Cumul oui

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 7 juin 2016

N° de pourvoi : 15-82011

ECLI:FR:CCASS:2016:CR02424

Non publié au bulletin

Rejet

M. Guérin (président), président

SCP Didier et Pinet, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :

"-" M. Philippe Y...,

contre l’arrêt de la cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE, 7e chambre, en date du 9 février 2015, qui, pour prêt illicite de main d’oeuvre, l’a condamné à 10 000 euros d’amende ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 12 avril 2016 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Larmanjat, conseiller rapporteur, M. Finidori, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Bétron ;
Sur le rapport de M. le conseiller LARMANJAT, les observations de la société civile professionnelle DIDIER et PINET, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général DESPORTES ;
Vu le mémoire produit ;
Attendu que M. Y... a été poursuivi des chefs de travail dissimulé et prêt illicite de main d’oeuvre pour avoir employé, sous couvert d’un contrat de fausse sous-traitance conclu entre la société Hiram, dont il était le dirigeant, et l’entreprise Best construction, dix salariés dont il était devenu ainsi le véritable employeur ; que la cour d’appel a annulé le jugement et évoqué ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 388, 390-1, 551, 565, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
” en ce que l’arrêt attaqué a rejeté l’exception de nullité de la convocation par officier de police judiciaire de M. Y... devant le tribunal correctionnel ;
” aux motifs que M. Y... a été convoqué, conformément au mandement de citation comme étant le gérant de droit de la société Hiram, employeur de fait de divers salariés de la cause pour travail dissimulé et comme était employeur de fait (Best construction) dans le cadre du prêt de main d’oeuvre ; que les qualités pour lesquelles il a été poursuivi ne sont pas incohérentes, et que si erreur il y a éventuellement eu sur sa qualité de gérant de droit de la société Hiram, il a eu tout loisir de s’en expliquer, car cela constitue son argumentation essentielle dans le cadre de sa défense ; que cette erreur éventuelle ne fait donc pas grief, et qu’il y a lieu de rejeter l’exception de nullité soulevée par lui ;
” alors que selon les articles préliminaire et 390-1 du code de procédure pénale et 6, § 3, de la Convention européenne des droits de l’homme, d’une part, la convocation par officier de police judiciaire doit énoncer le fait poursuivi et viser le texte de loi qui le réprime, d’autre part, tout prévenu a le droit d’être informé avec certitude et précision de la nature et de la cause de la prévention dont il est l’objet ; qu’en l’espèce, la convocation remise au prévenu portait sur des faits de travail dissimulé qui lui étaient imputés en qualité de dirigeant de droit de la société Hiram et de prêt illicite de main d’oeuvre qui lui était imputé en qualité « d’employeur de fait » de l’entreprise Best construction, les mêmes faits de prêts illicites de main d’oeuvre en qualité d’employeur de fait de l’entreprise Best construction étant imputés à M. Z... ; qu’en cet état, le prévenu ne pouvait déterminer quels faits lui étaient précisément imputés, et en quelle qualité, avoir employé des salariés en qualité de dirigeant de la société Hiram sans les déclarer ou avoir embauché des salariés pour le compte de Best construction et dans ce cas, sans qu’il puisse être compris en quoi employeur de fait de l’entreprise Best construction, il pouvait en outre avoir commis un prêt illicite de main d’oeuvre, ce qui ne lui a pas permis d’organiser sa défense devant les premiers juges ; qu’en cet état, la convocation par officier de police judiciaire devait être annulée “ ;
Attendu que, pour rejeter l’exception tirée de la nullité de la convocation par officier de police judiciaire prise de ce que le prévenu n’avait pas été en mesure de savoir ce qui lui était reproché et en quelle qualité, l’arrêt énonce que M. Y... a été convoqué en qualité de gérant de droit de la société Hiram, devenu employeur de fait des salariés, visés au titre des deux délits, dans le cadre du prêt de main d’oeuvre avec l’entreprise Best construction ;
Attendu qu’en l’état de ces énonciations, d’où il résulte que, même si la convocation en justice qualifie M. Y... de gérant de droit de la société Hiram plutôt que de gérant de fait, celui-ci a été informé de la nature des infractions poursuivies et des textes applicables, a été mis en mesure de préparer sa défense et n’a donc pu se méprendre sur la nature des faits reprochés, la cour d’appel a justifié sa décision sans méconnaître les dispositions conventionnelles et légales invoquées ;
