Pas de mobilité obligatoire et imposée - novation du contrat de travail

Cour de cassation

chambre sociale

Audience publique du 16 mai 2012

N° de pourvoi : 10-27749

Non publié au bulletin

Rejet

M. Chollet (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président

SCP Fabiani et Luc-Thaler, SCP Monod et Colin, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 30 septembre 2010), que Mme X..., engagée le 27 septembre 2004 en qualité de responsable adjoint de magasin par la société Nature et découvertes, exerçait en dernier lieu ses fonctions dans un magasin situé dans les locaux du Palais de la découverte à Paris ; qu’à la suite de la dénonciation, le 27 septembre 2006, de la convention d’occupation du domaine public, la société Nature et découvertes a fermé le magasin et a indiqué à la salariée, par lettre du 6 octobre 2006 à laquelle était joint un avenant soumis à sa signature, qu’elle serait mise à disposition temporaire en tant que responsable adjoint d’un magasin à l’enseigne Explorus exploité par la société Podiensis ; qu’après avoir refusé cette affectation, Mme X... été licenciée par lettre du 24 novembre 2006 ; que contestant son licenciement, elle a saisi la juridiction prud’homale de demandes indemnitaires pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Attendu que l’employeur fait grief à l’arrêt de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse et de le condamner au paiement de dommages-intérêts à ce titre, alors, selon le moyen :

1°/ que la mise à disposition d’un salarié n’emporte pas modification du contrat de travail dès lors qu’il continue de dépendre du même employeur, et que ni sa qualification, ni sa rémunération, ni la durée du travail ne s’en trouvent modifiées ; qu’en l’espèce, la cour d’appel qui a jugé que la mise à disposition temporaire de Mme X... auprès du magasin Explorus de la société Podiendis, laquelle est pourtant dirigée par la même personne physique que la société Nature et découvertes, les deux sociétés constituant en outre une unité économique et sociale, emportait modification du contrat de travail, sans avoir recherché si, dans le cadre de cette mise à disposition, la salariée ne continuait pas de dépendre de la société Nature et découvertes qui lui versait son salaire, sans modification ni de sa qualification, ni de sa rémunération, ni de la durée du travail, a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1134 du code civil ;

2°/ que le fait pour un salarié d’être placé sous l’autorité d’un supérieur hiérarchique dépendant de la société près de laquelle il est temporairement mis à disposition, n’emporte pas transfert de son contrat de travail vers ladite société, en l’absence du transfert corrélatif du pouvoir de direction, de contrôle et de sanction qui caractérise le pouvoir patronal ; qu’en l’espèce, la cour d’appel qui a déduit du seul fait que Mme X... devait être mise à disposition du magasin à l’enseigne Explorus, situé à la Cité des Sciences et exploité par la société Podiensis, « sous la responsabilité hiérarchique de M. Victor Y..., directeur du magasin », le transfert du pouvoir de direction et « potentiellement » du pouvoir disciplinaire de la société employeur, sans avoir recherché si la société Nature et découvertes n’avait pas continué d’exercer un pouvoir général de direction, de contrôle et de sanction sur Mme X..., dont le contrat de travail était géré par la direction des ressources humaines de la société Nature et découvertes et dont le supérieur hiérarchique, M. Y..., était lui même subordonné à M. Z..., directeur régional de ladite société, a derechef privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 1221-1 du code du travail ;

3°/ que la référence à la durée du congé de maternité qui est légalement fixée à l’article L. 1225-17 du code du travail, constitue un terme précis à la mise à disposition temporaire d’un salarié ; qu’en décidant le contraire au motif que la lettre de mise à disposition adressée à Mme X... ne précisait pas qu’elle avait pour « terme » la fin du congé de maternité quand la référence à la durée du congé de maternité qui y figurait expressément, suffisait à déterminer avec certitude la date de la fin de sa mission, la cour d’appel qui a dénaturé les termes clairs et non équivoques du courrier de l’employeur du 6 octobre 2006, a violé l’article 1134 du code civil ;

