Démonstrateur hypermarché

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 26 septembre 1995

N° de pourvoi : 94-80983

Publié au bulletin

Rejet

Président : M. Le Gunehec, président

Rapporteur : Mme Batut., conseiller apporteur

Avocat général : M. Dintilhac., avocat général

Avocats : Mme Luc-Thaler, M. Blondel., avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

REJET des pourvois formés par A... Georges, Z... Jean-Pierre, B... Hélène, contre l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux, 3e chambre, en date du 18 janvier 1994, qui, pour participation à une opération de prêt illicite de main-d’oeuvre, a condamné chacun d’eux à une amende de 10 000 francs, a ordonné la publication de la décision et a prononcé sur les intérêts civils.

LA COUR,

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Sur le pourvoi formé par Hélène C... ;

Attendu qu’aucun moyen n’est produit à l’appui de celui-ci ;

Sur les autres pourvois ;

Vu les mémoires produits ;

Sur le premier moyen de cassation proposé en faveur de Jean-Pierre Z... et pris de la violation des articles 437, 446, 591 du Code de procédure pénale, L. 611-1 du Code du travail, ensemble violation des droits de la défense et de l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :

” en ce qu’il résulte des mentions de l’arrêt attaqué que Mme D..., inspectrice à l’inspection du Travail, partie poursuivante, a prêté le serment des témoins visés par l’article 446 du Code de procédure pénale ;

” alors que, d’une part, l’audition des parties poursuivantes est exclusive de tout serment ; qu’en faisant prêter le serment des témoins à l’inspecteur du Travail, partie poursuivante, la cour d’appel a violé l’article 446 du Code de procédure pénale et méconnu les droits de la défense ;

” et alors que, d’autre part, et en toute hypothèse, les exigences d’un procès équitable, d’un procès à armes égales, font qu’il est juridiquement inconcevable qu’une partie poursuivante signataire d’un procès-verbal à l’origine de poursuites puisse être entendue une fois le serment des témoins prêtés ; qu’ainsi l’arrêt attaqué viole les exigences de l’article 6-1 précité “ ;

Attendu que les agents de la Direction du Travail et de l’emploi n’ont pas qualité pour engager les poursuites relatives aux infractions qu’ils sont chargés de constater ;

Que, dès lors, c’est à bon droit que la juridiction de jugement a procédé en l’espèce à l’audition de l’inspecteur du Travail comme témoin, serment préalablement prêté conformément à l’article 446 du Code de procédure pénale ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le second moyen de cassation proposé en faveur de Jean-Pierre Z... et pris de la violation des articles L. 125-3 et L. 152-3 du Code du travail, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable d’avoir effectué une opération à but lucratif de fourniture de main-d’oeuvre qui a eu pour effet de causer un préjudice au salarié ou d’éluder l’application de la loi, des règlements ou conventions collectives ;

