Chantier du bâtiment

COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE LYON

N° 09LY02831

Inédit au recueil Lebon

2ème chambre - formation à 3

M. CHANEL, président

M. Juan SEGADO, rapporteur

Mme JOURDAN, rapporteur public

LAURENT, avocat(s)

lecture du mardi 28 juin 2011

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 14 décembre 2009, présentée pour la société ROCHETON, dont le siège est au 53 rue du Pont Noir à Saint Egrève (38120) ;

La société ROCHETON demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 0602084 du 30 octobre 2009 par lequel le Tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant, d’une part, à la condamnation de l’Office des migrations internationales à lui restituer la somme de 11 800 euros, outre intérêts au taux légal capitalisés à compter du 6 janvier 2006, qu’elle a versée à raison d’un titre exécutoire émis le 15 avril 2004 mettant à sa charge la contribution prévue à l’article L. 341-7 du code du travail et, d’autre part, à ce que l’état exécutoire du 8 septembre 2004 mettant à sa charge la majoration de 10% prévue à l’article R. 341-35 dudit code, soit privé d’effet en tant que de besoin ;

2°) de condamner de l’Office des migrations internationales à lui restituer ladite somme de 11 800 euros, outre intérêts au taux légal capitalisés à compter du 6 janvier 2006, et d’annuler l’état exécutoire du 8 septembre 2004 ;

3°) de condamner l’Etat à lui verser une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

La société ROCHETON soutient qu’elle n’a pas commis l’infraction d’emploi de travailleurs en situation irrégulière dès lors qu’elle n’a pas été poursuivie devant le Tribunal correctionnel pour ces faits ; que les services de l’Office des migrations internationales lui ont ainsi infligé la contribution spéciale de façon prématurée ; que l’infraction n’est pas ainsi constituée et c’est à tort que l’Office des migrations internationales lui a appliqué la contribution spéciale prévue aux articles R. 341-34 et R. 341-35 ainsi que la majoration d’un montant de 1 880 euros ; que la somme de 11 800 euros qu’elle a indûment versée doit lui être restituée ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu enregistré le 14 septembre 2010, le mémoire en défense présenté pour l’Office français de l’immigration et de l’intégration, qui conclut au rejet de la requête et demande de condamner la société ROCHETON à lui verser une somme de 2 800 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

"-" l’Office français de l’immigration et de l’intégration vient aux droits et actions de l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations laquelle venait elle-même aux droits et obligations de l’Office des migrations ;

"-" la demande devant le Tribunal était irrecevable dès lors qu’elle était tardive ;

"-" c’est à bon droit que la contribution a été mise à la charge de la société requérante compte tenu du lien de subordination juridique et économique des quatre salariés de la société Zargos à la SARL Rocheton laquelle apparaissait être l’employeur direct ;

"-" la contribution pouvait en outre être mise à sa charge en application de l’article R. 341-34 du code du travail dès lors qu’elle n’a pas rempli ses obligations prévues à l’article L. 341-6-4, devenu L. 8254-1 du code du travail ;

"-" la bonne foi et l’absence de caractère intentionnel ne peuvent être utilement invoquées que devant la juridiction répressive ;

"-" la contribution spéciale peut intervenir, en vertu de l’article L. 341-7, qu’il y ait eu ou non poursuite pénale et quelle qu’en soit son issue ;

"-" le titre exécutoire du 15 avril 2004 est ainsi régulier et suffisamment motivé, les sommes payées par la société en exécution de ce titre devant être conservées par l’office ; c’est à bon droit qu’elle a notifié cet état exécutoire ainsi que la majoration du 8 septembre 2004 qui pouvait être mise à la charge de la société en l’absence de paiement de la contribution spéciale dans les délais prévus ;

Vu le mémoire enregistré le 19 octobre 2010 présenté pour la société ROCHETON, qui conclut aux mêmes fins que précédemment sauf à ce que l’Office français de l’immigration et de l’intégration soit désormais condamné à lui verser une somme de 2 800 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

La société ROCHETON soutient en outre que :

"-" elle ne peut se voir opposer l’expiration des délais de recours liés à l’état exécutoire dès lors que sa demande est fondée sur la répétition de l’indu à raison du jugement rendu par le Tribunal correctionnel de Grenoble du 20 octobre 2005 et que la prescription prévue par l’article 1er de la loi du 31 décembre 1968 n’était pas acquise compte tenu de la date de paiement de la contribution qui était en février 2005 ;

