auto-école - arrêté préfectoral annulé - non respect contradictoire

, par Hervé

CAA de MARSEILLE

N° 14MA02883

Inédit au recueil Lebon

5ème chambre - formation à 3

M. BOCQUET, président

M. Jean-Laurent PECCHIOLI, rapporteur

M. REVERT, rapporteur public

AXIO AVOCAT, avocat(s)

lecture du lundi 2 novembre 2015

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL auto-école Jacky a demandé au tribunal administratif de Nîmes d’annuler l’arrêté du 11 juin 2012 par lequel le préfet de Vaucluse a prononcé la fermeture administrative temporaire de l’établissement situé 18 avenue Gustave Goutarel à Le Pontet (84130) pour une durée d’un mois à compter du 18 juin 2012.

Par un jugement n° 1201666 du 24 avril 2014, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté la demande de cette SARL.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés respectivement les 24 juin 2014 et 19 août 2015, la SARL auto-école Jacky, représentée par Me A..., demande à la Cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes du 24 avril 2014 ;

2°) d’annuler, pour excès de pouvoir, l’arrêté préfectoral du 11 juin 2012 ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat les entiers dépens ainsi que le versement de la somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

 l’arrêté litigieux contient des erreurs flagrantes notamment en ce qui concerne l’adresse de l’établissement et la date de la réunion au cours de laquelle elle a présenté ses observations orales ;

 l’arrêté préfectoral a été pris prématurément, en méconnaissance des dispositions de l’article R. 8272-7 du code du travail lesquelles indiquent que la mesure administrative ne peut intervenir qu’une fois que l’employeur a été verbalisé au titre des infractions relevées ;

 les droits de la défense du citoyen face à l’administration n’ont pas été respectés ;

 le préfet l’a informée dans une correspondance du 2 mars 2012 que la mesure administrative envisagée était une fermeture temporaire pour quinze jours alors que sans éléments nouveaux le préfet a finalement notifié une fermeture d’un mois ;

 le rapport administratif du comité opérationnel départemental anti-fraude (CODAF) ne lui a pas été transmis malgré une demande en ce sens ;

 le préfet mentionnait dans sa correspondance du 2 mars 2012 une dissimulation d’heures travaillées concernant les moniteurs alors que l’arrêté du 11 juin 2012 fait état de points différents non évoqués jusqu’alors tels que l’abus de bien sociaux, la production de faux bilans, le blanchiment de fraude fiscale et sur lesquels elle n’a pu apporter ses observations ;

 la sanction prise par le préfet présente un caractère disproportionné ;

 elle n’a, en effet, fait l’objet d’aucune sanction antérieure, l’élément relatif à la répétition et à la persistance des faits fautifs est absent ;

 la procédure correctionnelle, qui n’a retenu que l’infraction liée à des heures supplémentaires non déclarées, n’a condamné ses deux dirigeants qu’à une amende de 3 000 euros chacun ;

 l’arrêté litigieux a eu des conséquences particulièrement graves et importantes, dès lors qu’elle a conduit à la suppression de place d’examen, à l’impossibilité de transfert des droits entre établissements, à une perte d’inscription et à une perte importante du chiffre d’affaires ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 juillet 2015, le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Un courrier du 23 juillet 2015 adressé aux parties en application des dispositions de l’article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il est envisagé d’appeler l’affaire à l’audience et a indiqué la date à partir de laquelle l’instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l’article R. 613-1 et le dernier alinéa de l’article R. 613-2.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 la loi n° 2000- 321 du 12 avril 2000 ;

 le code du travail ;

 le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience par un avis d’audience adressé le 16 septembre 2015 portant clôture d’instruction immédiate en application des dispositions de l’article R. 613-2 du code de justice administrative.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 le rapport de M. Pecchioli,

 les conclusions de M. Revert, rapporteur public,

 et les observations de Me A..., représentant la SARL auto-école Jacky.

1. Considérant que le préfet de Vaucluse a, par un arrêté du 11 juin 2012, prononcé la fermeture, pour une durée d’un mois à compter du 18 juin 2012, de l’établissement de la société auto-école Jacky situé sur la commune du Pontet, aux motifs de la constatation de diverses infractions notamment celles de travail illégal, d’abus de bien sociaux, de production de faux bilans et de blanchiment de fraude fiscale ; que la société auto-école Jacky a demandé l’annulation de cet arrêté devant le tribunal administratif de Nîmes qui a rejeté la requête ; que la SARL interjette appel de ce jugement ;