”aux motifs que le contrat d’entreprise se caractérise par la définition d’un travail déterminé, comportant une spécificité propre à l’entreprise prestataire et rémunéré forfaitairement ; qu’en l’espèce, la prestation fournie à la société Carrefour par la société Jouef n’est pas définie autrement que par une mise à disposition de démonstrateurs, pour réaliser des ventes, pendant une période déterminée : cela résulte des contrats produits par les parties ; que la durée de la formation donnée aux démonstrateurs est insusceptible de conférer une qualification réelle aux salariés qui l’ont suivie ; que la tâche des démonstrateurs est rigoureusement identique à celle des vendeurs salariés permanents de la société Carrefour, ce qui exclut toute qualification de contrat d’entreprise, comme de contrat de sous-traitance ; que, de plus, le fait que cette tâche indéfinie ne donne pas lieu à une rémunération globale du prestataire de main-d’oeuvre exclut à lui seul l’existence d’un tel contrat ; qu’il s’agit bien d’une simple mise à disposition de personnel consentie par la société Jouef ; qu’en ce qui concerne la finalité lucrative de l’opération, il résulte des déclarations de M. X... que dans tous les cas le prix d’achat des marchandises est plus élevé lorsque la vente est assortie d’un contrat de démonstration ; qu’il en résulte donc que la mise à disposition de salariés donne lieu à un paiement même s’il est inclus dans les conditions de vente des marchandises ; que l’opération n’est donc pas gratuite ; qu’il est ainsi établi de façon certaine que l’opération a, du côté de l’utilisateur de main-d’oeuvre, un but lucratif caractérisé par le paiement d’un prix pour obtenir la mise à disposition du personnel salarié et la volonté de tirer profit de cet investissement ; que le caractère lucratif de l’opération est apparent dans la convention conclue par la société Jouef qui prévoit une facturation de la démonstration sur la base des conditions générales de vente augmentées de 3 % ; qu’en ce qui concerne le caractère exclusif de l’opération, le caractère exclusif du but de fourniture de main-d’oeuvre visé par l’article L. 125-3 du Code du travail s’entend en ce sens qu’est licite l’opération de fourniture de main-d’oeuvre intervenant dans le cadre d’un contrat d’entreprise ou de sous-traitance, que l’analyse des opérations en cause exclut de telles qualifications ; que le fait que le contrat de fourniture de main-d’oeuvre ait été conclu à l’occasion d’un contrat de vente est sans influence sur le caractère exclusif puisqu’il existe un coût payé spécifiquement pour le prêt de salarié ;

”alors que, d’une part, le contrat d’entreprise ou de sous-traitance est une convention par laquelle un employeur offre à son cocontractant un travail ou un service réalisé par son propre personnel qui reste placé sous sa direction et sous sa responsabilité ; qu’il a pour objet l’exécution d’une tâche objective définie avec précision, habituellement rémunérée de façon forfaitaire ; qu’il appartient aux juges du fond, saisis de poursuites contre un employeur du chef d’opération à but exclusivement lucratif de fourniture de main-d’oeuvre, de rechercher, par l’analyse des éléments de la cause, la véritable nature de la convention intervenue entre les parties ; qu’en l’espèce, il est dûment établi par la convention produite que le démonstrateur de la société Jouef avait une tâche spécifique clairement définie de présentation de jouets Jouef ; que le travail de présentation ne pouvait être accompli par les autres salariés Carrefour puisque dans les grandes surfaces, le client se sert lui-même ; que la rémunération forfaitaire est caractéristique du contrat d’entreprise ; que, dès lors, le contrat litigieux devait s’analyser, non en une opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main d’oeuvre, mais en un contrat d’entreprise n’entrant pas dans les prévisions du texte visé à la prévention ; que, pour en avoir autrement décidé, la cour d’appel a violé les textes visés au moyen ;

”alors, d’autre part, que si le prêt de main-d’oeuvre n’a pas de but lucratif, la prohibition s’efface ; que le prêt n’est pas considéré comme lucratif dès lors que le montant de la rémunération versée à l’entreprise fournisseuse correspond aux salaires et aux charges sociales ; qu’en l’espèc, la seule circonstance que la société Jouef ait prévu une facturation de la démonstration sur la base des conditions générales de vente augmentées de 3 %, augementation qui correspond au coût de la main-d’oeuvre, ne suffit pas à caractériser le but lucratif de l’opération incriminée ; qu’ainsi, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision ;

”et alors, enfin, qu’est seule interdite l’opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’oeuvre ; que l’exclusivité de l’opération est ce qui différencie le louage de main-d’oeuvre, objet de l’interdiction, et le contrat d’entreprise ; que, dès lors, l’arrêt attaqué qui ne retient que certains indices sans s’expliquer sur d’autres éléments fondamentaux desquels il s’évinçait que le contrat n’avait pas pour objet exclusif un prêt de main d’oeuvre, mais était de nature à conférer à la convention intervenue le caractère de contrat d’entreprise, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à se décision au regard de l’article 125-3 du Code du travail” ;