"-" l’administration ne pouvait lui reprocher l’emploi direct d’étrangers en situation irrégulière qui constitue une infraction à l’article L. 341-6 du code du travail, dès lors qu’elle n’a pas été poursuivie devant le Tribunal correctionnel pour ce grief, que les poursuites engagées par l’administration doivent s’appuyer sur une infraction sur laquelle la juridiction pénale est ensuite amenée à se prononcer et que la juridiction pénale n’a pas été ainsi amenée à se prononcer sur l’infraction retenue par l’administration ;

"-" l’administration n’établit pas l’élément intentionnel dans l’infraction de travail dissimulé et elle n’a jamais eu l’intention de dissimuler quoi que ce soit ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code pénal ;

Vu le code du travail ;

Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 7 juin 2011 :

"-" le rapport de M. Segado, premier conseiller ;

"-" et les conclusions de Mme Jourdan, rapporteur public ;

Considérant que la société ROCHETON relève appel du jugement du 30 octobre 2009 par lequel le Tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant, d’une part, à la condamnation de l’Office des migrations internationales à lui restituer la somme de 11 800 euros, outre intérêts au taux légal capitalisés à compter du 6 janvier 2006, qu’elle a versée à raison d’un titre exécutoire émis le 15 avril 2004 mettant à sa charge la contribution prévue à l’article L. 341-7 du code du travail et, d’autre part, à ce que l’état exécutoire du 8 septembre 2004 mettant à sa charge la majoration de 10% prévue à l’article R. 341-35 dudit code, soit privé d’effet en tant que de besoin ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner la fin de non-recevoir opposée à la demande présentée devant le Tribunal :

Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 341-6 du code du travail alors en vigueur : Nul ne peut, directement ou par personne interposée, engager, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France. (...) ; qu’aux termes de l’article L. 341-7 dudit code alors en vigueur dont il convient de faire application dès lors que les dispositions aujourd’hui applicables prévoient des sanctions qui ne sont pas moins sévères : Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être intentées à son encontre, l’employeur qui aura occupé un travailleur étranger en violation des dispositions de l’article L. 341-6, premier alinéa, sera tenu d’acquitter une contribution spéciale au bénéfice de l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations. Le montant de cette contribution spéciale ne saurait être inférieur à 500 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l’article L. 141-8 ; qu’il résulte des dispositions de l’article R. 341-35 du code du travail alors en vigueur, désormais reprises aux articles R. 8253-1 et R. 8253-14 , que la contribution spéciale créée par l’article L. 341-7 est due pour chaque étranger employé en infraction au premier alinéa de l’article L. 341-6 et qu’une majoration de 10% est ajoutée au montant de la contribution spéciale due par l’employeur lorsque celui-ci n’a pas acquitté cette contribution dans les deux mois suivant la date de notification du titre de recouvrement ;

Considérant, en premier lieu, que la société ROCHETON se prévaut des circonstances tirées de l’absence de poursuites pénales engagées à son encontre pour infraction à l’article L. 341-6 du code du travail et de ce que le Tribunal correctionnel de Lyon, dans son jugement du 20 octobre 2005, puis la Cour d’appel de Lyon, dans son arrêt du 13 juin 2007, n’ont pas eu à se prononcer sur une telle infraction ; que toutefois, et contrairement à ce qu’allègue la société requérante, ces circonstances ne faisaient pas, par elles-mêmes, obstacle à ce que les faits incriminés, qui ne sont pas contredits par le juge pénal, puissent servir de fondement, dans la mesure où ils sont établis, à l’application, par l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et migrations, de la contribution spéciale prévue par les articles L. 341-6 et L. 341-7 du code du travail dont la mise en oeuvre échappe aux autorités judiciaires ;

