Entreprise étrangère - le défaut de présentation du certificat de détachement insuffisant à soit seul à induire et à caractériser le défaut de déclaration sociale en France

Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 22 mars 2022
N° de pourvoi : 21-82.225
ECLI:FR:CCASS:2022:CR00329
Non publié au bulletin
Solution : Cassation

Audience publique du mardi 22 mars 2022
Décision attaquée : Cour d’appel de Limoges, du 17 février 2021

Président
M. Soulard (président)
Avocat(s)
Me Bouthors
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

N° J 21-82.225 F-D

N° 00329

MAS2
22 MARS 2022

CASSATION

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 22 MARS 2022

M. [F] [L] a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Limoges, chambre correctionnelle, en date du 17 février 2021, qui, pour travail dissimulé, l’a condamné à 5 000 euros d’amende.

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de M. Seys, conseiller, les observations de Me Bouthors, avocat de M. [F] [L], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l’audience publique du 15 février 2022 où étaient présents M. Soulard, président, M. Seys, conseiller rapporteur, M. Bonnal, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Un contrôle réalisé par les agents de l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (ci-après URSSAF) en décembre 2017 auprès d’une entreprise de bâtiment a mis en évidence l’intervention, pour le compte de cette dernière, notamment des sociétés de droit portugais [1] et [3] SA et [2], toutes deux dirigées par M. [F] [L].

3. En l’absence de toute déclaration auprès des organismes sociaux français, des vérifications ont été entreprises pour déterminer si des cotisations sociales étaient versées au Portugal pour les salariés portugais, travaillant en France, de ces entreprises.

4. À l’issue, M. [L] a été poursuivi pour travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié.

5. Par jugement en date du 2 juillet 2020, le tribunal correctionnel, après relaxe partielle pour les faits les plus anciens, a déclaré l’intéressé coupable pour le surplus, l’a condamné à 10 000 euros d’amende et a prononcé sur les intérêts civils.

6. M. [L], puis le procureur de la République, ont interjeté appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré M. [L] coupable d’exécution d’un travail dissimulé du 1er mars 2014 au 31 décembre 2017 et l’a condamné à 5 000 euros d’amende, alors :

« 1°/ que l’infraction de travail dissimulé est une infraction matérielle dont les éléments constitutifs doivent être caractérisés ; que tel n’est pas le cas de la déclaration de culpabilité de l’entrepreneur sous-traitant, directement et seulement déduite du défaut de production d’un document administratif complémentaire (formulaire A1), quand il est établi que les sociétés du prévenu sont en règle auprès des services fiscaux et sociaux de l’Etat d’établissement (Portugal) ; qu’en se déterminant comme elle l’a fait, la cour a méconnu les exigences des articles L. 8222-1 et suivants du code du travail, ensemble l’article 593 du code de procédure pénale et le principe de la présomption d’innocence ;

2°/ qu’en s’abstenant de décrire et de qualifier des faits de nature à caractériser un travail dissimulé (nombre de salariés, etc.) et de préciser le gain escompté par la dissimulation poursuivie, la cour a de ce chef violé les articles L. 8222-1 et suivants du code du travail, ensemble l’article 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que le délit de travail dissimulé est une infraction intentionnelle au sens de l’article 121-3 du code pénal ; qu’en se bornant à relever un simple manquement administratif en France quand les sociétés sous-traitantes portugaises étaient en règle auprès de leur Etat d’établissement en ce qui concerne les cotisations sociales et fiscales afférentes à leurs salariés respectifs, la cour n’a pas caractérisé l’élément intentionnel nécessaire pour entrer en voie de condamnation, ensemble l’article 593 du code de procédure pénale ;

4°/ que la référence abstraite à la nature des incriminations retenues et à la personnalité du prévenu n’est pas suffisante au regard des exigences de l’article 132-1 du code pénal imposant aux juridictions du fond de personnaliser les peines in concreto au regard notamment des ressources et des charges du prévenu ; qu’ainsi, la cour a méconnu le principe de personnalité des peines. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 593 du code de procédure pénale :

8. Selon ce texte, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

9. Pour déclarer M. [L] coupable de travail dissimulé, l’arrêt attaqué énonce que, selon les premiers juges, des salariés des entreprises portugaises [1] et [3] SA et [2] sont régulièrement détachés sur des chantiers français pour le compte du prévenu, leur employeur, et que les investigations entreprises ont montré qu’aucun certificat A1 n’avait été établi pour ces mêmes salariés.

10. Les juges ajoutent que si les déclarations émises par le service de sécurité sociale directe pendant la période du 21 janvier 2013 au 20 septembre 2018 indiquent que les sociétés [1] et [3] SA et [2] ont leur situation contributive régularisée vis-à-vis de la sécurité sociale, elles ne précisent pas si les travailleurs desdites entreprises sont concernés.

11. Ils en déduisent qu’en l’absence de certificats A1, les salariés détachés étaient soumis à la législation française et notamment aux dispositions de l’article L. 8221-5 du code du travail.

12. En se déterminant par des motifs insuffisants à caractériser l’élément matériel de l’infraction poursuivie, qu’elle ne pouvait déduire de la seule absence de production de certificats A1, seulement susceptible d’être sanctionnée par la pénalité administrative prévue par l’article L. 114-15-1 du code de la sécurité sociale, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision.

13. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Limoges, en date du 17 février 2021, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Poitiers, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Limoges et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-deux mars deux mille vingt-deux.ECLI:FR:CCASS:2022:CR00329