Sur le moyen unique de cassation proposé en faveur de Georges A... et pris de la violation des articles L. 152-3 alinéa 1er, L. 125-1er du Code du travail, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, défaut de réponse à conclusions ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable d’avoir effectué une opération à but lucratif de fourniture de main-d’oeuvre ayant eu pour effet de causer un préjudice au salarié ou d’éluder l’application de la loi ;

”aux motifs, d’une part, que le contrat d’entreprise se caractérisait par la définition d’un travail déterminé comportant une spécificité propre à l’entreprise prestataire et rémunérée forfaitairement ; que la tâche des démonstrateurs était rigoureusement identique à celle des vendeurs salariés permanents de la société Carrefour, ce qui exclut toute qualification de contrat d’entreprise comme celle de contrat de sous-traitance ; que le fait que cette tâche indéfinie dans sa spécificité ne donnait pas lieu à une rémunération globale du prestataire de main-d’oeuvre excluait à lui seul l’existence d’un tel contrat ; qu’il s’agissait donc bien d’une simple mise à disposition de personnel consentie par les sociétés MB, Jouef et Itmc à la société Carrefour ;

”aux motifs, d’autre part, que le caractère lucratif de l’opération résultait du fait que la mise à disposition de salariés donnait lieu à un paiement même s’il était inclus dans les conditions de vente de la marchandise ; que le prix retiré de l’opération de fourniture de main-d’oeuvre par le fabricant de Jouef était sans relation avec le coût effectif de la main-d’oeuvre ; que le caractère lucratif de l’opération apparent dans la convention conclue par la société Jouef qui prévoyait une facturation de la démonstration sur la base des conditions générales de vente augmentées de 3 %, l’était moins pour les contrats de démonstration conclus avec les sociétés MB France et ITMC, qui n’isolaient pas explicitement le surcoût de la démonstration, mais que la déposition de Gérard Y... faisait bien état d’un coût plus élevé de la vente conclue avec démonstration, ce qui était suffisant pour établir le fait ; que les sociétés prestataires de main-d’oeuvre ne sauraient se prévaloir de l’existence d’un statut du démonstrateur dans la convention collective du jouet pour en déduire la licéïté nécessaire de l’opération ; qu’en effet, la mise à disposition de démonstrateurs pourvait être régulière si elle intervenait sur la base des prix pratiqués entres les parties ou avec facturation des heures travaillées par les démonstrateurs et des charges sociales ;

”aux motifs, enfin, que le caractère exclusif du but de fourniture de main-d’oeuvre visé par l’article L. 125-3 du Code du travail s’entendait en ce sens qu’était licite l’opération de fourniture de main-d’oeuvre intervenant dans le cadre d’un contrat d’entreprise ou de sous-traitance ; que l’analyse des opérations en cause excluait la qualification de contrat d’entreprise ou de sous-traitance ; que le fait que le contrat de fourniture de main-d’oeuvre eût été conclu à l’occasion d’un contrat de vente était sans influence sur ce caractère exclusif puisqu’il existait un coût payé spécifiquement pour le prêt de salarié ;

”alors, d’une part, que, aux termes de l’article L. 125-3 du Code du travail est interdite toute opération à but lucratif de fourniture de main-d’oeuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu’elle concerne ou d’éluder l’application des dispositions de la loi, de règlement ou de convention ou accord collectif de travail, ou marchandage ; qu’en l’espèce, en aucune des énonciations, l’arrêt attaqué ne constate que l’opération de marchandage reprochée au prévenu eût causé à sa démonstratrice un quelconque préjudice ni qu’elle ait pour effet d’éluder l’application des dispositions de la loi, de règlement ou de convention ou accord collectif de travail ; qu’ainsi, faute d’avoir caractérisé l’un des éléments constitutifs de l’infraction, la Cour a prononcé une déclaration de culpabilité illégale ;