4°/ que si l’employeur ne peut modifier le contrat de travail d’un salarié sans son accord préalable, tout changement des conditions de travail décidé par l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction s’impose à celui-ci ; qu’en décidant que le licenciement de Mme X... était sans cause réelle et sérieuse, au motif inopérant qu’il aurait existé un autre poste de responsable adjointe dans l’un des magasins de la société Nature et découvertes qui aurait pu lui être proposé en lieu et place de celui du magasin Explorus de la Cité des Sciences, quand seule importait la qualification de la mise à disposition décidée par l’employeur dont dépendait la faculté ou non, pour la salariée, de la refuser, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1134 du code civil ;

Mais attendu que la cour d’appel, qui a constaté que l’employeur avait soumis à la signature de la salariée un avenant prévoyant sa mise à disposition d’une société Podiensis, distincte de la société Nature et découvertes, dans le cadre de laquelle elle serait sous la responsabilité hiérarchique d’un salarié de la société Podiensis, a pu en déduire que la mesure prise par l’employeur s’analysait en une mutation constitutive d’une modification du contrat de travail que la salariée était en droit de refuser ; que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Nature et découvertes aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la société Nature et découvertes à payer à Mme X... la somme de 2 500 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par M. Chollet, conseiller le plus ancien en ayant délibéré, conformément à l’article 456 du code de procédure civile, en l’audience publique du seize mai deux mille douze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Fabiani et Luc-Thaler, avocat aux Conseils pour la société Nature et découvertes

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR déclaré le licenciement de Madame X... sans cause réelle et sérieuse et d’AVOIR condamné la société NATURE ET DECOUVERTES à lui verser la somme de 13.500 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement injustifié, à rembourser au Pôle Emploi les indemnités de chômage qui lui avaient été versées pour une durée de deux mois et à lui verser la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi que de l’avoir condamnée aux dépens de première instance et d’appel ;

AUX MOTIFS QUE « après plusieurs affectations successives, Madame Hélène X... exerçait ses fonctions dans un magasin situé dans les locaux du Palais de la Découverte à Paris ; que la convention d’occupation du domaine public au sein de cet établissement ayant été dénoncée par le concédant le 27 septembre 2006 avec échéance au 12 octobre suivant, la S.A. NATURE ET DECOUVERTE a dû fermer ce magasin et réaffecter le personnel qu’elle y employait ; que la proposition faite à Madame X... consistait en une mise à disposition temporaire au profit d’un magasin de l’enseigne EXPLORUS situé à la Cité des sciences ; qu’il n’est pas contesté que ce magasin est exploité par une société PODIENSIS distincte de la S.A. NATURE ET DECOUVERTE, même si l’une et l’autre forment une unité économique et sociale et sont dirigées par la même personne physique ; que selon les termes de la lettre du 6 octobre 2006 accompagnant l’avenant au contrat de travail soumis à la signature de la salariée, il était précisé que celle-ci se trouvait “sous la responsabilité hiérarchique de M. Victor Y..., directeur du magasin” ; que l’avenant fixait la durée du détachement provisoire “à compter du 17 octobre 2006 et jusqu’au retour de congé de maternité de Madame Caroline A...” ; qu’il s’ensuit que Madame Hélène X... se trouvait soumise au pouvoir de direction et potentiellement au pouvoir disciplinaire d’un salarié d’une société distincte de son employeur et que l’échéance de la mesure envisagée n’était pas fixée de manière précise, soit par une date prédéterminée soit par la référence à un événement certain, tel que “le terme du congé de maternité”, alors que la survenance du “retour” de la salariée remplacée était nécessairement affectée d’un aléa, ce retour pouvant ne pas coïncider avec la fin du congé de maternité en raison de multiples circonstances sur lesquelles la salariée n’avait aucune prise ; que dans ces conditions, et en l’absence de toute indication sur les conventions intervenues entre la S.A. NATURE ET DECOUVERTE et l’entreprise utilisatrice, la mesure présentée comme une simple mise à disposition temporaire constituait en réalité une mutation opérant une modification du contrat de travail que Madame Hélène X... pouvait refuser sans encourir un licenciement ; que la volonté e la S.A. NATURE ET DECOUVERTE d’imposer cette mesure et d’en faire découler la rupture du contrat de travail est d’autant plus contestable qu’elle disposait d’une solution alternative puisque Madame Hélène X... a été amenée à effectuer son préavis dans un magasin NATURE ET DECOUVERTE du boulevard Haussman où son “détachement provisoire” n’aurait suscité aucune difficulté ; qu’il convient donc, infirmant le jugement de première instance, de déclarer le licenciement de Madame Hélène X... dépourvu de cause réelle et sérieuse » ;