Que le moyen ne saurait donc être accueilli ;
Sur le second moyen de cassation, pris en ses trois branches, de la violation des articles 112-1 alinéa 3 et 121-1 du code pénal, L. 8241-1 et 8243-1 du code du travail, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
” en ce que l’arrêt attaqué a déclaré M. Y... coupable de prêt illicite de main d’oeuvre et l’a condamné à payer une amende de 10 000 euros ;
” aux motifs que M. Y... a créé la société le 4 février 2008 avec M. A..., et qu’il possédait 51 % des parts sociales ; que, le 13 juin 2008, M. A...a cédé ses parts, et qu’il s’est alors vu attribuer 35 % des parts à égalité avec M. Said B..., MM. C..., Girard et Claude D..., se voyant attribuer chacun 10 % des parts ; qu’alors que M. A...était le gérant, il s’était vu attribuer un pouvoir très général afin de contracter toute procédure et commande qu’il jugera utile de signer au nom de la société Hiram et avait reçu les pouvoirs les plus étendus pour concilier si faire se peut, sinon citer et défendre, plaider ainsi que de déposer toutes conclusions, former toute demande reconventionnelle et obtenir tout jugement, traiter, transiger, compromettre, passer, signer toute pièce » ; qu’après la cession de parts, s’il n’était plus actionnaire majoritaire, il n’en était pas moins titulaire de parts en nombre important, à égalité avec M. B... ; que M. D..., gérant jusqu’au 1er février 2009, après la cession des parts de M. A..., indiquait qu’il n’assumait aucune fonction précise dans la société, si ce n’est administrative ; que, dans son audition du 13 mai 2009, il indiquait que les vrais patrons étaient MM. B...et Y... ; que, dans sa seconde audition, du 10 octobre 2011, soit largement postérieurement, il présentait M. B...comme gérant ; qu’il précisait que M. Y... avait la signature sur les comptes bancaires ; que la première déclaration de M. D...apparait plus crédible que la seconde, puisqu’à l’époque des faits, MM. B...et Y...avaient à égalité chacun 35 % des parts de la société ; qu’entendu le 13 mai 2009, M. Y... se présentait comme ayant des fonctions de directeur technique, et présentait M. B...non comme gérant mais comme commercial ; qu’il y a lieu d’en déduire que les deux hommes, en l’absence de gérant, M. D...ayant démissionné, se partageaient la tâche et étaient co-gérants de fait de la société Hiram ; que si M. Y... n’a pas signé le contrat de sous-traitance avec Best construction, il a signé le contrat de maîtrise d’ouvrage avec la société R et D immobilier ; que pour l’embauche de MM. E...et de Léonardo F..., il était présent sur le chantier et les a envoyés vers M. Viorel Z... ; qu’il avait donc les pouvoirs les plus étendus de décision au sein de la société Hiram ; que c’est par suite à juste titre qu’il a été cité en qualité de gérant de fait de la société Hiram ; que sur le jugement de faillite personnelle rendu par le tribunal de commerce d’Aix-en-Provence, le 7 janvier 2014, qu’il ne vise que M. B...lequel a été considéré comme dirigeant de fait de la société sans toutefois que la période de gestion soit précisée ; que cela n’interdit pas à la présente cour au vu des divers éléments et des diverses déclarations du dossier, de considérer que M. Y... était également gérant de fait pendant la période déjà ancienne de prévention ; que concernant les faits de prêt illicite de main d’oeuvre que le prêt de main d’oeuvre illégal est caractérisé au sens de l’article L. 8241-1 du code du travail, dès lors que le seul objet de la convention entre deux sociétés, par un faux contrat de sous-traitance, est la fourniture de main d’oeuvre moyennant rémunération ; que les déclarations des salariés et du gérant de la société Kiloutou montrent d’une part que c’était M. H..., superviseur de la société Hiram, ou M. Y... qui donnaient des ordres sur le chantier et que, d’autre part, le matériel était fourni sur demande de la société d’Hiram par la société Kiloutou » ; que seule la main d’oeuvre était apportée par le sous-traitant et que l’un des salariés concernés, M. F... a indiqué que Christian (alias M. Viorel Z...) lui avait dit que c’est la société Hiram qui payait son salaire à Best construction, qui le rétrocédait aux salariés, et que c’est le non paiement par la société Hiram à Best construction qui avait conduit au non paiement des salaires et à l’arrêt du chantier ; que de surcroît sont jointes au dossier deux factures de Best construction qui portent sur la main d’oeuvre ; qu’il en résulte clairement que le seul objet du contrat de sous-traitance était la fourniture de main d’oeuvre à la société Hiram par Best construction moyennant rémunération ; qu’il s’agissait donc d’un faux contrat de sous-traitance ayant pour unique objectif de masquer un prêt de main d’oeuvre illicite ;