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article R. 8272-7 du code du travail : “ Le préfet du département dans lequel est situé l’établissement, ou, à Paris, le préfet de police, peut décider, au vu des informations qui lui sont transmises, de mettre en oeuvre à l’égard de l’employeur verbalisé l’une ou les mesures prévues aux articles L. 8272-2 et L. 8272-4, en tenant compte de l’ensemble des éléments de la situation constatée, et notamment des autres sanctions qu’il encourt. Préalablement, il informe l’entreprise, par lettre recommandée avec avis de réception ou par tout autre moyen permettant de faire la preuve de sa réception par le destinataire, de son intention en lui précisant la ou les mesures envisagées et l’invite à présenter ses observations dans un délai de quinze jours. A l’expiration de ce délai, au vu des observations éventuelles de l’entreprise, le préfet peut décider de la mise à exécution de la ou des sanctions appropriées (...)” ; qu’il résulte de ces dispositions que la procédure mise en place implique, dans le respect de la contradiction, que le préfet communique préalablement à l’employeur verbalisé, ce qu’il envisage de faire notamment en ce qui concerne la mesure à prendre ;

3. Considérant, d’autre part, qu’un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie ;

4. Considérant qu’il convient en l’espèce de souligner que si une fermeture d’un mois a été finalement prononcée, le préfet de Vaucluse n’a invité la société appelante, suivant courrier du 2 mars 2012, à présenter ses observations que sur son intention de fermer l’établissement du Pontet pour une durée de quinze jours ; que s’il est constant que la société auto-école Jacky a pu avoir connaissance par voie de presse, le 23 mars 2012, soit bien avant la réunion organisée en préfecture à sa demande qui s’est tenue le 3 mai 2012, du projet de fermeture d’un mois, cette voie de communication ne saurait tenir lieu de délivrance d’information préalable conforme aux dispositions de l’article L. 8272-7 du code du travail précité ; que, par ailleurs, le courrier préfectoral susmentionné du 2 mars 2012 se réfère exclusivement à des infractions relevant du code du travail, constatées par procès-verbal lors de la visite de contrôle effectuée le 13 février 2012 au sein de l’établissement du Pontet par le comité départemental anti-fraude, indiquant notamment la dissimulation d’heures travaillées concernant les moniteurs, alors que l’arrêté litigieux du 11 juin 2012, quant à lui fondé sur la gravité des faits, la persistance des infractions dans le temps et leur multiplicité, vise, outre le travail illégal, d’autres infractions comme l’abus de biens sociaux, la production de faux bilan et le blanchiment de fraude fiscale, dont certaines ont été seulement constatées par procès-verbal ; que la société appelante n’a donc pu avoir connaissance de l’intention du préfet de se fonder sur ces autres motifs par le courrier du 2 mars 2012, dès lors qu’il ne faisait mention ni du contenu du rapport du 13 février 2012, ni du procès-verbal rédigé à cette même date et, qu’en tout état de cause, aucune disposition législative ou réglementaire n’imposait à l’administration de communiquer à la SARL ces deux documents, avant d’ordonner la fermeture de l’établissement ; qu’en outre si la société appelante soutient que ni les autres infractions, ni la durée d’un mois n’ont été évoquées lors de la réunion du 3 mai 2012, le préfet n’infirme pas non plus valablement cet état de fait ; qu’ainsi les gérants de la SARL auto-école Jacky n’ont pas été mis à même de pouvoir utilement présenter des observations écrites ou orales avant l’intervention de l’arrêté litigieux, notamment lors de la réunion du 3 mai 2012 ; que, dans ces conditions, l’arrêté du 11 juin 2012, a méconnu les dispositions de l’article R. 8272-7 du code du travail organisant la procédure contradictoire préalable à une fermeture provisoire ; que, par suite, l’arrêté en litige a été pris à l’issue d’une procédure irrégulière ; que, par ailleurs, une fermeture d’un mois motivée par une diversité d’infractions comme, notamment l’abus de biens sociaux et le blanchiment de fraude fiscale, n’appelle pas le même genre d’observations qu’une fermeture de quinze jours fondée sur un motif de travail illégal ; que, par suite, la SARL auto-école Jacky a été incontestablement privée d’une garantie ;

5. Considérant qu’il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que la SARL auto-école Jacky est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande ; qu’elle est, dès lors, fondée à demander l’annulation dudit jugement ainsi que celle de l’arrêté du 11 juin 2012 ;

Sur les dépens :

6. Considérant que la présente instance n’a généré aucun dépens ; que par suite, les conclusions présentées sur ce point par l’appelante doivent en tout état de cause être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Considérant qu’aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : “ Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation. “ ;

8. Considérant qu’il y a lieu en application des dispositions susmentionnées de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la SARL auto-école Jacky et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1201666 du tribunal administratif de Nîmes du 24 avril 2014 et la décision du préfet de Vaucluse du 11 juin 2012 sont annulés.

Article 2 : L’Etat (ministre du travail, de l’emploi de la formation professionnelle et du dialogue social) versera une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros à la SARL auto-école Jacky en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL auto-école Jacky et à l’Etat (ministre du travail, de l’emploi de la formation professionnelle et du dialogue social).

Copie en sera adressée au préfet de Vaucluse.

Délibéré après l’audience du 12 octobre 2015, où siégeaient :

 M. Bocquet, président,

 M. Pocheron, président-assesseur,

 M. Pecchioli, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 2 novembre 2015.