Chantier du bâtiment

COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE LYON

N° 12LY24256

Inédit au recueil Lebon

6ème chambre - formation à 3

M. CLOT, président

M. Philippe SEILLET, rapporteur

Mme VIGIER-CARRIERE, rapporteur public

SOCIETE D’AVOCATS BLANC - TARDIVEL, avocat(s)

lecture du jeudi 20 février 2014

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 2 novembre 2012 au greffe de la Cour administrative d’appel de Marseille, présentée pour M. A...B..., domicilié ... ;

M. B... demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1101164 du 4 octobre 2012 par lequel le Tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant, d’une part, à l’annulation de la décision du 26 octobre 2010 par laquelle le directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration a mis à sa charge la contribution spéciale prévue à l’article L. 8253-1 du code du travail et du titre exécutoire d’un montant de 6 620 euros émis le même jour pour en assurer le recouvrement et, d’autre part, à la décharge de cette contribution ;

2°) d’annuler les décisions susmentionnées et de prononcer la décharge de la contribution spéciale ;

3°) de mettre à la charge de l’Office français de l’immigration et de l’intégration la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de le condamner aux dépens ;

Il soutient que :

"-" c’est à tort que les premiers juges ont considéré qu’il avait la qualité d’employeur des étrangers en situation irrégulière, dès lors que leur employeur était M. C...avec lequel il avait contracté, dont il pensait qu’il effectuerait lui-même les travaux confiés, en ignorant la présence sur le chantier de ces personnes embauchées par son cocontractant ; il a été poursuivi en tant que cocontractant de M. C...et non en tant qu’employeur de personnes en situation irrégulière ;

"-" c’est également à tort que le Tribunal a retenu sa qualité de professionnel pour rejeter sa contestation du refus de l’administration de modérer le montant de la contribution, alors qu’il n’est pas un employeur professionnel ; l’administration a donc commis une erreur d’appréciation en fixant la contribution spéciale à son maximum pour les deux étrangers ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire, enregistré le 5 avril 2013, présenté pour l’Office français de l’immigration et de l’intégration, qui conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 800 euros soit mise à la charge de M. B... au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que :

"-" M. B... qui, en qualité de propriétaire de sa villa et de commanditaire des travaux, est seul responsable de l’exécution de ces travaux et du personnel assigné aux tâches, n’a pas été en mesure de justifier des vérifications et des documents légaux requis en sa qualité d’employeur ni de justifier du lien de sous-traitance avec M.C..., lequel n’était pas immatriculé à la chambre des métiers en tant qu’artisan à la date de la constatation des faits et n’avait donc pas qualité juridique pour embaucher les ressortissants étrangers brésiliens en situation irrégulière ; M. B... est ainsi juridiquement l’employeur direct des deux ressortissants étrangers en situation irrégulière, qu’il les ait directement engagés ou non, et alors même qu’il n’aurait pas été au courant de leur participation à la réalisation de l’ouvrage et ne les aurait jamais vu travailler ;

"-" la prétendue bonne foi ou l’absence d’élément intentionnel est inopérante devant le juge administratif et la qualification juridique retenue par le juge répressif ne s’impose pas au juge administratif qui doit procéder à la qualification des mêmes faits au regard de règles différentes, en raison de l’autonomie du droit administratif ; la circonstance que M. C...a été condamné pour l’emploi d’étrangers démunis de titre de travail régulier n’est pas opposable à M. B... qui ne peut se voir exonéré de la sanction par le simple fait que M. C... a été jugé coupable ;

"-" il appartenait à M. B... de s’assurer que son cocontractant s’était acquitté des formalités mentionnées dans le cas d’un contrat conclu par un particulier pour son usage personnel, conformément aux dispositions de l’article L. 8222-1 du code du travail ;

"-" M. B... ne pouvait ignorer que M. C...n’avait pas juridiquement la qualité d’artisan pour ne pas être immatriculé au répertoire des métiers et alors qu’il a reconnu qu’aucun devis n’avait été préalablement établi permettant de justifier du contrat d’exécution de travail accepté par les parties ;