ALORS, de première part, QUE la mise à disposition d’un salarié n’emporte pas modification du contrat de travail dès lors qu’il continue de dépendre du même employeur, et que ni sa qualification, ni sa rémunération, ni la durée du travail ne s’en trouvent modifiées ; qu’en l’espèce, la Cour d’appel qui a jugé que la mise à disposition temporaire de Madame X... auprès du magasin EXPLORUS de la société PODIENDIS, laquelle est pourtant dirigée par la même personne physique que la société NATURE ET DECOUVERTES, les deux sociétés constituant en outre une unité économique et sociale, emportait modification du contrat de travail, sans avoir recherché si, dans le cadre de cette mise à disposition, la salariée ne continuait pas de dépendre de la société NATURE ET DECOUVERTES qui lui versait son salaire, sans modification ni de sa qualification, ni de sa rémunération, ni de la durée du travail, a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1134 du Code civil ;

ALORS, de deuxième part, QUE le fait pour un salarié d’être placé sous l’autorité d’un supérieur hiérarchique dépendant de la société près de laquelle il est temporairement mis à disposition, n’emporte pas transfert de son contrat de travail vers ladite société, en l’absence du transfert corrélatif du pouvoir de direction, de contrôle et de sanction qui caractérise le pouvoir patronal ; qu’en l’espèce, la Cour d’appel qui a déduit du seul fait que Madame X... devait être mise à disposition du magasin à l’enseigne EXPLORUS, situé à la Cité des Sciences et exploité par la société PODIENSIS, « sous la responsabilité hiérarchique de M. Victor Y..., directeur du magasin », le transfert du pouvoir de direction et « potentiellement » du pouvoir disciplinaire de la société employeur, sans avoir recherché si la société NATURE ET DECOUVERTES n’avait pas continué d’exercer un pouvoir général de direction, de contrôle et de sanction sur Madame X..., dont le contrat de travail était géré par la direction des ressources humaines de la société NATURE ET DECOUVERTES et dont le supérieur hiérarchique, Monsieur Y..., était lui même subordonné à Monsieur Z..., directeur régional de ladite société, a derechef privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 1221-1 du Code du travail ;

ALORS, de troisième part, QUE la référence à la durée du congé de maternité qui est légalement fixée à l’article L. 1225-17 du Code du travail, constitue un terme précis à la mise à disposition temporaire d’un salarié ; qu’en décidant le contraire au motif que la lettre de mise à disposition adressée à madame X... ne précisait pas qu’elle avait pour « terme » la fin du congé de maternité quand la référence à la durée du congé de maternité qui y figurait expressément, suffisait à déterminer avec certitude la date de la fin de sa mission, la Cour d’appel qui a dénaturé les termes clairs et non équivoques du courrier de l’employeur du 6 octobre 2006, a violé l’article 1134 du Code civil ;

ALORS, de quatrième part, QUE si l’employeur ne peut modifier le contrat de travail d’un salarié sans son accord préalable, tout changement des conditions de travail décidé par l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction s’impose à celui-ci ; qu’en décidant que le licenciement de Mademoiselle X... était sans cause réelle et sérieuse, au motif inopérant qu’il aurait existé un autre poste de responsable adjointe dans l’un des magasins de la société NATURE ET DECOUVERTES qui aurait pu lui être proposé en lieu et place de celui du magasin EXPLORUS de la Cité des Sciences, quand seule importait la qualification de la mise à disposition décidée par l’employeur dont dépendait la faculté ou non, pour la salariée, de la refuser, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1134 du Code civil.

Décision attaquée : Cour d’appel de Paris , du 30 septembre 2010