Démonstrateur hypermarché

Cour de cassation

chambre criminelle

Audience publique du 27 février 2001

N° de pourvoi : 00-81407

Non publié au bulletin

Cassation

Président : M. COTTE, président

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-sept février deux mille un, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller ANZANI, les observations de la société civile professionnelle MASSE-DESSEN, GEORGES et THOUVENIN, et de la société civile pofessionnelle NICOLAY et de LANOUVELLE, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l’avocat général FROMONT ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

"-" Z... Jacqueline, épouse X...,

"-" L’UNION DEPARTEMENTALE DES SYNDICATS CFDT DE

LA COTE D’OR,

parties civiles,

contre l’arrêt de la cour d’appel de DIJON, chambre correctionnelle, en date du 3 février 2000, qui, les a déboutés de leurs demandes après relaxe de Patrick Y... des chefs de marchandage et travail dissimulé ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Attendu que Patrick Y..., directeur d’un magasin exploité par la société Carrefour, a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour avoir participé à une opération de fourniture de main d’oeuvre dans un but lucratif, en utilisant les services de huit salariés, dits “merchandiseurs” mis à sa disposition par la société de merchandising en dehors de tout cadre légal et notamment de toute convention de travail temporaire ; qu’il lui était également reproché d’avoir employé les huit salariés sans avoir effectué les formalités visées par l’article L. 324-10, 3 , alors en vigueur, du Code du travail ;

En cet état ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 125-1, L. 152-3, L. 324-10 et L. 362-3 du Code du travail, de l’article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

”en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Patrick Y... non coupable des délits poursuivis de prêt illicite de main d’oeuvre et exercice de travail clandestin par dissimulation de salariés ;

”aux motifs qu’en exécution de ses contrats de merchandising, Jacqueline X... devait effectuer pour ses neuf employeurs, c’est-à-dire les sociétés de merchandising, un certain nombre d’heures de travail hebdomadaire dont la durée ne devait évidemment pas excéder la durée légale ; qu’elle n’avait toutefois pas avisé ses différents employeurs de la durée de travail effectuée pour chacun d’eux ; qu’ainsi, en 1994, sa durée effective totale de travail était de l’ordre de 95 heures par semaine ; que Patrick Y... explique que, bien que la société Carrefour n’ait pas fait l’objet de la part de l’inspection du travail d’une remarque à ce sujet, elle a pris la décision, courant novembre 1994, de charger le chef du secteur épicerie d’effectuer un audit merchandising pour tous les merchandiseurs intervenant dans ses locaux, dont Jacqueline X... ; que le prévenu explique encore que la société Carrefour a seulement prévenu les différents employeurs de Jacqueline X... de cette situation et que ces derniers, à l’exception de la société L’Oréal, ont procédé au licenciement de leur employée ; que si Jacqueline X... a pu considérer la société Carrefour comme son employeur conjoint, force est de constater, comme le font les premiers juges, - qu’aucun salarié de Carrefour Dijon n’a reconnu avoir donné des instructions à Jacqueline X... quant à l’exécution de sa mission -, qu’il n’est pas démontré que Carrefour exerçait un pouvoir disciplinaire sur les merchandiseurs, - que Carrefour ne contrôlait pas la durée de la présence des merchandiseurs à leur poste et qu’il n’est pas établi que Carrefour leur imposait d’autres tâches que celles fixées par leurs employeurs, les entreprises de merchandising ; que les horaires de Carrefour doivent être respectés par les merchandiseurs comme par les clients du magasin et que ceci n’implique pas l’existence d’un lien de subordination à l’égard de l’hypermarché ; qu’il n’est pas établi, par ailleurs, que Carrefours ait versé une rémunération aux sociétés de merchandising en contrepartie de l’intervention de leurs employés dans ses locaux et que le prêt de main d’oeuvre n’apparaît pas illicite ; que, dès lors, la Cour, adoptant pour le surplus les motifs des premiers juges, confirmera la décision entreprise ;

”alors qu’il n’appartenait à la Cour d’appel de rechercher la véritable nature des conventions intervenues entre les parties ;

qu’en statuant ainsi, sans caractériser les rapports existant entre les salariés merchandiseurs et les sociétés de merchandising, non plus que la nature des conventions liant ces sociétés à la société Carrefour, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision ;

”alors, en outre, que, dans leurs conclusions d’appel, les parties civiles faisaient valoir que la société Carrefour imposait le choix des salariés recrutés aux sociétés de merchandising, certains de ces salariés ayant d’ailleurs été embauchés initialement par la société Carrefour avant d’être orientés vers ces sociétés qui n’exerçaient aucune autorité sur eux, ne procédaient à aucun contrôle sur leur activité, les salariés n’établissant à leur égard aucun rapport ; que la fin des relations contractuelles était imposée par la société Carrefour, notamment par Jacqueline X..., ainsi que l’avaient reconnu deux de ses anciens employeurs, l’un d’eux précisant même qu’elle était sous l’autorité directe de la société Carrefour, tant dans le contrat de travail que dans la lettre de licenciement ; qu’il résulte, en outre, des rapports de l’inspecteur du travail compétent au procureur de la République qu’aucun des salariés parmi ceux qu’il avait rencontrés n’avait été recruté directement par son employeur officiel, presque toutes les conclusions de contrats s’étant faites par voie postale, qu’ils travaillaient et recevaient leurs marchandises sur place sans jamais passer les commandes auprès de leurs employeurs, que les marchandises étaient livrées en propre à Carrefour et que les aides fournisseurs ne disposaient d’aucun matériel, que l’organisation du travail et le pouvoir disciplinaire relevaient de Carrefour, les aides fournisseurs reconnaissant tous être sous les ordres directs d’un chef de rayon, intégrés au mode de fonctionnement de l’ensemble du personnel dont ils partageaient au demeurant les vestiaires, ne voyant que très rarement un représentant de leur employeur et n’entretenant que des rapports lointains avec ceux-ci ; que faute d’avoir pris en considération ces circonstances déterminantes, la cour d’appel a privé sa décision de motifs” ;

Vu l’article 593 du Code de procédure pénale ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier sa décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que, pour renvoyer Patrick Y... des fins de la poursuite, l’arrêt attaqué se prononce par les motifs repris au moyen ;

Mais, attendu qu’en prononçant ainsi, sans rechercher si les contrats de “merchandising” passés entre la société Carrefour et les différents employeurs des salariés concernés ne dissimulaient pas des opérations de prêt de main-d’oeuvre, et sans répondre aux conclusions déposées par les parties civiles faisant valoir, au vu des constatations de l’inspecteur du travail, que lesdits salariés étaient en état de subordination complète à l’égard de la direction du magasin, et ne bénéficiaient d’aucun droit et avantages consentis notamment par la convention collective applicable aux salariés de Carrefour, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

D’où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs,

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Dijon, en date du 3 février 2000, et pour qu’il soit jugé à nouveau conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Lyon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Dijon, sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article L.131-6, alinéa 4, du Code de l’organisation judiciaire : M. Cotte président, Mme Anzani conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;

Avocat général : Mme Fromont ;

Greffier de chambre : Mme Nicolas ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Décision attaquée : cour d’appel de Dijon, chambre correctionnelle du 3 février 2000