"-" l’Office était lié par la décision de la direction départementale du travail et de l’emploi concernant le taux de la contribution, dès lors que celle-ci n’a pas décidé de réduire le taux mais, au contraire, de le maintenir à 1 000 fois le taux horaire du minimum garanti ; M. B... n’est pas fondé à demander la diminution du montant de la contribution spéciale mise à sa charge ;

Vu l’ordonnance n° 372825 du 18 novembre 2013 par laquelle le président de la section du contentieux du Conseil d’Etat a attribué le jugement de la requête à la Cour administrative d’appel de Lyon ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

Vu le code du travail ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 30 janvier 2014 :

"-" le rapport de M. Seillet, président-assesseur ;

"-" et les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public ;

1. Considérant que, lors d’un contrôle effectué par les services de la gendarmerie nationale et de l’inspection du travail, le 3 juin 2009, sur le chantier de construction d’une villa dans un lotissement situé quartier Mayac à Uzès, a été constatée la présence sur ce chantier de deux travailleurs étrangers, de nationalité brésilienne, occupés à la pose de voliges sur le toit de la maison en construction de M. B..., alors qu’ils étaient dépourvus d’autorisation de travail, et qui avaient été recrutés par M.C..., auquel M. B... avait confié cette tâche en contrepartie d’une somme forfaitaire de 400 euros ; qu’indépendamment des poursuites pénales qui ont été engagées à l’encontre de M. B... pour avoir eu recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé, sans requérir son immatriculation au répertoire des métiers, et qui ont donné lieu à un jugement du Tribunal correctionnel de Nîmes du 15 avril 2011, puis à un arrêt de la Cour d’appel de Nîmes du 7 septembre 2012, l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) a, en application de l’article L. 8253-1 du code du travail, réclamé à M. B..., par un titre exécutoire du 26 octobre 2010, une somme de 6 620 euros correspondant au montant de la contribution spéciale due pour l’emploi de deux étrangers non munis d’un titre les autorisant à exercer une activité salariée en France ; que, par un jugement du 4 octobre 2012 dont M. B... relève appel, le Tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant, d’une part, à l’annulation de ladite décision du 26 octobre 2010 du directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration mettant à sa charge la contribution spéciale prévue à l’article L. 8253-1 du code du travail et du titre exécutoire d’un montant de 6 620 euros émis le même jour pour en assurer le recouvrement et, d’autre part, à la décharge de cette contribution ;

2. Considérant qu’aux termes de l’article L. 8251-1 du code du travail : “ Nul ne peut, directement ou par personne interposée, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France “ ; qu’aux termes de l’article L. 8253-1 du même code, dans sa rédaction applicable aux faits de l’espèce : “ Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l’employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l’article L. 8251-1 acquitte une contribution spéciale au bénéfice de l’Office français de l’immigration et de l’intégration ou de l’établissement public appelé à lui succéder. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat et est au moins égal à 1 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l’article L. 3231-12 et, en cas de réitération, à 5 000 fois ce même taux “ ; qu’en vertu de l’article R. 8253-8 du code du travail, dans sa version en vigueur à la date de l’infraction, le montant de la contribution spéciale est égal à mille fois le taux horaire, à la date de la constatation de l’infraction, du minimum garanti prévu à l’article L. 3231-12 ; qu’aux termes de l’article R. 8253-11 du code du travail, dans sa version applicable en l’espèce : “ Lorsque l’emploi de l’étranger n’a pas donné lieu à la constatation d’une infraction autre que l’infraction prévue au premier alinéa de l’article L. 8251-1, le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration peut, sur proposition du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi du département dans lequel l’infraction a été constatée, réduire le montant de la contribution spéciale à cinq cents fois le taux horaire du minimum garanti. “ ;

3. Considérant qu’il appartient au juge administratif, saisi d’un recours contre une décision mettant à la charge d’un employeur la contribution spéciale prévue par les dispositions précitées de l’article L. 8253-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, pour avoir méconnu les dispositions de l’article L. 8251-1 du code du travail, de vérifier la matérialité des faits reprochés à l’employeur et leur qualification juridique au regard de ces dispositions ; qu’il lui appartient également de décider, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l’administration, soit de maintenir la sanction prononcée, soit d’en diminuer le montant jusqu’au minimum prévu par les dispositions applicables au litige, soit d’en décharger l’employeur ;

4. Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de l’instruction, et notamment du procès-verbal dressé à la suite du contrôle effectué le 3 juin 2009 et des déclarations faites auprès des services de contrôle par M. B... et par M. C...lors de la procédure, que les ressortissants brésiliens qui travaillaient sur le chantier de construction du logement de M. B... ne disposaient d’aucun matériel propre mis à leur disposition par M. C... ; qu’aucun contrat de “ sous-traitance “ n’avait été conclu entre M. B... et ce dernier, auquel la mission de procéder à la pose de voliges avait été confiée sans devis préalable et pour un prix forfaitaire, et dont l’intervention se limitait sur ce point à la mise à disposition de M. B... de la main d’oeuvre que M. C...avait recrutée ; que si M. B... n’a versé directement aucune rémunération aux deux travailleurs ainsi recrutés, en échange du travail accompli par ces personnes, le prix forfaitaire versé à M. C...incluait nécessairement la rémunération des travaux fournis par les travailleurs en situation irrégulière, dont M. B..., qui avait indiqué avoir été informé de ce que M. C...disposait d’ouvriers pour accomplir sa tâche, ne pouvait ignorer, en sa qualité de professionnel du bâtiment, la nécessaire intervention pour l’accomplissement de la mission qu’il avait confiée à son cocontractant ; qu’ainsi, nonobstant la circonstance que, à la différence de M.C..., il n’a fait l’objet d’aucune poursuite pénale pour “ emploi d’un étranger non muni d’une autorisation de travail salarié “, les travailleurs en situation irrégulière devaient être regardés comme se trouvant, en réalité, dans un lien de subordination vis-à-vis de M. B..., auquel pouvaient, par suite, être imputés les faits d’emploi d’un travailleur étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France, dès lors qu’il lui incombait, en vertu des dispositions précitées de l’article L. 8251-1 du code du travail, de s’assurer auprès des administrations concernées de la régularité de la situation de ces employés ; que, par voie de conséquence, l’Office français de l’immigration et de l’intégration était fondé à mettre à la charge de M. B... la contribution spéciale prévue à l’article L. 8253-1 précité du code du travail ;

5. Considérant, en second lieu, que si M. B... demande, à titre subsidiaire, que le montant de la contribution spéciale soit réduit à cinq cents fois le taux horaire du minimum garanti, faculté prévue par les dispositions précitées de l’article R. 8253-11 du code du travail et qui peut être mise en oeuvre par l’Office lorsque l’emploi de l’étranger n’a pas donné lieu à la constatation d’une infraction autre que l’infraction prévue au premier alinéa de l’article L. 8251-1 précité, il résulte de l’instruction que M. B... a employé deux salariés étrangers dépourvus d’autorisation de travail, alors qu’en sa qualité de professionnel du bâtiment, résultant de l’exercice de la profession de maçon depuis de nombreuses années, il ne pouvait ignorer que M. C..., dont les documents qu’il avait fournis au requérant démontraient l’absence d’enregistrement au répertoire des métiers, aurait nécessairement recours à des employés ; que, dans ces conditions, la demande de M. B..., qui a, au demeurant, ainsi qu’il a été mentionné au point 1, été condamné pénalement pour avoir eu recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé, tendant à ce que le taux de mille fois le taux horaire minimum garanti, qui n’est pas, en l’espèce, exagéré, soit ramené à cinq cents fois, doit être rejetée ;

6. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. B... n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande ; que doivent être rejetées, par voie de conséquence, les conclusions de sa requête tendant au bénéfice des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

7. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de M. B... la somme de 700 euros au titre des frais exposés à l’occasion de la présente instance par l’Office français de l’immigration et de l’intégration et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : M. B... versera la somme de 700 euros à l’Office français de l’immigration et de l’intégration au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B...et à l’Office français de l’immigration et de l’intégration.

Délibéré après l’audience du 30 janvier 2014 à laquelle siégeaient :

M. Clot, président de chambre,

M. Seillet, président-assesseur,

M. Segado, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 20 février 2014.

’’

’’

’’

’’

1

4

N° 12LY24256

Abstrats : 335-06-02-02 Étrangers. Emploi des étrangers. Mesures individuelles. Contribution spéciale due à raison de l’emploi irrégulier d’un travailleur étranger.