” 1°) alors que le gérant de fait d’une société est la personne qui accomplit en toute indépendance une activité de direction de la société, et non seulement des actes isolés ; qu’en relevant d’une part, que le prévenu avait bénéficié d’une large délégation de pouvoirs du premier gérant de droit, M. A..., et, d’autre part, l’existence de pouvoirs sur le compte bancaire selon le gérant de droit de la société jusqu’en janvier 2009, pour dire que le prévenu était gérant de fait de la société Hiram, quand la délégation générale de pouvoirs était devenue caduque depuis le remplacement de M. A...par un autre gérant intervenu le 13 juin 2008, comme le rappelaient les conclusions du prévenu et quand la référence à une procuration bancaire donnée par le gérant suivant contredisait l’affirmation d’une délégation générale et à tout le moins ne permettait de déterminer si le pouvoir sur les comptes bancaires était effectif, la cour d’appel s’est prononcée par des motifs contradictoires et à tout le moins insuffisants pour caractériser la qualité de gérant de fait du prévenu, permettant de lui imputer le délit de prêt de main d’oeuvre illicite ;
” 2°) alors qu’en relevant en outre l’absence de tout gérant de droit au moment des faits, après la démission de M. D..., et la qualité d’associé de la société Hiram du prévenu à égalité avec un autre associé, la cour d’appel n’a pas établi qu’au moment de la passation de ce qu’elle a estimé être un faux contrat de sous-traitance et ultérieurement, le prévenu avait effectivement une activité de direction de la société Hiram, permettant de lui imputer le délit de prêt illicite de main d’oeuvre ;
” 3°) alors que nul n’est pénalement responsable que de son propre fait ; que dès lors qu’elle a constaté que le contrat de sous-traitance passé avec l’entreprise Best construction n’avait pas été signé par le prévenu et qu’elle a relevé l’existence de factures payées à l’entreprise Best construction sans constater qu’elles étaient émises par le prévenu et la livraison de matériel par la société Kiloutou sans relever que le prévenu intervenait dans les commandes qui y étaient afférentes, la cour d’appel qui se contente de déduire de sa qualité de gérant de fait que le prévenu avait commis les faits constitutifs d’une opération de prêt illicite de main d’oeuvre ou qu’il donnait des ordres sur le chantier, ce que permettait sa qualité de maître-d’oeuvre délégué, sans établir qu’il avait lui-même participé à la mise en place de la fausse convention de sous-traitance, a méconnu le principe selon lequel nul n’est pénalement responsable que de son propre fait ;
” 4°) alors qu’enfin, les juges du fond doivent caractériser le but lucratif du prêt de main d’oeuvre illicite ; qu’une opération de prêt de main-d’oeuvre ne poursuit pas de but lucratif lorsque l’entreprise prêteuse ne facture à l’entreprise utilisatrice, pendant la mise à disposition, que les salaires versés au salarié, les charges sociales afférentes et les frais professionnels remboursés à l’intéressé au titre de la mise à disposition ; que la cour d’appel qui a relevé que l’entreprise Best construction facturait uniquement le coût de la main d’oeuvre qu’elle fournissait à la société Hiram n’a pas établi le caractère lucratif de l’opération et a ainsi privé sa décision de base légale “ ;
Attendu que, pour déclarer M. Y... coupable de prêt illicite de main d’oeuvre, après l’avoir relaxé du chef de travail dissimulé, l’arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Qu’en l’état de ces énonciations d’où il résulte que, d’une part, M. Y..., qui avait reçu du gérant de droit de la société Hiram “ les pouvoirs les plus étendus “, disposait, notamment, de la signature sur les comptes bancaires et donnait ses instructions aux employés, avait la qualité de gérant de fait de la société Hiram et que, d’autre part, les conventions conclues, sous couvert de sous-traitance, entre cette dernière et l’entreprise Best construction, dissimulaient en réalité des opérations de prêt de main d’oeuvre à but lucratif, la cour d’appel a justifié sa décision ;
D’où il suit que le moyen ne peut qu’être écarté ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept juin deux mille seize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

Décision attaquée : Cour d’appel d’Aix-en-Provence , du 9 février 2015