La remise des documents n’exonère pas nécessairement le donneur d’ordre

Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 2 juin 2022
N° de pourvoi : 20-21.988
ECLI:FR:CCASS:2022:C200574
Non publié au bulletin
Solution : Rejet

Audience publique du jeudi 02 juin 2022
Décision attaquée : Cour d’appel de Paris, du 18 septembre 2020

Président
M. Pireyre (président)
Avocat(s)
SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, SCP Melka-Prigent-Drusch
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

CIV. 2

LM

COUR DE CASSATION


Audience publique du 2 juin 2022

Rejet

M. PIREYRE, président

Arrêt n° 574 F-D

Pourvoi n° P 20-21.988

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 2 JUIN 2022

La société [3], société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° P 20-21.988 contre l’arrêt rendu le 18 septembre 2020 par la cour d’appel de Paris (pôle 6, chambre 12), dans le litige l’opposant :

1°/ à l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) d’Ile-de-France, dont le siège est division des recours amiables et judiciaires, TSA 80028, 93517 Montreuil cedex, venant aux droits de l’URSSAF [Localité 5] région parisienne,

2°/ au ministre chargé de la sécurité sociale, domicilié [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Leblanc, conseiller, les observations de la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de la société [3], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l’URSSAF d’Ile-de-France, et l’avis de M. de Monteynard, avocat général, après débats en l’audience publique du 12 avril 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Leblanc, conseiller rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, et Mme Aubagna, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 18 septembre 2020), à la suite d’un contrôle d’un sous-traitant de la société [3] (la société), l’URSSAF d’Ile-de-France (l’URSSAF) a adressé à cette société une lettre d’observations du 29 juillet 2014 mettant en oeuvre la solidarité financière prévue par les articles L. 8222-1 et suivants du code du travail, suivie d’une mise en demeure du 5 octobre 2015.

2. La société a saisi d’un recours une juridiction de sécurité sociale.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La société fait grief à l’arrêt de la condamner au titre de la solidarité financière avec son sous-traitant, alors « qu’est tenu solidairement avec celui qui a fait l’objet d’un procès verbal pour délit de travail dissimulé le donneur d’ordre qui a méconnu l’obligation de vérifier que son cocontractant s’est acquitté des formalités lui incombant ; qu’est considéré comme ayant procédé à ces vérifications le donneur d’ordre qui s’est fait remettre certains documents limitativement énumérés, parmi lesquels une attestation de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale émanant de l’organisme de protection sociale chargé du recouvrement des cotisations et des contributions, et s’est assuré de l’authenticité de l’attestation ainsi remise, sans qu’il lui incombe en revanche de vérifier le contenu et la cohérence des déclarations figurant dans cette attestation ; qu’en jugeant, au contraire, que « le donneur d’ordre ne peut se contenter d’un contrôle superficiel en se faisant communiquer des documents constitutifs de précautions purement formelles » et que la présomption de vérification devrait être écartée « lorsque les déclarations que le donneur d’ordre a reçues montrent d’évidence des discordances quant à la réalité des effectifs employés et des commandes qu’il passe », pour en déduire, en l’espèce, que la société, dont elle a constaté qu’elle s’était fait remettre les documents au titre de son obligation de vigilance, n’aurait pas procédé aux vérifications lui incombant en ne relevant pas que la masse salariale déclarée par son sous-traitant était en inadéquation avec les travaux réalisés et devait en conséquence être tenue solidairement au paiement des sommes mises à la charge de ce sous-traitant, la cour d’appel aurait violé les articles L. 8222-1 et L. 8222-2 et D. 8222-5 du code du travail, ensemble les articles L. 243-15 et D. 243-15 du code de la sécurité sociale. »

Réponse de la Cour

4. S’il résulte de l’article D. 8222-5 du code du travail que le donneur d’ordre est considéré comme ayant procédé aux vérifications requises par l’article L. 8222-1 du même code lorsqu’il s’est fait remettre par son cocontractant les documents qu’il énumère, cette présomption ne joue pas en cas de discordance entre les déclarations mentionnées sur ces documents et le volume d’heures de travail nécessaire à l’exécution de la prestation.

5. Après avoir énoncé que les vérifications du donneur d’ordre devaient être effectives et qu’il ne pouvait se contenter d’un contrôle superficiel en se faisant communiquer des documents constitutifs de précautions purement formelles, l’arrêt retient que les déclarations qu’il a reçues du sous-traitant montrent des discordances quant à la réalité des effectifs employés et des commandes qu’il passe, appréciées en volume et en temps d’exécution. Il ajoute qu’à la seule lecture des attestations remises par le sous-traitant, la société a su que celui-ci n’était pas en mesure d’effectuer, avec la masse salariale déclarée, les travaux commandés puis réalisés. Il relève enfin que la société ne peut se prévaloir utilement de la présomption de vérification, par la production de documents ostensiblement erronés, alors qu’il se déduit de ces pièces une suspicion de travail dissimulé.

6. De ces constatations et énonciations, la cour d’appel a déduit à bon droit que la solidarité financière prévue à l’article L. 8222-1 du code du travail devait s’appliquer.

7. Le moyen n’est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société [3] aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [3] et la condamne à payer à l’URSSAF d’Ile-de-France la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux juin deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat aux Conseils, pour la société [3]

La société [3] fait grief à l’arrêt confirmatif attaqué d’avoir confirmé la décision de la commission de recours amiable de l’URSSAF d’Ile-de-France du 14 avril 2016 et d’avoir condamné la société [3] au paiement de la somme de 210 902 euros, soit 191 729 euros en cotisations et 19 173 euros en majorations de retard pour la période du 6 février 2013 au 11 novembre 2013, au titre de la solidarité financière avec la société [4].

ALORS QU’ est tenu solidairement avec celui qui a fait l’objet d’un procès-verbal pour délit de travail dissimulé le donneur d’ordre qui a méconnu l’obligation de vérifier que son cocontractant s’est acquitté des formalités lui incombant ; qu’est considéré comme ayant procédé à ces vérifications le donneur d’ordre qui s’est fait remettre certains documents limitativement énumérés, parmi lesquels une attestation de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale émanant de l’organisme de protection sociale chargé du recouvrement des cotisations et des contributions, et s’est assuré de l’authenticité de l’attestation ainsi remise, sans qu’il lui incombe en revanche de vérifier le contenu et la cohérence des déclarations figurant dans cette attestation ; qu’en jugeant, au contraire, que « le donneur d’ordre ne peut se contenter d’un contrôle superficiel en se faisant communiquer des documents constitutifs de précautions purement formelles » et que la présomption de vérification devrait être écartée « lorsque les déclarations que le donneur d’ordre a reçues montrent d’évidence des discordances quant à la réalité des effectifs employés et des commandes qu’il passe », pour en déduire, en l’espèce, que la société [3], dont elle a constaté qu’elle s’était fait remettre les documents requis au titre de son obligation de vigilance, n’aurait pas procédé aux vérifications lui incombant en ne relevant pas que la masse salariale déclarée par son sous-traitant était en inadéquation avec les travaux réalisés, et devait en conséquence être tenue solidairement au paiement des sommes mises à la charge de ce sous-traitant, la cour d’appel a violé les articles L. 8222-1 et L. 8222-2 et D. 8222-5 du code du travail, ensemble les articles L. 243-15 et D. 243-15 du code de la sécurité sociale.ECLI:FR:CCASS:2022:C200574