Conformité sanction administrative en substitution sanction pénale - non transmission QPC au Conseil constitutionnel

Conseil d’État

N° 431243
ECLI:FR:CECHR:2019:431243.20190724
Inédit au recueil Lebon
1ère et 4ème chambres réunies
M. Thibaut Félix, rapporteur
M. Charles Touboul, rapporteur public
SCP SPINOSI, SUREAU, avocats

Lecture du mercredi 24 juillet 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La société La Poste, à l’appui de sa demande tendant à l’annulation de la décision du 8 février 2018 par laquelle par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi de la région Auvergne-Rhône-Alpes lui a infligé une amende de 47 500 euros pour différents manquements aux articles L. 3171-2 et D. 3171-8 du code du travail, a produit un mémoire, enregistré le 11 février 2019 au greffe du tribunal administratif de Lyon, en application de l’article 23-1 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel elle soulève une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n° 1802386 du 23 mai 2019, enregistrée le 28 mai 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le président de la 5ème chambre du tribunal administratif de Lyon, avant qu’il soit statué sur la demande de la société La Poste, a décidé, par application des dispositions de l’article 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d’État la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l’article L. 8113-7 du code du travail.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
 la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
 l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
 le code du travail, notamment son article L. 8113-7 ;
 le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

 le rapport de M. Thibaut Félix, auditeur,

 les conclusions de M. Charles Touboul, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de la société La Poste ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l’article 23-4 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu’une juridiction relevant du Conseil d’Etat a transmis à ce dernier, en application de l’article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d’une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, dont la méconnaissance par l’article L. 8113-7 du code du travail est invoquée par la société La Poste, la loi " doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ". Le principe d’égalité devant la loi ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.

3. Aux termes de l’article L. 3171-2 du code du travail : " Lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. / Le comité social et économique peut consulter ces documents ". D’une part, aux termes de l’article R. 3173-2 du même code : " Le fait de méconnaître les dispositions (...) de l’article L. 3171-2 relatives au contrôle de la durée du travail, est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe. / Cette amende est appliquée autant de fois qu’il y a de personnes employées dans des conditions susceptibles d’être sanctionnées au titre des dispositions de cet article ". D’autre part, l’article L. 8115-1 du code du travail dispose que : " L’autorité administrative compétente peut, sur rapport de l’agent de contrôle de l’inspection du travail mentionné à l’article L. 8112-1, et sous réserve de l’absence de poursuites pénales, soit adresser à l’employeur un avertissement, soit prononcer à l’encontre de l’employeur une amende en cas de manquement : (...) / 3° A l’article L. 3171-2 relatif à l’établissement d’un décompte de la durée de travail et aux dispositions réglementaires prises pour son application ; (...) ". L’article L. 8115-3 du même code précise, dans sa rédaction applicable au litige, que le montant maximal de cette amende est de 2 000 euros et peut être appliqué autant de fois qu’il y a de travailleurs concernés par le manquement. Le plafond de l’amende est porté au double en cas de nouveau manquement constaté pendant le délai d’un an à compter du jour de la notification de l’amende concernant un précédant manquement.

4. Aux termes de l’article L. 8113-7 du même code : " Les agents de contrôle de l’inspection du travail mentionnés à l’article L. 8112-1 et les fonctionnaires de contrôle assimilés constatent les infractions par des procès-verbaux qui font foi jusqu’à preuve du contraire. / Ces procès-verbaux sont transmis au procureur de la République. Un exemplaire est également adressé au représentant de l’Etat dans le département. / Avant la transmission au procureur de la République, l’agent de contrôle informe la personne visée au procès-verbal des faits susceptibles de constituer une infraction pénale ainsi que des sanctions encourues. / Lorsqu’il constate des infractions pour lesquelles une amende administrative est prévue au titre V du livre VII de la quatrième partie ou à l’article L. 8115-1, l’agent de contrôle de l’inspection du travail peut, lorsqu’il n’a pas dressé un procès-verbal à l’attention du procureur de la République, adresser un rapport à l’autorité administrative compétente, dans le cadre de la procédure prévue au chapitre V du présent titre ". L’article L. 8115-2, au chapitre V du même titre de ce code, précise que : " L’autorité administrative compétente informe par tout moyen le procureur de la République des suites données au rapport de l’agent de contrôle ".

5. Il résulte de ces dispositions, notamment de celles de l’article L. 8115-1 du code du travail, que l’autorité administrative ne peut prononcer de sanction administrative à l’encontre d’un employeur qui a méconnu les dispositions de l’article L. 3171-2 du même code qu’en l’absence de poursuites pénales pour les mêmes faits. L’objet même de la répression administrative étant d’instituer des sanctions d’une nature différente de celles prévues par la répression pénale, l’existence de telles sanctions alternatives ne méconnaît pas en soi le principe d’égalité devant la loi.

6. Si le dernier alinéa de l’article L. 8113-7 du code du travail prévoit que l’agent de contrôle peut, s’il n’a pas dressé un procès-verbal à l’attention du procureur de la République, adresser un rapport à l’autorité administrative compétente pour prononcer les sanctions administratives applicables, ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté pour le ministère public, qui doit être informé des procédures administratives engagées en application de l’article L. 8115-2 du même code, de diligenter des poursuites pénales, s’il l’estime nécessaire. Dans ces conditions, en laissant à l’agent de contrôle la possibilité de dresser un procès-verbal à l’attention du procureur de la République ou d’adresser un rapport à l’autorité administrative compétente, les dispositions critiquées ne portent pas atteinte, par elles-mêmes, au principe d’égalité devant la loi.

7. Il en résulte que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, qui n’est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Ainsi, il n’y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :


Article 1er : Il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par le tribunal administratif de Lyon.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société La Poste et à la ministre du travail.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre ainsi qu’au tribunal administratif de Lyon.