Restaurant - fermeture police administrative des débits de boissons - article L.3332-15 CSP oui
Conseil d’État
N° 416967
ECLI:FR:CEORD:2017:416967.20171230
Inédit au recueil Lebon
lecture du samedi 30 décembre 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société Chapelle Events a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, d’ordonner la suspension de l’exécution de l’arrêté du préfet de police du 24 novembre 2017 portant fermeture de l’établissement “ Hypster Lounge Chapelle Events “ pour une durée de trente jours. Par une ordonnance n° 1719618 du 29 décembre 2017, le juge des référés a rejeté cette demande.
Par une requête enregistrée le 29 décembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société Chapelle Events demande au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d’annuler cette ordonnance ;
2°) de suspendre l’exécution de l’arrêté litigieux ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
"-" la condition de l’urgence est satisfaite dès lors que la fermeture administrative de son établissement pour une période de trente jours, incluant la soirée du réveillon, la prive d’une grande partie du chiffre d’affaires qu’elle aurait normalement réalisé pendant cette période, soit une perte de 191 000 euros, tandis que son passif exigible s’élève pour le même mois à 146 173 euros et qu’elle fait d’ores et déjà face à des difficultés financières ;
"-" le préfet de police a porté une atteinte grave à la liberté du commerce et de l’industrie et à la liberté d’entreprendre ;
"-" cette atteinte est manifestement illégale, l’avertissement relatif à l’infraction aux lois et règlements relatifs aux débits de boissons ne lui ayant été délivré qu’après la décision de fermeture administrative du 24 novembre 2017 alors qu’il aurait dû, en application des dispositions de l’article L. 3332-15 du code de la santé publique, précéder cette décision ou s’y substituer ;
"-" la mesure de fermeture administrative est disproportionnée, la société ayant régularisé la situation des trois salariés concernés en effectuant des déclarations préalables à l’embauche auprès de l’Urssaf et disposant à présent d’une licence d’exploitation pour le restaurant ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
"-" le code du travail ;
"-" le code de la santé publique ;
"-" le code de justice administrative ;
1. Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : “ Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale “ ; qu’en vertu de l’article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut rejeter une requête par une ordonnance motivée, sans instruction contradictoire ni audience publique, lorsqu’il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu’elle est irrecevable ou qu’elle est mal fondée ;
2. Considérant que la société Chapelle Events exploite un restaurant dénommé “ Hypster Lounge “ situé 5 impasse Marteau à Paris ; que cet établissement a fait l’objet le 27 juillet 2017 d’un contrôle des services de police et de l’Union de recouvrement des cotisations sociales de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF), au cours duquel il a été constaté que trois personnes en action de travail n’avaient pas fait l’objet d’une déclaration préalable à l’embauche et que l’établissement proposait à la vente des boissons alors qu’il n’était pas titulaire d’une licence de débits de boissons ; que par un arrêté du 24 novembre 2017, notifié le 18 décembre 2017, le préfet de police a prononcé, sur le fondement des dispositions du 3 de l’article L. 3332-15 du code de la santé publique, la fermeture administrative de cet établissement pour une durée de trente jours ; que la société Chapelle Events relève appel de l’ordonnance du 29 décembre 2017 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à ce que soit ordonnée, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, la suspension de l’exécution de cet arrêté ;
3. Considérant, d’une part, que pour justifier d’une situation d’urgence particulière impliquant qu’une mesure visant à sauvegarder une liberté fondamentale doive être prise dans un très bref délai, la société requérante se borne à soutenir que la fermeture de son établissement entre le 18 décembre 2017 et le 18 janvier 2018 la prive de la possibilité de réaliser un chiffre d’affaires qu’elle estime à 191 000 euros, alors qu’elle supporte sur la même période des charges qu’elle estime à 146 173 euros ; qu’à les supposer exacts, alors qu’ils découlent des seules affirmations de la société requérante et ne sont accompagnés d’aucun document comptable, notamment bilans et comptes de résultat, permettant d’apprécier la situation d’ensemble de celle-ci, ces éléments chiffrés ne suffisent pas à établir que l’arrêté litigieux aurait, par lui-même pour conséquence, du seul fait de la privation de chiffre d’affaires qu’il entraîne sur la période restant à courir jusqu’au 18 janvier 2018, de menacer à court terme la pérennité de la société ; qu’en particulier, celle-ci fait état de difficultés de règlement de ses charges de loyers qui préexistaient à l’intervention de l’arrêté litigieux et qui ne peuvent dès lors lui être imputées ; que, dans ces conditions, l’exécution de l’arrêté litigieux n’est pas, en l’état de l’instruction, constitutive d’une situation d’urgence au sens et pour l’application des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ;