Considérant, en deuxième lieu, qu’il résulte de l’instruction, et notamment du procès-verbal d’infraction établi par l’inspecteur du travail du Rhône et qui fait foi jusqu’à preuve du contraire, qu’à la suite d’un contrôle effectué le 18 février 2003 sur le chantier SNC Masse à Lyon 2ème, l’inspectrice du travail et le contrôleur du travail du département du Rhône ont constaté la présence de quatre ressortissants turcs dépourvus de titre de travail effectuant des travaux de carrelage sur ce chantier ; que ces travaux correspondaient au lot carrelage et faïence qui avait été attribué à la société ROCHETON ; que la société requérante soutient que ces quatre travailleurs n’étaient pas ses employés mais ceux d’un sous-traitant, l’entreprise Zargos, et fait valoir que le maître d’ouvrage avait été informé de cette sous-traitance ; que toutefois, alors que le contrat de sous-traitance n’a pas été signé par l’entreprise Zargos, que la sous-traitance n’était pas signalée sur le chantier et que les factures étaient établies en fonction des prix communiqués au mètre carré par la société ROCHETON, il résulte de l’instruction, et notamment du procès-verbal de l’inspecteur du travail, que le matériel et les matériaux utilisés étaient fournis par la société ROCHETON, que cette dernière assurait seule l’encadrement et le planning du chantier et le suivi des travaux exécutés, que ces quatre salariés exécutaient ces travaux de carrelage sous les uniques directives et la seule autorité de la société requérante laquelle était seule présente aux réunions de chantier sans que l’entreprise Zargos y eût été associée ; que ces faits ne sont pas contredits par le juge pénal ; que, dans ces conditions, il existait un lien de subordination entre ces quatre travailleurs dépourvus de titre de travail et la société ROCHETON ; qu’alors qu’il appartenait à la société requérante de vérifier la régularité de la situation des employés dont il s’agit au regard de la réglementation en vigueur en matière d’emploi de salariés étrangers sur le territoire français, les faits ainsi constatés constituaient des infractions à l’article L. 341-6 précité et justifiaient, à supposer même que cette infraction pût être regardée comme dépourvue de caractère intentionnel, l’application, à l’encontre de la société requérante, de la contribution spéciale visée à l’article L. 341-7 ; qu’il s’ensuit que c’est par une exacte application des dispositions précitées du code du travail que l’Office des migrations internationales a, par un état exécutoire en date du 15 avril 2004, mis cette contribution à la charge de la société requérante, qui ne saurait ainsi demander la restitution de la somme de 11 800 euros, outre intérêts au taux légal capitalisés, à compter du 6 janvier 2006, qu’elle a versée en exécution de ce titre exécutoire ;

Considérant, en dernier lieu, qu’il résulte de l’instruction et il n’est pas contesté, que l’Office des migrations internationales a constaté que l’intéressée ne s’était pas acquittée de cette contribution dans les délais impartis par l’article R. 341-35 ; qu’elle a mis à sa charge, par un titre exécutoire en date du 8 septembre 2004, la majoration de 10% prévue par cet article ; que, par suite, et alors que, comme il a été dit ci-dessus, les faits incriminés ayant servi de fondement à la contribution doivent être regardés comme établis et justifiant l’application de la contribution prévue à l’article L. 341-7, que le titre exécutoire en date du 15 avril 2004 n’est pas entaché d’irrégularité et n’a pas été annulé, et que la société requérante ne se prévaut d’aucun autre moyen spécifique à l’encontre de l’état exécutoire du 8 septembre 2004, les conclusions tendant à la remise de cette majoration de 10% doivent être rejetées ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la société ROCHETON n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant, en premier lieu, que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Office français de l’immigration et de l’intégration venant aux droits et actions de l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations laquelle venait elle-même aux droits et obligations de l’Office des migrations internationales, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la société ROCHETON demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

Considérant, en second lieu, qu’il y a lieu de mettre à la charge de la société ROCHETON une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par l’Office français de l’immigration et de l’intégration dans l’instance et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société ROCHETON est rejetée.

Article 2 : La société ROCHETON versera à l’Office français de l’immigration et de l’intégration une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société ROCHETON, à l’Office français de l’immigration et de l’intégration et au ministre du travail, de l’emploi et de la santé.

Délibéré après l’audience du 7 juin 2011, où siégeaient :

M. Chanel, président de chambre,

MM. Pourny et Segado, premiers conseillers,

Lu en audience publique, le 28 juin 2011.

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N° 09LY02831

Abstrats : 335-06-02-02 Étrangers. Emploi des étrangers. Mesures individuelles. Contribution spéciale due à raison de l’emploi irrégulier d’un travailleur étranger.