont le dispositif contient des énonciations contradictoires ;
Attendu que la cour d’appel ne pouvait, sans contradiction, après avoir confirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions, dire qu’il sera sursis totalement à l’exécution de cette peine alors que le tribunal avait condamné le prévenu à un an d’emprisonnement et à 10 000 euros d’amende et ordonné le sursis uniquement pour la première de ces deux peines ;
Mais attendu qu’en statuant ainsi, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision ;
D’où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; qu’elle sera limitée à la peine, dès lors que la déclaration de culpabilité n’encourt pas la censure ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en ses seules dispositions relatives au prononcé de la peine, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Bastia, en date du 4 juin 2014, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Bastia, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Bastia et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le trente mars deux mille seize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

Décision attaquée : Cour d’appel de Bastia , du 4 juin 2014