4. Considérant, en second lieu, qu’aux termes de l’article L. 3332-15 du code de la santé publique : “1. La fermeture des débits de boissons et des restaurants peut être ordonnée par le représentant de l’Etat dans le département pour une durée n’excédant pas six mois, à la suite d’infractions aux lois et règlements relatifs à ces établissements. / Cette fermeture doit être précédée d’un avertissement qui peut, le cas échéant, s’y substituer, lorsque les faits susceptibles de justifier cette fermeture résultent d’une défaillance exceptionnelle de l’exploitant ou à laquelle il lui est aisé de remédier./ (...) ; / 3. Lorsque la fermeture est motivée par des actes criminels ou délictueux prévus par les dispositions pénales en vigueur, à l’exception des infractions visées au 1, la fermeture peut être prononcée pour six mois. Dans ce cas, la fermeture entraîne l’annulation du permis d’exploitation visé à l’article L. 3332-1-1. / 4. Les crimes et délits ou les atteintes à l’ordre public pouvant justifier les fermetures prévues au 2 et au 3 doivent être en relation avec la fréquentation de l’établissement ou ses conditions d’exploitation “ ; qu’aux termes de l’article L. 8221-1 du code du travail : “ Sont interdits : 1° Le travail totalement ou partiellement dissimulé, défini et exercé dans les conditions prévues aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 ; 2° La publicité, par quelque moyen que ce soit, tendant à favoriser, en toute connaissance de cause, le travail dissimulé ; 3° Le fait de recourir sciemment, directement ou par personne interposée, aux services de celui qui exerce un travail dissimulé “ ; qu’aux termes de l’article L. 8221-3 du même code : “ Est réputé travail dissimulé par dissimulation d’activité, l’exercice à but lucratif d’une activité de production, de transformation, de réparation ou de prestation de services ou l’accomplissement d’actes de commerce par toute personne qui, se soustrayant intentionnellement à ses obligations (...) n’a pas procédé aux déclarations qui doivent être faites aux organismes de protection sociale ou à l’administration fiscale en vertu des dispositions légales en vigueur (...)” ; qu’aux termes de l’article L. 8221-5 du même code : “ Est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur (...) de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche (...) “ ; qu’enfin, aux termes de l’article L8224-1 du même code : “ Le fait de méconnaître les interdictions définies à l’article L. 8221-1 est puni d’un emprisonnement de trois ans et d’une amende de 45 000 euros “ ;
5. Considérant que la société requérante ne conteste pas que, le jour du contrôle opéré par les services de police et l’URSSAF, trois des cinq personnes travaillant dans l’entreprise n’avaient pas fait l’objet d’une déclaration préalable à l’embauche, en méconnaissance des dispositions de l’article L. 1221-10 précitées du code du travail ; qu’un tel manquement, qui est réputé constituer une situation de travail dissimulé prohibée par le code du travail et pénalement sanctionnée et dont il n’est au demeurant pas établi qu’il aurait revêtu un caractère accidentel ou exceptionnel, est de nature à justifier dans son principe, alors même qu’une régularisation serait intervenue postérieurement au contrôle, une mesure de fermeture temporaire sur le fondement des dispositions du 3 de l’article L.3332-15 du code de la santé publique ; qu’une telle mesure, prise sur ce fondement, n’avait pas, contrairement à ce qui est soutenu, à être précédée d’un avertissement, lequel ne pouvait pas se substituer à la fermeture, dès lors que cette obligation et cette possibilité ne concernent que les seules infractions aux lois et règlements relatifs aux débits de boissons et restaurant ; qu’en l’espèce, la méconnaissance par la société de ces prescriptions spécifiques a donné lieu à un simple avertissement, distinct de la mesure de fermeture contestée dont elle ne constitue pas l’un des motifs ; que, par ailleurs, il n’apparaît pas en l’état de l’instruction que la durée de la période de fermeture retenue serait sans proportion avec le but poursuivi par cette mesure de police ; que, dans ces conditions, il ne saurait être soutenu que le préfet de police aurait porté à la liberté du commerce et de l’industrie ou à la liberté d’entreprendre une atteinte manifestement illégale ;
6. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’appel de la société Chapelle Events ne peut qu’être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, selon la procédure prévue par l’article L. 522-3 de ce code ;
O R D O N N E :
Article 1er : La requête de la société Chapelle Events est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Chapelle Events.
Copie en sera adressée au préfet de police et au ministre de l’intérieur.