”alors, d’autre part, que la fourniture de main-d’oeuvre visée par l’article L. 125-3 du Code du travail n’est en outre interdite que si elle a un but lucratif, c’est-à-dire que le prêteur de main-d’oeuvre tire un bénéfice de la seule mise à la disposition à une entreprise du salarié qui relève de la seule autorité du chef d’entreprise et non de celle du prêteur de main-d’oeuvre ; qu’en l’espèce, le prévenu faisait valoir, dans ses conclusions délaissées par la Cour, que la démonstratrice de la société MB France se trouvant dans les locaux du magasin Carrefour relevait de la seule autorité de cette dernière ; qu’en particulier, son contrat de travail prévoyait qu’elle exerçait ses fonctions sous le contrôle et suivant les directives du directeur des ventes MB, qu’elle devait adresser directement à la société MB les relevés de vente de la période écoulée, qu’elle devait se charger personnellement des commandes adressées à la société MB et remettre chaque semaine l’état de son stock aux représentants de cette société, que ses rapports étaient contrôlés chaque mois, et qu’enfin en cas d’absence, maladie ou accident, elle devait aviser directement la direction de la société MB ; qu’en outre, la société MB avait refusé d’accéder à la demande du magasin Carrefour qui avait souhaité que, comme le reste de son personnel, la démonstratrice de la société MB travaille le dimanche ; qu’en outre, la salariée n’avait subi aucun préjudice ; qu’en ne s’expliquant pas sur ces moyens de défense péremptoires qui étaient de nature à établir que la démonstratrice se trouvait exclusivement sous l’autorité de la société MB qui l’employait et non sous celle de la direction du magasin Carrefour où elle exerçait sa fonction de démonstratrice pour le compte exclusif de la première, la cour d’appel qui a admis que le contrat de démonstration conclu entre la société MB France et le magasin Carrefour ne faisait pas apparaître le surcoût de la démonstration, n’a pas donné de base légale à la déclaration de culpabilité” ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué et celles du jugement qu’il confirme mettent la Cour de Cassation en mesure de s’assurer que la juridiction du second degré, qui n’avait pas à répondre mieux qu’elle ne l’a fait aux conclusions dont elle était saisie, a, sans insuffisance, caractérisé en tous ses éléments constitutifs, tant matériels qu’intentionnel, le délit dont elle a déclaré les prévenus coupables ;

Que les moyens, qui se bornent à remettre en discussion l’appréciation souveraine par les juges du fond des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

Publication : Bulletin criminel 1995 N° 287 p. 794

Décision attaquée : Cour d’appel de Bordeaux, du 18 janvier 1994

Titrages et résumés : JURIDICTIONS CORRECTIONNELLES - Débats - Témoins - Serment - Formule - Agent d’une administration. Seuls les agents des administrations ayant qualité pour exercer, conjointement avec le ministère public, les poursuites pénales consécutives aux infractions qu’ils sont chargés de constater, sont dispensés de l’obligation de prêter le serment des témoins lorsqu’ils exposent l’affaire devant la juridiction appelée à en connaître. Tel n’est pas le cas des inspecteurs et contrôleurs du Travail, dont l’audition devant la juridiction de jugement se trouve, dès lors, soumise aux dispositions de l’article 446 du Code de procédure pénale. (1).

TRAVAIL - Inspection du Travail - Inspecteur du Travail - Audition - Témoins - Serment

Précédents jurisprudentiels : CONFER : (1°). (1) Cf. Chambre criminelle, 1990-05-03, Bulletin criminel 1990, n° 173 (2), p. 442 (cassation), et l’arrêt cité ; Chambre criminelle, 1993-04-07, Bulletin criminel 1993, n° 154, p. 385 (cassation), et les arrêts cités.

Textes appliqués :
* Code de procédure pénale 446